« Anima (Ex) Musica », le bestiaire chimérique

Transformant des instruments de musique usagés en mouvantes sculptures animalières, le très singulier projet Anima (Ex) Musica se déploie avec une douce irrévérence poétique à travers le prestigieux Musée de la musique.

Jérôme Provençal  • 25 octobre 2023 abonnés
« Anima (Ex) Musica », le bestiaire chimérique
Le principe : redonner vie à des instruments de musique hors d’usage sous la forme d’installations sculpturales et sonores inspirées d’animaux de l’embranchement des arthropodes (insectes, arachnides).
© Gil Lefauconnier

Anima (Ex) Musica / jusqu’au 7 janvier 2024 / Musée de la musique / Philharmonie de Paris

Tout a commencé par un scarabée, plus exactement un lucane cerf-volant. Constitué avec des fragments de deux pianos droits et rendu beaucoup plus grand que nature, cet insecte hors normes a pris forme en 2013. Il a été suivi en 2014 par une sauterelle XXL faite d’éléments provenant de deux pianos. C’est à partir de là que le projet Anima (Ex) Musica, porté par le collectif Tout reste à faire, s’est véritablement enclenché. Le principe : redonner vie à des instruments de musique hors d’usage sous la forme d’installations sculpturales et sonores inspirées d’animaux de l’embranchement des arthropodes (insectes, arachnides).

Enrichi au fur et à mesure, ce bestiaire chimérique compte actuellement seize créatures, d’une punaise à une cigale en passant par un doryphore, une néphile (araignée) ou une scolopendre – la plus imposante de la bande, riche d’une vingtaine de paires de pattes. Si les deux premières sont silencieuses et immobiles, les suivantes bougent – via de légers mouvements, vibratoires ou ondulatoires – et diffusent des compositions musicales qui se déclenchent lorsqu’on s’en approche.

Instigateur du projet, le graphiste et plasticien Mathieu Desailly conçoit et dessine chaque création. Avec autant d’ingéniosité que de dextérité, le scénographe et constructeur Vincent Gadras se charge ensuite de la réalisation et de l’animation. Enfin, le très éclectique musicien David Chalmin signe une partition spécifiquement adaptée dont l’orchestration fait écho aux instruments utilisés pour la fabrication.

Ce qui importe, c’est le plaisir de fabriquer, de prendre le temps de faire la chose la plus belle ou poétique possible.

Mathieu Desailly

La réalisation s’effectue en public pour une large part grâce à un atelier mobile, déplacé de lieu en lieu. La durée du processus constructif varie beaucoup suivant l’animal pris en modèle : de quelques jours (la sauterelle) à un an (la scolopendre). De plus en plus pointilleux et précis, nos trois artisans entomologistes font face au succès croissant de leur entreprise sans verser dans la surenchère productive – bien au contraire. « Ce qui importe avant tout, pour nous, c’est le plaisir de fabriquer, de prendre le temps de faire la chose la plus belle ou poétique possible », souligne Mathieu Desailly.

Au tout début, les instruments usagés ont été dénichés via la filière Emmaüs. Ensuite, les conservatoires de musique se sont révélés de précieux fournisseurs, la remise en état d’un instrument abîmé ou défraîchi étant souvent plus coûteuse que l’acquisition d’un neuf. « Aujourd’hui, des particuliers nous contactent régulièrement, notamment des veuves qui nous apportent les instruments dont jouait leur mari, ajoute Mathieu Desailly. Les voyages peuvent aussi être fructueux. Récemment, nous avons ainsi pu récupérer plusieurs manches de kora lors d’un séjour au Sénégal. »

« Une discrète revanche sociale des petits sur les grands »

Ni détruits ni cassés, les instruments sont démontés puis remontés avec minutie pour prendre une autre vie. «Le projet tend à rendre plus visibles non seulement des animaux de très petite taille, souvent mal aimés ou dénigrés, mais également les parties cachées d’instruments de musique parfois rares ou étranges, comme le ukulélé. L’instrument originel doit toujours être identifiable», précise Mathieu Desailly.

Actuellement, la Philharmonie de Paris accueille treize créations du projet Anima (Ex) Musica, disséminées au cœur de la faste collection permanente du Musée de la musique, riche de plus de mille pièces en exposition (instruments et œuvres d’art) – l’ensemble couvrant quatre siècles d’histoire de la musique occidentale et offrant en outre un bel écrin aux musiques d’ailleurs, notamment d’Afrique et d’Asie.

Grâce à une scénographie inventive, le parcours suscite tout du long surprises et émerveillements. La magie opère totalement lorsque l’animal musical se met en branle et émet du son, donnant l’illusion qu’il génère la musique lui-même. Sous un angle plus politique, on peut aussi, comme le suggère malicieusement Mathieu Desailly, interpréter l’irruption de ces créations « de seconde main » au milieu des instruments les plus nobles comme « une discrète revanche sociale des petits sur les grands ».

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Exposition
Temps de lecture : 4 minutes