Quand le procès de militants d’extrême droite vire au fiasco
Interpellés le soir de la demi-finale de Coupe du monde de foot France-Maroc, sept militants d’extrême droite, soupçonnés de vouloir mener des ratonnades contre des supporters marocains étaient jugés au tribunal correctionnel de Paris vendredi 8 septembre. Récit d’un loupé aussi improbable que grotesque.
Des têtes hautes et des sourires jubilatoires, à peine cachés par des masques et des lunettes de soleil portés à la sortie de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Voilà comment s’est achevé le non-procès des sept militants de l’extrême droite, la plus violente, ce vendredi 8 septembre. Les preuves de leur volonté de mener des ratonnades le soir de la demi-finale de Coupe du monde de football France-Maroc étaient irréfutables comme en attestent les révélations de Libération. Et pourtant, le procès tant attendu a fait pschitt ! Retour sur un loupé judiciaire aussi improbable que grotesque.
En cette très chaude journée de septembre, la salle d’audience est bondée. Dans le public, beaucoup de journalistes, quelques curieux et une dizaine de proches des prévenus. Quelques minutes avant le début de l’audience prévue à 13 h 30, les sept jeunes hommes, nés entre 1998 et 2002, entrent dans la salle. Tous s’assoient calmement, à l’exception de Marc de Cacqueray-Valémnier, déjà très connu des services judiciaires, lui qui s’est imposé comme la principale figure du mouvement néonazi en France, et Paul-Alexis Husak grand admirateur d’Adolf Hitler d’après Médiapart. Très sereins, les deux hommes discutent longuement alors que le début du procès est retardé.
Rappel des faits. Les sept individus sont accusés de « participation à un groupement, même formé de manière temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens », dans le cadre de la demi-finale du Mondial de football France-Maroc, le 14 décembre 2022. Pour Marc de Cacqueray-Valémnier, Samuel Del N. et Adrien D., il faut ajouter l’accusation suivante : « détention sans autorisation d’une ou plusieurs armes blanches ou incapacitantes ».
Ce soir-là, dans le 17e arrondissement de la capitale, les agents de police décident de réaliser une opération de prévention à la sortie d’un bar en interpellant près de trente-huit personnes affiliées à des mouvements violents d’extrême droite et soupçonnées de vouloir se rendre sur les Champs-Élysées pour mener des ratonnades contre des supporters marocains. On dénombre une quinzaine de fichés S parmi ces anciens membres d’organisations d’ultra-droite dissoutes ces dernières années comme Génération Identitaire, les Zouaves Paris et le Bastion Social, qui se recomposent aujourd’hui sous l’étiquette de l’historique Groupe union défense (GUD), mouvement né à Assas en 1968.
Les contrôles d’identité des policiers sont probants puisque ces derniers trouvent un arsenal qui laisse peu de place au doute sur les intentions du groupe organisé : gants coqués, bombe lacrymogène, protège-tibias, matraque télescopique, cagoules. Finalement, après leur placement en garde à vue pour « groupement en vue de commettre des violences et port d’armes prohibées », seulement sept sont poursuivis.
Irrégularités et dossier fragile
Retour au tribunal correctionnel de Paris. Pendant la demi-heure de latence, Marc de Cacqueray-Valémnier et Paul-Alexis Husak jouent les gros bras auprès d’une dessinatrice dans le public. Calepin sur le genou et crayon en main, la jeune femme est stoppée quelques instants par les deux hommes qui, sur fond d’intimidation, lui posent quelques questions et regardent avec attention son travail. Chacun finit par retrouver sa place et le procès, qui promet d’être long, peut débuter.
D’entrée, les failles du dossier, nombreuses et grossières, sont scrutées, décortiquées et déjouées par les avocats de la défense au cours de plaidoiries très offensives. Le point de crispation revient, comme un refrain, à chaque intervention : l’interpellation devant le bar, qui sert de rampe de lancement à toute la procédure. « Il n’y a aucune justification de l’interpellation, c’est une instrumentalisation de la justice pénale. Il n’y a dans ce dossier aucune individualisation, tout est du copier-coller », déplore Me Georges Sauveur, premier avocat de la défense à s’exprimer à la barre, lui qui défend Antonin. C et Antoine. L. Le ton est donné. Son collègue, Me Antonis Varoudakis, se joint à cette offensive. « Je n’ai jamais vu pareil torchon dans une procédure », lance-t-il. Pour la défense, les irrégularités du dossier rendent cette procédure caduque. « Le lieu d’interpellation n’est pas inscrit dans le périmètre d’action des policiers. Dans ce cadre, toutes les interpellations, qui sont le support indispensable à cette affaire, sont illégales. Je vous demande d’annuler l’ensemble des PV. », explique Me Georges Sauveur.
Je n’ai jamais vu pareil torchon dans une procédure.
Antonis Varoudakis, avocat
De son côté, Me Clément Diakeonoff, un des avocats de Marc de Cacqueray-Valménier, pointe du doigt les failles qui entourent les accusations envers son client. Il rappelle d’abord que, lorsqu’il prend connaissance de la procédure, le dossier est incomplet. Les déclarations des autres gardés à vue sont absentes. « Finalement, on passe de 150 à 2 000 pages. C’est du jamais vu ! », indique-t-il à la barre. Également poursuivi pour port d’arme – une arme blanche de catégorie 4 –, l’ancien leader des Zouaves Paris aurait été aperçu en train de déposer un sac à dos de la marque Eastpak sur la voie publique. Pris en photo par les policiers, l’objet contenant des armes n’a pas été placé sous scellés. Une incompréhension supplémentaire pour Me Clément Diakeonoff : « On aurait alors pu vérifier que l’ADN de mon client était bien sur le sac. Cela aurait été beaucoup plus simple. »
Un procès terminé avant même d’avoir commencé
Même si la solidité du dossier semble avoir pris du plomb dans l’aile suite aux différentes prises de parole de la défense, le procureur fait preuve d’une certaine assurance quand il tente de déconstruire toutes les accusations d’irrégularités. La salle semble dubitative et, après à peine plus d’une heure, la séance est suspendue. La salle s’agite et s’interroge : combien de temps l’interruption va durer ? Celles et ceux qui pensent que le procès va s’éterniser jettent un œil attentif aux minutes qui défilent en ce jour d’ouverture de la Coupe du monde de rugby avec le choc France-Nouvelle-Zélande au Stade de France. Quand les retombées d’un Mondial jaillissent sur un autre…
Après ce temps où les prévenus, quasiment tous habillés en chemise ou en polo, ont pu échanger entre eux, avec leurs proches et les avocats, il est temps de reprendre. Mais à la surprise générale, alors que tout le monde attendait de délaisser les querelles de procédure et de passer au fond de l’affaire, le procès touche à sa fin. Sans avoir jamais vraiment commencé. Le tribunal constate que les prévenus ont été interpellés à l’aide de réquisitions de la préfecture de police de Paris sur fond d’irrégularités, les individus concernés étant hors du périmètre indiqué sur les réquisitions. Leur interpellation est nulle aux yeux des juges, ce qui annule la totalité du procès. Au fil du discours prononcé, les sourires gagnent les rangs des prévenus et des avocats, dont certains n’arrivent pas à cacher leur étonnement. Très bref dans son intervention à la sortie de la 14e chambre, Me Antonis Varoudakis confie : « Le résultat est satisfaisant au niveau de la loi. »
Totalement libres, les militants exultent. Comme à Angers il y a quelques semaines (*), l’extrême droite et son extrême violence passent entre les mailles du filet judiciaire.
Article mis à jour le 11 septembre 2023.
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