Violences policières : pour les familles, quelques victoires symboliques

Face à l’avalanche de non-lieux, les familles se tournent souvent vers le civil pour faire condamner l’État. Certaines y parviennent. Pour le versant pénal, les policiers restent très souvent impunis. Les familles racontent leurs combats victorieux.

Ludovic Simbille  et  Hugo Boursier  et  Pierre Jequier-Zalc  • 27 septembre 2023 abonnés
Violences policières : pour les familles, quelques victoires symboliques
Manifestation contre les violences policières et le racisme systémique, samedi 23 septembre 2023, à Paris.
© Michel Soudais

C’est suffisamment rare pour ne pas laisser indifférent. Alors que l’immense majorité des affaires de violences d’État aboutit à un non-lieu, certaines d’entre elles finissent parfois par une condamnation de l’État au civil ou par la Cour européenne des droits de l’Homme. Les cas où les policiers sont condamnés au pénal relèvent de l’exception. Victimes et familles nous racontent ici leur combat récompensé, après de longues procédures, par une victoire. Forte, mais souvent symbolique.

Jessica Koumé, épouse d’Amadou, mort le 6 mars 2015

« Amadou Koumé est mort le 6 mars 2015 d’un œdème pulmonaire survenu dans un contexte d’asphyxie et de traumatisme cervical. Il a été victime d’une clé d’étranglement et d’un plaquage ventral alors qu’il se trouvait en état de détresse psychologique. À partir de ce moment, le combat commence pour nous. Malgré une autopsie et une vidéo accablante, le parquet et l’IPGN classent l’affaire sans suite… Mais l’autopsie et la vidéo sont claires : Amadou a été sauvagement étranglé, maintenu au sol et menotté sur le ventre pendant plus de six minutes. Nous avons saisi le doyen pour demander l’ouverture d’une instruction avec constitution de partie civile.

Les policiers ont été reconnus coupables mais condamnés à une peine symbolique de 17 mois de sursis. Amadou avait besoin d’aide. Il a trouvé la mort !

Une fois l’instruction ouverte, nous avons obtenu les mises en examen pour violence volontaire ayant entraîné la mort qui seront requalifiées en homicide involontaire en fin d’instruction. Un procès a eu lieu en juin 2022. Les policiers ont été reconnus coupables mais condamnés à une peine symbolique de 17 mois de sursis. Amadou avait besoin d’aide. Il a trouvé la mort ! La reconnaissance de culpabilité nous a apaisé. Car conscients que, dans ce type d’affaires, les victimes sont criminalisées et rendues coupables de leur propre mort, il est rare d’obtenir un jugement.

Sur le même sujet : Morts suite à un tir policier : des chiffres records en 2021 et 2022

L’impunité policière et le silence coupable que cultive le gouvernement français depuis des décennies au sujet de ce type d’affaire allument la mèche et nourrit la colère. Mais l’État fait semblant de ne pas comprendre. Avant de fustiger ce qui se passe aux États-Unis, occupez-vous de vos Georges Floyd ! En France aussi, le vase déborde. »

Amal Bentounsi, sœur d’Amine, mort le 21 avril 2012

« Mon frère Amine Bentounsi a été tué d’une balle dans le dos à Noisy-le-Sec dans la nuit du 21 avril 2012. Il devait purger une peine de quelques mois de prison pour payer sa dette à la société, alors à la vue de ce contrôle de police, il a préféré fuir, pour être libre, pensait-il. Mais c’est la mort qui l’a trouvé. Il a été tué par un policier, Damien S., condamné à cinq ans de sursis en appel à Paris après un premier acquittement. Une condamnation en demi-teinte pour avoir tué un homme d’une balle dans le dos. Comme si la vie de mon frère ne valait que cinq ans de sursis ! C’est une peine immense et incommensurable. Il aura fallu quelques années de combat et de radicalité dans mes propos pour que la justice condamne ce policier.

Il aura fallu quelques années de combat et de radicalité dans mes propos pour que la justice condamne ce policier.

Mais, aujourd’hui, le meurtrier de mon frère a repris du service et de nouveau il peut reprendre son arme et l’user, par exemple, pour des refus d’obtempérer. Doit-on accepter que notre jeunesse puisse perdre la vie pour un défaut de permis ? Nous demandons que la loi de 2017 soit abrogée pour éviter d’autres victimes (voir la pétition en ligne réclamant son abrogation). Nous exigeons une justice indépendante de l’autorité policière pour en finir avec les non-lieux. Ce combat a été mené contre l’impunité policière mais aussi contre ce monstre froid qui sommeillait en moi.

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Pour trouver la paix, il faut que justice soit faite pour nos défunts. Si vous voulez comprendre ce qui a amené des jeunes à se révolter après la mort de Nahel et ce qui n’a pas fonctionné depuis des décennies, c’est que les policiers qui tuent des Noirs et des Arabes ne sont jamais condamnés depuis plus de quarante ans. À l’aube de l’anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme du 3 décembre 1983, rien n’a changé. »

Fatou Dieng, sœur de Lamine, mort le 17 juin 2007 

« Le 17 juin 2007, Lamine Dieng avait 25 ans. Il était en bonne santé et heureux de vivre quand il a perdu la vie dans des conditions atroces, aux mains de la police, appelée pour tapage nocturne à Paris (XXe). Seul, non armé, ne menaçant aucune vie, Lamine est plaqué face contre terre, chevilles sanglées et menottes aux mains, un bras passé par-dessus l’épaule et l’autre replié dans le dos. Il est traîné sur le bitume avant d’être jeté sur le plancher du fourgon de police.

Comme dans de nombreux cas, les policiers n’ont jamais été suspendus, ni condamnés mais, promus.

Un agent s’agenouille sur sa tête pendant que deux autres, accroupis sur ses épaules, compriment son thorax. Un quatrième agent s’agenouille sur ses jambes repliées jusqu’au bassin. Son calvaire dure une demi-heure au cours de laquelle Lamine agonise, écrasé sous le poids des policiers, soit près de 300 kilos ! Notre famille est prévenue 36 heures après les faits, en nous annonçant… un accident sur la voie publique. L’IGS conclut que Lamine Dieng est mort… « naturellement d’un arrêt cardiaque »… Nous déposons plainte avec constitution de partie civile. En 2017, la Cour de cassation confirme les premiers non-lieux. Dix ans d’instruction pour s’entendre dire qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour poursuivre les tueurs de Lamine.

Au bout de 13 ans de confrontation judiciaire, l’État français reconnaît enfin devant la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020, la torture infligée à Lamine, en indemnisant sa famille… Comme dans de nombreux cas, les policiers n’ont jamais été suspendus, ni condamnés mais, promus. Est ce la norme dans un État « démocratique » qu’un crime raciste perpétré par des agents assermentés reste impuni ? »

Salah Zaouiya, père de Jawad, mort entre le 22 au 23 juillet 1996

« Après la mort d’un jeune homme poursuivi par les gendarmes, le 8 juillet 1996, le quartier du Val Fourré, à Mantes-la-Jolie, s’embrase. Le lendemain, mon fils Jawad, âgé de 20 ans, choisit de partir au centre-ville pour contenir ces événements. Il est arrêté le 10 et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt du Bois-d’Arcy.

Le 17 octobre 2003, le juge du tribunal administratif de Versailles accorde la parole à la famille. C’est inédit.

Dans la nuit du 22 au 23 juillet, l’un de ses codétenus appelle le surveillant. Il exige le transfert du détenu de la cellule voisine qui souffre d’une infection cutanée. Le surveillant refuse. Le détenu met le feu aux matelas. Les pompiers arrivent mais s’égarent dans la prison. Plus tard, le Samu constate la mort de Jawad et de son codétenu. Un parcours du combattant démarre : classement sans suite, ordonnance de non-lieu, demande de contre-expertise, non-lieu confirmé par la cour d’appel… Puis le 17 octobre 2003, le juge du tribunal administratif de Versailles accorde la parole à la famille. C’est inédit.

Le 2 février 2006, la chambre administrative retient trois fautes : le matelas hors-norme, la défaillance du système d’évacuation des fumées toxiques et la non-possession des clefs du local anti-incendie par le surveillant. Après le pourvoi en cassation de Pascal Clément, ancien garde des Sceaux, le Conseil d’État finit par condamner l’État français. Depuis le début, des gens me disaient que je me battais contre un mur. Ma détermination, ainsi que celle de ceux qui m’ont épaulé, l’ont mis à terre. Jawad, tu es et resteras dans mon cœur. Depuis 25 ans, mon message reste le même : plus jamais ça. En France, les prisons sont d’un autre temps. L’État doit prendre ses responsabilités sur les conditions de détention. »

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