Réforme des retraites : une entrée en vigueur toujours aussi injuste
Ce 1er septembre, les principales mesures de la très contestée réforme des retraites entrent en vigueur, malgré six mois de mobilisation sociale. Une réforme qui reste « injuste et brutale » pour la majorité des Français. Retour sur un combat social historique.
Rien n’y aura fait. Ni les millions de personnes dans la rue, ni les grèves historiques des éboueurs, des raffineurs, ni les divers recours au Conseil constitutionnel, ni l’absence de vote à l’Assemblée nationale, ni une intersyndicale soudée jusqu’au bout. Malgré une contestation sociale historique dans la France du XXIe siècle, la réforme des retraites qui repousse l’âge légal de départ de 62 à 64 ans entre en vigueur à partir de ce 1er septembre. Avant même sa présentation par la Première ministre le 10 janvier dernier, Politis a documenté ce mouvement social, à travers des reportages, des enquêtes, des analyses, des partis pris qui ont nourri le combat et illustré l’injustice d’une réforme qui touche, avant tout, les plus précaires de notre société.
Bras de fer et unité
4 janvier. Le résultat est sans appel. Une majorité des Français s’oppose à la philosophie de la réforme des retraites portée par le gouvernement. Dans un sondage IFOP pour Politis, 68 % d’entre eux se disent même favorable à un retour à la retraite à 60 ans ! « La retraite à 60 ans est un horizon souhaité », explique alors dans nos colonnes, Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’IFOP. Un horizon réalisable pour l’économiste Michaël Zemmour qui affirme alors que « rien n’oblige à changer l’âge de la retraite ».
10 janvier. Le bras de fer commence. En fin d’après-midi, Elisabeth Borne présente sa réforme lors d’une conférence de presse scrutée. À peine terminée, tous les numéros un des centrales syndicales du pays se rassemblent à la Bourse du travail de Paris. Ils montrent leur unité et appellent à une première grande journée de mobilisation interprofessionnelle le 19 janvier. La première d’une longue liste.
Après la présentation détaillée vient le temps du décryptage de son implication pour les Français. Une réforme injuste pour les femmes, qui ne répond pas au problème croissant de la pénibilité au travail, remplie d’arnaques, entre la fumisterie des 1 200 euros ou la perte de 800 millions d’euros pour la branche accident du travail/maladie professionnelle. Nous révélons également une étude qui montre les fins de carrière très difficiles des seniors de la seconde ligne.
Très vite, l’opinion publique comprend le caractère injuste de cette réforme des retraites. De nombreux artistes et intellectuels la dénoncent dans un appel publié par Politis. Les premières mobilisations sont, elles, historiques. Entre 1,12 et 2 millions de personnes le 19 janvier, entre 1,27 et 2,8 millions le 31 janvier. C’est une marée sociale qui déferle sur le pays. Partout. La mobilisation dans les villes petites et moyenne est particulièrement notable comme à Laon ou à Morlaix.
Colères et peur du flop
De la rue, la contestation déborde dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. La décision de passer par une procédure accélérée attise les colères. Les débats sont houleux, et les femmes députées, marginalisées. Les différences de stratégies entre les partis politiques de la NUPES – notamment de La France Insoumise – et de l’intersyndicale – guidée surtout par la CFDT – apparaissent alors au grand jour. En fond, la question d’un appel à la grève générale. Appel que l’intersyndicale refusera jusqu’au bout, de peur d’un flop qui éteindrait le mouvement.
Malgré cela, de nombreux secteurs particulièrement touchés par cette réforme débraient. En tête de gondole, les éboueurs parisiens. Les déchets entassés dans les rues de la capitale envahissent les images des plateaux télés. Mais ils n’éclipsent pas les autres secteurs en grève, comme ici, les dockers du Havre, ou ces aides à domicile caennaise. Le point d’orgue de ces mouvements est sans doute le 7 mars, où le nombre de participants dans les manifestations atteint un record historique au XXIe siècle.
Ce mouvement social d’ampleur ne fait pas bouger d’un iota le gouvernement dont le chef, Emmanuel Macron, se mure dans le silence. Il refuse même de recevoir l’intersyndicale, illustrant son mépris à l’égard des corps intermédiaires. Mis en minorité dans l’opinion publique, et dans l’hémicycle, il décide de refuser le dialogue et d’entamer une séquence autoritaire. En premier lieu, il dégaine le 49-3. Un choix qui déclenche une très vive colère. Les nuits suivant cette décision, des manifestations non-déclarées ont lieu dans plusieurs villes de France.
Autoritarisme et répression
Vite, l’autoritarisme institutionnel s’accompagne d’un autoritarisme policier. Politis documente largement cette répression : interpellations abusives à tout bout de champ, violences policières comme ici, ici, ou ici, interdictions de manifester illégales… Face à ce mutisme et à cette répression, les alternatives aux moyens d’action traditionnels fleurissent. Le plus célèbre : la popularisation des casserolades qui vont, pendant de longues semaines, accompagner chaque sortie des membres du gouvernement. Et cela, malgré la validation de la réforme par le Conseil constitutionnel qui, par ce choix, risque de créer une bien dangereuse jurisprudence.
La manifestation historique du 1er Mai ne changera plus le cours de l’histoire. Promulguée immédiatement après sa validation par les Sages, la réforme des retraites entrera bien en vigueur à partir de ce 1er septembre sans que celle-ci n’ait jamais été votée par les parlementaires. La défaite pour le mouvement social est dure à encaisser. Pourtant, les raisons d’espérer sont nombreuses. Cette mobilisation a démontré une vraie force populaire, recrédibilisé les organisations syndicales, et souligné l’importance de la grève comme moyen d’action.
Surtout, elle a créé de la joie militante. Pour les forces politiques, syndicales et associatives, il faudra construire sur ces acquis. Mais ce 1er septembre c’est plus à cette phrase du rappeur Médine – devenue un slogan récurrent de cette mobilisation – que l’ensemble des travailleurs et travailleuses du pays doivent penser. « Ils reculent l’âge de la retraite mais avancent l’âge de la mort. »
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
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