« N’attendez pas trop de la fin du monde », pogo cinématographique

Radu Jude déploie une énergie punk pour dévoiler certains aspects de la réalité roumaine.

Christophe Kantcheff  • 26 septembre 2023 abonnés
« N’attendez pas trop de la fin du monde », pogo cinématographique
"N’attendez pas trop de la fin du monde" n’est pas un film nihiliste. Il a la rage, avec une bonne dose de noire d'ironie.
© Meteore Film

N’attendez pas trop de la fin du monde / Radu Jude / 2 h 43

Malpoli, hirsute, provocant, irrespectueux : il n’est plus beaucoup d’œuvres aujourd’hui qui ont cette allure. Le cinéma en offre encore. N’attendez pas trop de la fin du monde, du Roumain Radu Jude, est un film qui réjouit avant toute chose par sa singularité, son excentricité. On est d’emblée estomaqué par l’énergie ravageuse que dégage l’héroïne, Angela (formidable Ilinca Manolache), qui passe ses journées au volant de sa voiture dans les rues de Bucarest, habillée d’une robe lamée, en jurant comme un charretier dans les embouteillages et en écoutant du heavy metal.

N’attendez pas trop de la fin du monde / Radu Jude

Assistante de production, elle se rend chez des accidentés du travail afin d’effectuer un casting pour un film autopromotionnel d’une multinationale désireuse de soigner son image plutôt que d’assumer ses responsabilités. Angela a conscience de la finalité de son boulot et passe son dépit en postant sur TikTok des vidéos trash où l’avatar qu’elle s’est créé, un chauve barbu, éructe des propos abjects et machistes sur la société roumaine.

N’attendez pas trop de la fin du monde n’est pas un film nihiliste. Il a la rage, avec une bonne dose de noire d’ironie (que suggère d’emblée le titre) : son esprit est plus proche d’un Thomas Bernhard ou d’un Marco Ferreri. Comme cette histoire que raconte Angela : « Dieu se présente un jour devant un paysan slovène et lui propose d’exaucer son vœu le plus cher, mais, en contrepartie, son voisin verra ce vœu doublement exaucé. Le paysan réfléchit et dit à Dieu : “Crève-moi un œil.” »

Vitalité et critique sociale

Radu Jude est aussi inattendu qu’inventif. Avec une dizaine de longs-métrages à son actif, il a commencé comme assistant metteur en scène notamment sur Amen (2002), de Costa-Gavras, réalisé un western politique, Aferim ! (2015), sur la question des Roms, ainsi que deux documentaires à propos de l’antisémitisme et de la déportation des juifs de Roumanie. Ses derniers films déploient une vitalité punk nourrie d’une critique sociale virulente. Dès lors, son cinéma ne peut se contenter d’un traitement formel conformiste.

Dans N’attendez pas trop de la fin du monde, Radu Jude convoque tous les moyens du cinéma pour en libérer tous les sens : l’usage du contraste entre la couleur et le noir et blanc, l’introduction de séquences d’un film de fiction des années Ceaușescu créant un jeu de correspondances, un long plan-séquence final où le cynisme de ceux qui ont le pouvoir de l’argent, a priori hors champ, envahit peu à peu l’écran. De Radu Jude, on peut attendre beaucoup.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes