Ariane Lavrilleux : « C’est notre droit à tous d’être informés qui est en jeu »
La journaliste d’investigation, placée en garde à vue suite à une enquête sur l’Égypte, évoque ses inquiétudes sur les menaces qui pèsent sur liberté de la presse en France.
La journaliste d’investigation a été perquisitionnée et placée en garde à vue après une enquête dévoilant une campagne d’exécutions arbitraires – orchestrée par la dictature égyptienne avec la complicité de l’État français – publiée sur Disclose. Aujourd’hui, Ariane Lavrilleux s’inquiète pour toute une profession mais aussi pour tous les citoyens. Elle les invite à se mobiliser pour défendre le droit d’informer et d’être informé.
Quel regard portez-vous sur ce qu’il vient de vous arriver ? Cela peut-il avoir un impact sur votre pratique journalistique, et plus généralement sur le journalisme ?
À travers mon arrestation, l’objectif est d’intimider toutes les sources des journalistes ayant accès à des informations plus ou moins sensibles. De fait, elles vont avoir peur de les transmettre à la presse. Et ça, c’est très grave, c’est une entaille très inquiétante dans la liberté de la presse et d’informer. C’est d’ailleurs déjà en train de se produire. Plusieurs journalistes m’ont dit que leurs sources dans des administrations ou l’armée ne voulaient plus communiquer, dans les jours qui ont suivi mon arrestation. Ça a créé un climat de peur, même sur des sujets pas du tout confidentiels. Aujourd’hui, des sources se gardent bien de commenter par téléphone avec les journalistes. C’est très inquiétant : ça crée une atmosphère de paranoïa pour tout le monde.
On m’a arrêtée parce que j’ai participé à révéler des informations d’intérêt public.
Demain, mardi 3 octobre, s’ouvrent les États généraux de l’information. Vous en attendez quelque chose ?
J’en attends beaucoup parce que ce que j’espère, c’est la discussion de l’application du principe de la protection des sources. Il faut qu’il en sorte des propositions très concrètes pour amender la loi Dati de 2010 qui, par son flou juridique, a permis mon arrestation, ma perquisition et tout un tas d’autres attaques contre des journalistes (1). Il faut absolument que ces États généraux de l’information soient l’occasion de revoir les lois censées protéger la liberté d’informer.
Article 2 : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. (…) Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. »
C’est aussi une occasion exceptionnelle pour la profession et les citoyens de se mobiliser et dire leur attachement à la liberté d’informer. De le dire entre nous, mais aussi aux autorités ou au gouvernement, puisque ces États généraux sont une idée du président de la République, financés par des fonds publics. C’est une opportunité exceptionnelle d’améliorer les choses et de faire un pas en avant, plutôt qu’entériner l’immense recul de la liberté de la presse qui se profile actuellement en France.
Comment faire face à tout ça en tant que journaliste et citoyen ?
Les citoyens et les citoyennes ont un grand rôle à jouer. Tant que l’opinion publique ne se mobilise pas, les députés et les parlementaires ne considéreront pas ça comme un sujet important. Si c’en est un, si les lecteurs – ceux de Politis par exemple – le pensent, il faut le dire. Il faut le faire publiquement, sur les réseaux, mais aussi à leurs députés. Leur écrire, leur demander de se positionner et de poser des questions au gouvernement, d’agir concrètement pour renforcer la protection des sources. Ce sont eux qui font les lois.
Ce n’est pas une petite question corporatiste.
Ça peut prendre la forme de rassemblements aussi, comme à Lyon, Strasbourg et Marseille ce 3 octobre devant les palais de justice, pour rappeler à l’institution son devoir de protéger la liberté d’informer. Il peut aussi s’agir de pétitions en ligne. Il faut bien avoir en tête que si des journalistes sont attaqués, c’est notre droit à tous d’être informés sur ce que font les gouvernements qui est en jeu. Ce n’est pas une petite question corporatiste. On ne m’a pas arrêtée parce que j’ai commis un délit de droit commun, mais parce que j’ai participé, avec d’autres journalistes, à révéler des informations d’intérêt public. Voilà ce qui est en jeu.
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