Report du procès des antibassines : la stratégie du parquet pointée
Neuf militants écologistes opposés aux bassines devaient être jugés vendredi 8 septembre accusés, entre autres, d’avoir organisé des manifestations interdites. Après sept heures d’audience, les débats ont été suspendus jusqu’au 28 novembre à la demande de la défense. En cause : les choix du procureur de Niort.
« Je ne sais pas ce qu’on reproche à mon client ». Ce 8 septembre, Maître Ines Giacometti, avocate de Benoît Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne 79, s’agace auprès du président du tribunal correctionnel de Niort. Benoît Jaunet est accusé d’avoir organisé une manifestation interdite le 25 mars dernier contre les mégabassines à Sainte Soline. « Dans le dossier, je n’ai qu’une date de manifestation à laquelle mon client était effectivement présent mais aucun élément concret sur les faits d’organisation. Tout s’entremêle entre organisation et porte-parole et cette confusion irrigue tout le dossier », clame-t-elle, accusant le procureur, Julien Wattebled, de vouloir « faire un exemple » en s’attaquant aux « visages de cette mobilisation ».
« On a besoin de savoir si ce n’est pas leur liberté syndicale ou de réunion ou le fait qu’ils représentent quelque chose qui est constitutif d’un délit. » Sur les neuf prévenus qui comparaissaient libres ce vendredi, sept sont accusés d’organisation d’une manifestation interdite, délit passible de 6 mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Deux sont élus départementaux de leur organisation syndicale (CGT et Solidaires), quatre sont porte-parole de leur mouvement.
« Une masse qui s’organise »
Les sept avocats de la défense ont demandé la nullité des convocations à cause de l’absence d’éléments concrets constitutifs du délit reproché, d’habitudes introduits par la formule « en l’espèce ». « La citation est irrégulière car la prévention se limite à l’article de loi, sans faits, appuie Me Alice Becker, en défense de David Bodin, secrétaire de l’Union départementale de la CGT. Quel acte y a-t-il à charge ? Un prévenu doit savoir ce qu’on lui reproche. » Après vérification, nous avons effectivement constaté l’absence d’éléments concrets reprochés sur les convocations des prévenus accusés d’organisation d’une manifestation interdite – que cela soit pour les manifestations d’octobre 2022 ou de mars 2023. Les seuls éléments qui apparaissent dans le dossier semblent se limiter à leur présence sur place, voire à leur prise de parole, parfois limitée au campement monté sur un terrain privé prêté par un agriculteur.
« Oui j’ai crié et chanté des slogans dans un mégaphone et j’ai contribué à bâtir cette mobilisation, reconnaît Joan Monga du mouvement Bassines Non Merci dans un texte qu’il lit au tribunal, avant d’invoquer son droit au silence. Les gendarmes cherchent des chefs : forcément des hommes, en haut d’une pyramide. Ils appliquent leur propre système d’organisation, sans voir qu’il en existe d’autres. Chez nous, il n’y a pas d’organisateur : il y a plus d’une centaine de personnes qui réfléchissent, prennent des décisions ensemble. C’est une masse qui s’organise et qui décide d’enfreindre les interdictions préfectorales. Elle n’a besoin ni de chefs, ni de commandement. »
Les gendarmes cherchent des chefs : forcément des hommes, en haut d’une pyramide.
Joan Monga, Bassines Non Merci
Apparaît alors toute la difficulté de l’exercice judiciaire du jour : comment mettre en accusation des mouvements collectifs ? Un dilemme devenu l’une des bases stratégiques de la défense. « Il me semble qu’à travers moi, c’est la CGT qui est visée, a déclaré David Baudin, accusé d’avoir organisé la manifestation contre la mégabassine du 29 octobre 2022. Mais moi, je ne suis que le porte-parole : si vous voulez poursuivre les organisateurs, il faudra juger les 2 800 syndiqués des Deux-Sèvres. » Pour Nicolas Garrigues, des Soulèvements de la Terre – accusés des mêmes faits pour le 29 octobre 2022 et le 25 mars 2023 –, « il est insupportable aux autorités que des milliers de personnes décident, de leur propre chef, de prendre le risque de braver l’interdiction préfectorale car la cause qu’elles défendent leur paraît plus importante. »
Confusion juridique et légitimité de la lutte
Pendant les débats, même le président, Eric Duraffour, n’a cessé de s’emmêler les pinceaux entre participation et organisation d’une manifestation interdite et a fini par se questionner ouvertement sur le changement d’une qualification juridique. La participation à une manifestation interdite n’est passible que d’une amende forfaitaire de 135 euros. Cette confusion a continué de s’étendre à tous les sujets, à mesure que les prévenus clamaient leurs textes, mettant en accusation le modèle agricole véhiculé par le système des mégabassines, le réchauffement climatique ou encore la répression du gouvernement. Le président a tenté de questionner les prévenus sur leur supposée responsabilité pour les violences ayant émaillé les manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline, rappelant qu’aucun d’entre eux n’était accusé de ces violences volontaires, même si deux – Julien Le Guet et Joan Monga – comparaissent notamment pour participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations.
C’est la légitimité de la lutte et sa stratégie qui sont ainsi pointés. « La position de l’État, c’est de dire qu’il était là pour protéger une installation. Vous imaginez bien que plus vous avanciez vers celle-ci, plus les forces de l’ordre étaient légitimes à utiliser la force », a lancé Eric Duraffour. Silence dans la salle. Quelques-uns des prévenus avaient déjà mis en cause le maintien de l’ordre et ne comptent pas se répéter. « Je ne répondrai pas à vos questions tant que les gendarmes et la préfète ne seront pas soumis, eux aussi, à la question », a lancé Joan Monga, avant de prévenir que quelle que soit l’issue de ce procès, « le mouvement populaire continuera et ces interdictions de manifester continueront d’être inopérantes. Ce qui peut le faire cesser, ce ne sont ni les condamnations, ni l’interdiction, ni même les grenades mais un véritable partage de l’eau. » Les organisations appellent à un moratoire sur les mégabassines.
Le procès de la désobéissance civile
À quelque centaine de mètres du tribunal judiciaire de Niort, dans la moiteur de la fin d’été la plus chaude jamais enregistrée en France, un grand moment festif en soutien aux mis en cause rassemblait 2 000 personnes selon la police, 5 000 selon les organisations. La manifestation a été interdite aux abords même du tribunal. Elle s’est déroulée sur une place du centre ville, accueillant plusieurs députés de la Nupes ainsi que des responsables syndicaux. Tous ont dénoncé un procès « politique » et la mise en accusation de la désobéissance civile, fustigée la veille par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences commises lors des manifestations.
Sans désobéissance civile, les femmes n’auraient pas le droit de vote.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
« On a le droit, disent certains, quand on est porteur d’une cause légitime de ne plus obéir à la loi. C’est infernal », avait-t-il lancé. « Parfois, les lois sont injustes et il faut les contester, lui a rétorqué Sophie Binet, interrogée par BFM TV à Niort. Sans désobéissance civile les femmes n’auraient pas le droit de vote, l’apartheid serait encore en cours en Afrique du sud et les lois raciales seraient encore appliquées aux États-Unis. » Dans le tribunal judiciaire, les débats reflétaient ce rapport de force. « En réalité, on n’est pas là pour une vanne d’irrigation, on est là pour casser des auteurs de manifs, a déclaré Sébastien Wyon, petit éleveur de chèvres, membre de la Confédération paysanne de l’Ariège, accusé de vol aggravé lors d’une opération de « démontage » d’une vanne d’irrigation sur le terrain d’un agriculteur, début octobre 2022.
La Confédération paysanne s’était désolidarisée de cette action et M. Wyon se défend d’y avoir participé. « Quand la Confédération paysanne fait des démontages, elle le fait sciemment devant la presse. Elle restitue les éléments. Pourquoi changerait-on de méthode ? », questionne-t-il, avant de lancer : « Aujourd’hui tout le monde est satisfait qu’on n’ait pas d’OGM mais qui a été à l’origine de la lutte anti OGM ? » Le président Duraffour tente de revenir sur les éléments photographiques issus d’un article de presse. Sur certaines photos, on aperçoit M. Wyon le long d’une canalisation, pioche à la main. L’éleveur prétend que la photo, ni datée, ni géolocalisée, ne correspond pas au lieu où la vanne a été dégradée : différentes actions auraient eu lieu autour de cette canalisation longue de plusieurs kilomètres.
Au tribunal, deux visions de l’agriculture s’opposent : sur le banc des parties civiles, l’un des agriculteurs propriétaires de la canalisation endommagée répond aux questions très techniques les concernant. À ses côtés, défendu par le même avocat, le représentant local de la coopérative de l’eau. Celle-ci demande plus d’un million d’euros de dommages et intérêts aux militants. « L’estimation du coût des dégradations mais aussi de la prise en charge des surcoûts de sécurité notamment en gardiennage », explique Maître Sébastien Rey.
Mais les parties civiles n’auront pas le temps de s’exprimer. Après sept heures de procès, l’audience est suspendue à la demande des avocats de la défense. Au regard de l’heure (22 heures environ) et du nombre de témoins à entendre – cinq pour la défense et deux pour les parties civiles – sans oublier les réquisitions et les plaidoiries, ils ont estimé que la sérénité des débats ne pouvait être assurée. La stratégie du parquet – responsable de l’audiencement et du choix de condenser toutes ses affaires en une seule – est pointée du doigt. « À vouloir instrumentaliser politiquement le tribunal de Niort pour tenter maladroitement de marquer un coup d’arrêt au mouvement contre les mégabassines, le parquet a produit aujourd’hui une démonstration d’amateurisme », ont raillé les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci et la Confédération paysanne, dans un communiqué diffusé tard ce vendredi. Reprise du procès le 28 novembre.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don