En Pologne, l’espoir de retrouver les rails de la démocratie
Des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Varsovie le 1er octobre contre le gouvernement. Après huit années de politiques liberticides de la droite nationaliste, une partie de la société polonaise attend beaucoup des élections législatives du 15 octobre prochain.
L’automne est bien installé en Pologne, mais c’est un parfum de printemps des peuples qui flotte dans les rues de Varsovie. Ce dimanche 1er octobre, près d’un million de Polonais se sont rassemblés dans la capitale pour protester contre le gouvernement nationaliste, jugé coupable de politiques liberticides depuis son arrivée au pouvoir il y a huit ans. Après 1848 (date de l’insurrection contre la Prusse), et 1989 (contestation menant à la chute de l’URSS), cette mobilisation s’inscrit dans la lignée de ces événements charnières de l’histoire du pays. Et l’effervescence populaire affichée apparaît comme porteuse d’espoir : une bonne partie du peuple aspire à raccrocher les wagons de la société polonaise, en proie à de fortes régressions sur le plan des libertés, afin de retrouver les rails d’un régime démocratique.
Organisée à l’initiative de Donald Tusk, leader de l’opposition, cette marche antigouvernementale constitue l’un des plus grands rassemblements de l’histoire du pays. À moins de deux semaines des prochaines élections législatives, le 15 octobre, la coalition menée par l’ancien président du Conseil de l’Europe a frappé un grand coup auprès de l’opinion publique. Ce scrutin très attendu suscite l’espoir d’un changement de ligne politique, impliquant des améliorations sociétales sur le plan des droits et des libertés.
« On ne peut pas continuer comme ça »
Il faut dire que depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS) en 2015, la Pologne cristallise les critiques. Les politiques liberticides qui y sont menées engendrent de vives inquiétudes aux échelles nationales et internationales, alors que gouvernement de Jarosław Kaczyński affiche son mépris pour l’État de droit : réforme du système judiciaire affectant l’indépendance des magistrats, concentration de la presse dans les mains de proches du gouvernement, réduction des droits de la communauté LGBTQIA+, etc. Les entraves aux droits et aux libertés fondamentales sont nombreuses, et ont atteint leur apogée lors de la promulgation de la loi anti-IVG en janvier 2021.
Cette loi réduit l’accès à l’avortement à des conditions spécifiques : danger avéré pour la mère et cas de viol ou d’inceste. Dagmara, jeune doctorante en sciences, appelle à la mobilisation lors des élections du 15 octobre prochain : « Les femmes doivent absolument se mobiliser parce que les lois du gouvernement, et notamment la loi anti-avortement, nous mettent en danger. On a de plus en plus peur, surtout quand on tombe enceinte. La date de ce rassemblement n’a rien d’anodin, et montre qu’il y a une vraie contestation face au pouvoir en place. Nous devons nous mobiliser et aller voter pour la coalition qui supporte la société moderne. » Néanmoins, la jeune femme de 29 ans tempère son enthousiasme vis-à-vis de Donald Tusk : « On n’oublie pas que Tusk nous a déjà gouvernés par le passé, et qu’il n’a pas tout bien fait. Ce n’est pas un choix de qui on veut, mais de qui on ne veut pas », rappelle-t-elle.
Les femmes doivent absolument se mobiliser parce que les lois du gouvernement nous mettent en danger.
Dagmara
Kuba, étudiant en master d’affaires internationales à l’université de Gdansk, attend beaucoup du scrutin : « On ne peut pas continuer comme ça. Ils prennent notre liberté d’expression, ils discriminent les femmes, ils nous obligent à adhérer à l’idéologie conservatrice et catholique. Je suis contre ce gouvernement ouvertement raciste, homophobe et eurosceptique. J’espère que la mobilisation de dimanche dernier va créer quelque chose qui se traduira dans les urnes », confie-t-il.
Le camp progressiste gagne du terrain
Très marquée au sein de la jeunesse polonaise, cette volonté de rupture ne date pas d’hier. Elle infuse depuis plusieurs mois, dans un camp progressiste qui ne cesse de gagner du terrain. Le 4 juin dernier, plus de 500 000 personnes s’étaient déjà rassemblées dans une marche antigouvernementale. Cette fois-ci, ils étaient deux fois plus nombreux, et le timing semble opportun pour que la contestation exprimée dans la rue trouve une suite concrète dans les urnes.
Malgré un retard dans les derniers sondages, Donald Tusk peut compter sur le soutien des autres partis de l’opposition pour recueillir un nombre de voix suffisant et former un gouvernement. Son parti incarne une ligne proeuropéenne, à laquelle la société polonaise est attachée alors que la forte inflation de plus de 17 % qui sévit actuellement et le contexte socio-économique lui sont plutôt favorables.
Au-delà de rompre avec les politiques illibérales du PiS – parti Droit et justice au pouvoir –, ce regain de mobilisation peut aussi s’expliquer par les récentes tensions entre Kiev et Varsovie. Depuis le printemps dernier, le gouvernement de Jarosław Kaczyński se montre frileux dans son soutien à l’Ukraine, jusqu’à annoncer l’arrêt de la livraison d’armes à son voisin au mois de septembre. Par son histoire, le peuple polonais, longtemps écrasé par la Russie, pourrait avoir mal accueilli ce manque de soutien assumé aux Ukrainiens. Un facteur qui nourrit encore un peu plus la contestation actuelle.
Autant d’éléments qui constituent des réels motifs d’espoir en vue d’un retour des valeurs démocratiques, des droits et des libertés fondamentales en Pologne. Une victoire de Donald Tusk prendrait également le contrepied de l’extrême droitisation ambiante qui ne cesse de s’étendre en Europe ces dernières années.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don