« L’Éducation nationale est la plus grande enseigne de bricolage du pays »
Pari réussi pour le gouvernement. La polémique de l’abaya et du qamis a étouffé une sombre réalité en ce début d’année scolaire : de nombreux élèves ont effectué leur rentrée sans professeurs.
Un enseignant devant chaque classe, c’était la promesse du président de la République pour cette rentrée scolaire. Gabriel Attal lui avait rapidement emboîté le pas après sa nomination au ministère de l’Éducation nationale, martelant que cette mesure serait une priorité absolue. Pourtant, l’objectif est loin d’être atteint pour de nombreux lycées, collèges et écoles. Et malgré les tentatives du gouvernement de voiler cette fâcheuse réalité derrière la polémique des abayas et des qamis, les témoignages de terrains qui émergent rendent compte d’une situation préoccupante dans de nombreux établissements.
Lancé par le Snes-FSU, premier syndicat des collèges et des lycées, le hashtag sur le réseau X (ex-Twitter) #LaRentréeEnVrai permet de recueillir les témoignages des parents, directeurs ou enseignants sur le déroulement de la rentrée. Le constat est sans appel : de nombreux postes de professeurs sont inoccupés dans les salles de cours. « La promesse du ministère d’un enseignant par classe est loin d’avoir été tenue », affirme Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat. Depuis le début de la semaine, elle enchaîne les plateaux de télévision et les entretiens dans les médias pour faire remonter ces témoignages. « Dans certains collèges et lycées, on a des collègues qui ont distribué des emplois du temps aux élèves avec marqué ‘Madame X’ ou ‘’Monsieur Y’. On a donc des élèves qui commencent les cours avec des trous dans leurs emplois du temps, parce qu’il n’y a pas de profs », rapporte-t-elle.
On a des collègues qui ont distribué des emplois du temps aux élèves avec marqué ‘Madame X’ ou ‘Monsieur Y’.
Sophie Vénétitay, Snes-FSU
Dans les écoles maternelles, la conjoncture est comparable au primaire et au secondaire : « Pour l’instant on a des classes où seule la moitié de l’année est assurée. Les grandes sections n’ont pas d’instituteur deux jours par semaine. Mais comme il y a une obligation d’accueil de l’école, on les répartit sur les autres classes, ce qui conduit à une surcharge des effectifs de cinq ou six élèves », témoigne Louise Paternoster, professeure des écoles en région parisienne.
Un manque d’attractivité préoccupant
Mais cette crise ne s’arrête pas qu’aux enseignants, elle concerne d’autres personnels issus de la communauté éducative, comme celui des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). Aurélien Mateu, directeur d’une école maternelle parisienne, est confronté à cette situation : « Dans mon école, neuf élèves devraient bénéficier d’un suivi de la part d’un AESH. Mais on n’en a qu’un seul, qui s’occupe de trois d’entre eux (ceux en situation de handicap « lourd »). Les six autres élèves doivent compter sur les enseignants qui aident au maximum. Mais ils ne peuvent pas effectuer cette mission à plein temps en plus de leur travail. » Pour lui, le manque d’AESH revient à priver des enfants d’un accompagnement dont ils auraient besoin compte tenu de leur situation. Sans surprise, il explique cette pénurie par des salaires « indécemment bas », et une considération bien trop insuffisante. « Il faut revaloriser à tout prix ces métiers », s’alarme-t-il.
Un constat largement partagé par Sophie Vénétitay : « Le manque d’attractivité n’est pas une surprise, ça fait des années que ça dure. Il suffit de regarder le nombre de postes non pourvus au concours d’entrée 2023. » Car au total, ce sont 3 163 postes qui n’ont pas été pourvus au concours d’entrée, dont 1 315 dans le premier degré et 1 848 dans le second degré. Un manque d’attractivité qui s’explique par des conditions de travail de plus en plus difficiles, mais aussi par un manque de perspectives salariales : depuis le début des années 1980, le pouvoir d’achat des enseignants ne cesse de décliner (baisse de 20 % entre 1981 et 2004).
En 1980, un enseignant débutant gagnait environ 2,3 fois le SMIC, contre seulement 1,2 fois aujourd’hui.
La valeur du point d’indice des salaires est gelée depuis des années, malgré quelques hausses qui n’ont jamais permis de s’aligner sur l’inflation. En 1980, un enseignant débutant gagnait environ 2,3 fois le SMIC, contre seulement 1,2 fois aujourd’hui. Dans certaines académies plus que d’autres, cette crise d’attractivité prend des tournures de désertification. À Créteil, seuls 51,9 % des postes ont été pourvus, un pourcentage inquiétant que l’on retrouve dans l’académie de Versailles (55 %). Le triste record est attribué à la Guyane, avec seulement 30,2 % de postes pourvus.
Du « bricolage pour colmater les brèches’’
Pour combler les manques, les établissements essayent tant bien que mal de s’adapter : « On bricole. J’ai coutume de dire l’Éducation nationale est la plus grande enseigne de bricolage de ce pays. Tout le monde essaye de colmater les brèches », assène Sophie Vénétitay. Certains ont même recours à des méthodes étonnantes : à Geaune, dans les Landes, une directrice ajointe a publié une série d’annonces Facebook pour recruter du personnel AESH ou ADE, mais aussi des enseignants en mathématiques et en espagnol. « Ça devient fréquent, on voit de plus en plus d’annonces sur LeBonCoin, on épuise les voies classiques. Ça donne une idée de l’état dans lequel on se trouve. On en est là, en 2023, on recrute les enseignants sur Facebook », déplore un membre du Snes-FSU de Dorgogne.
On en est là, en 2023, on recrute les enseignants sur Facebook.
Un membre du Snes-FSU
Pour redonner de l’attractivité au métier, Sophie Vénétitay réclame la mise en place de deux mesures urgentes : « On attend qu’ils prennent la mesure de la réalité et qu’ils prennent les décisions qui en découlent : l’impératif est d’augmenter de manière significative les salaires, et d’améliorer les conditions de travail en diminuant les effectifs dans les classes. Ce sont les deux jambes de la sortie de la crise : en augmentant les salaires, on attire plus de monde, on peut recruter plus, les classes sont moins surchargées et les conditions de travail et d’apprentissage s’améliorent. »
De son côté, le gouvernement semble bien compter sur le « pacte enseignant » qui prévoit que les professeurs volontaires pourront toucher un complément de salaire contre en contrepartie de nouvelles missions, pour résoudre cette crise. Mais si les chiffres des signataires ne sont pas encore disponibles, les témoignages concordent vers un rejet assez massif du dispositif. La secrétaire du Snes-FSU l’assure : « Si le gouvernement reste sur ses positions, il portera la lourde responsabilité de n’avoir rien fait face à une crise historique dans l’éducation nationale. Ils assumeront de ne pas mettre un prof formé devant chaque classe tout au long de l’année. »
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