Aux États-Unis, les salariés en grève de Ford remportent un accord historique
Après six semaines de grèves, un accord de principe, historique, a été trouvé entre Ford, l’un des trois géants de l’automobile américains, et l’United Auto Workers (UAW), le syndicat des travailleurs du secteur. Il prévoit 25 % d’augmentation salariale.
25 % d’augmentation salariale sur quatre ans avec un bond de 11 % dès la première année. Une hausse de 68 % du salaire minimal. Une large accélération pour atteindre le plein salaire au bout de trois ans – contre huit auparavant. Une amélioration des retraites et un élargissement du droit de grève. L’énumération – non exhaustive – parle d’elle-même. L’accord de principe trouvé entre le puissant syndicat de l’automobile américain United Auto Workers (UAW) et Ford, ce jeudi, a tout d’historique. Même s’il doit encore être validé par les salariés, les journaux américains estiment qu’il offre « les meilleures conditions de travail » aux salariés du groupe « depuis des décennies ». « C’est le meilleur contrat que j’aie vu au cours de mes 30 années chez Ford », raconte, par exemple, au New York Times, Robert Carter, 49 ans, salarié chez Ford.
C’est le meilleur contrat que j’aie vu au cours de mes 30 années chez Ford.
Vu de France, un tel accord paraît improbable. Pourtant, il a été obtenu après un mouvement social d’envergure qui a su imposer un rapport de force devenu intenable pour le géant de l’automobile. Tout commence mi-septembre, quand l’UAW, le puissant syndicat des travailleurs de l’automobile, décide de lancer une grève coordonnée au sein des trois plus grands groupes du secteur : Ford, Général Motors (GM) et Stellantis, qu’on surnomme d’ailleurs les Big Three. Un mouvement inédit, UAW n’osant habituellement pas se frotter aux trois géants en même temps.
Cette fois, pourtant, la période le permet. Près de quinze ans après la crise de 2009, qui avait forcé les salariés à faire d’importantes concessions sur leur condition de travail, la situation s’est inversée. Les profits de ces entreprises caracolent à des niveaux importants – indécents diront certains. Ainsi, sur le seul premier semestre 2023, Ford a engrangé 3,5 milliards d’euros de bénéfices, GM 4,7 milliards et Stellantis 11 milliards d’euros. En parallèle, face à l’inflation galopante (plus de 15 % outre-Atlantique), les salaires stagnent. Depuis 1979, le salaire médian réel a augmenté seulement de 9 % aux États-Unis.
S’attaquer aux trois géants de front
UAW a donc décidé de s’attaquer aux trois géants de front, avec une stratégie élaborée : pour éviter une grève massive mais potentiellement épuisante pour les travailleurs et donc courte, le syndicat a préféré cibler les entreprises les plus rentables de ces groupes. À l’origine de cette stratégie, le nouveau président d’UAW, Shawn Fain, considéré comme bien plus progressiste que l’ancienne présidence du syndicat.
Comme nous le disons depuis des mois : des bénéfices records équivalent à des contrats records.
Shawn Fain, UAW
Pour Ford, qui a été présenté durant ce conflit comme le géant le plus ouvert aux discussions, le dernier coup de butoir est intervenu en début de semaine lorsque UAW a mis à l’arrêt la plus grosse entreprise de General Motors, dans le Texas, de Ford Motor dans le Kentucky et de Stellantis. Un signe fort de détermination, six semaines après le début de ce mouvement social d’envergure. « Un nouveau trimestre record, une nouvelle année record. Comme nous le disons depuis des mois : des bénéfices records équivalent à des contrats records », déclare alors Shawn Fain dans un communiqué.
Outre-Atlantique, ce conflit social est surtout devenu hautement politique. Joe Biden a ainsi soutenu les grévistes en se rendant sur un piquet de grève dans le Michigan fin septembre. La veille d’une visite programmée par Donald Trump, à moins d’un an de la future élection présidentielle. « Cet accord de principe offre une augmentation record aux travailleurs de l’automobile qui ont tant sacrifié pour garantir que nos trois grandes entreprises emblématiques puissent toujours dominer le monde en matière de qualité et d’innovation », s’est félicité le président américain, qui s’autoproclame le président le plus « pro syndicat » de l’histoire du pays.
Ce soutien politique s’explique aussi par une opinion publique américaine très largement favorable à ce mouvement social – environ 75 % des Américains le soutiennent. Un soutien qui s’explique par un sentiment d’injustice qui dépasse les frontières étasuniennes, entre hausse massive des profits et stagnation des salaires. Et par un démontage en règle des arguments néolibéraux. Ainsi, les opposants à cette grève n’ont eu cesse de répéter qu’une amélioration des conditions de travail des travailleurs du secteur automobile entraverait la transition vers le tout électrique. Le New York Times raconte ainsi qu’au début du mouvement, le directeur général de Ford Motor déclarait que ce conflit pourrait obliger l’entreprise à abandonner ses investissements dans les véhicules électriques.
Le vent dans le dos
Des arguments, aujourd’hui, balayés par les experts industriels. « Rien dans l’accord trouvé ne tuera leur compétitivité », explique au quotidien new-yorkais Joshua Murray, professeur agrégé à l’Université Vanderbilt qui souligne que « l’accord pourrait même aider Ford, car l’accord passé, qui s’étend sur quatre ans, garantit l’absence de nouveau conflit social pendant une phase intense de transition vers les véhicules électriques ». Désormais, la question qui reste en suspens concerne les deux autres géants du secteur qui n’ont toujours pas cédé. Les pertes accumulées du fait de ce mouvement social commencent à être conséquentes.
Et UAW ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Preuve en est : Shawn Fain, avant même que l’accord de principe soit validé par les syndiqués, à demander aux travailleurs de Ford de reprendre le travail. L’objectif ? Mettre General Motors et Stellantis au pied du mur face à un concurrent qui tournerait à plein régime lorsqu’eux resteraient englués dans ce conflit social. Car après six semaines de grève, les travailleurs ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Désormais, ils ont le vent dans le dos pour conquérir parmi les plus importantes avancées sociales de ces quarante dernières années pour des travailleurs américains minés par le néolibéralisme.
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