Villes : « Il y a un vrai problème d’ambition lié à l’orientation politique de ce gouvernement »
Gilles Leproust, maire d’Allonnes et président de l’association des maires Ville et Banlieue de France revient sur le comité interministériel des villes, tenu le 27 octobre. S’il reconnaît des avancées, il critique le manque d’ambition et le trop grand flou de certaines annonces.
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« Le Repaire des contraires », le théâtre dans les cités Quatre mois après les émeutes, Borne ne jure que par la surenchère sécuritaireAprès quatre reports successifs, le comité interministériel des villes a enfin eu lieu vendredi 27 octobre à Chanteloup-les-Vignes (78). Chargé de définir la politique de la Ville – qui concerne près de 1 500 quartiers et plus de 5 millions d’habitants –, il a réuni Élisabeth Borne entourée de treize ministres, une centaine de maires de banlieue et des représentants associatifs. Gilles Leproust, maire d’Allonnes (72) et président de l’association Maires Ville et Banlieue de France, qui fête ses 40 ans, était présent. S’il salue quelques mesures proposées, il juge le projet gouvernemental peu ambitieux et comportant de nombreuses zones floues.
Jeudi 26 octobre, à la veille du comité interministériel des villes (CIV), Élisabeth Borne a fait des annonces sécuritaires en réponse aux émeutes. Que pensez-vous de ce calendrier ?
Gilles Leproust : Nous nous sommes interrogés sur cette proximité entre les deux dates. Nous avions été informés au moment du report du comité Interministériel des villes du 5 octobre, que les services de la Première ministre voulaient réunir une commission nationale de la refondation (CNR) « post émeute » avant le CIV. Ils disaient qu’il s’agissait de différencier cette commission du CIV pour ne pas limiter la réponse aux émeutes aux Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) puisqu’un tiers des émeutes n’ont pas eu lieu dans ces QPV. Tout ça pour finalement arriver à deux initiatives très proches, l’une jeudi et l’autre vendredi où l’on voit bien, dans l’argumentation gouvernementale, qu’en réalité, un lien est fait entre ce volet sécuritaire et le volet « social ». Pour nous c’est une drôle de réponse d’associer les deux.
À cette occasion, Élisabeth Borne a repris une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022 : la création de forces d’action républicaine (FAR) – dont on peine à comprendre les contours. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je vous rassure : nous n’avons pas compris non plus. Ça sort du chapeau sans que nous sachions réellement de quoi il en retourne. Ils prétendent vouloir tester cela dans trois villes. On va demander des précisions. Il y a des aspects dans ces propositions sécuritaires qui nous ennuient franchement comme la stigmatisation des mamans seules ou encore les stages pour les jeunes délinquants : on se demande qui va être capable de mettre concrètement ça en place. Quand on voit les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ce n’est pas gagné ! Plein de choses ont été dites et annoncées et dont on peine à comprendre comment elles vont se traduire concrètement. Pour nous, le droit à la tranquillité et à la sécurité est légitime mais il passe par de l’humain, par un renforcement des services publics en termes de personnels. Or à ce niveau, le compte n’y est pas.
Sur le terrain, on continue de manquer de juges, de policiers, d’éducateurs ou d’enseignants.
Élisabeth Borne, dans son discours à Chanteloup-les-Vignes, s’est pourtant félicitée des actions du gouvernement ces 6 dernières années…
Dans ses propositions, elle a beaucoup recyclé des mesures déjà faites ou annoncées. Le dédoublement des classes de CP et CE1 par exemple, qui est effectivement apprécié et que le gouvernement veut élargir à la maternelle. Mais cela se fait parfois au détriment d’autres classes. Il y a aussi le changement de calendrier du bac pour permettre une prise en charge par l’Éducation nationale des adolescents jusqu’à fin juin, ou encore les colos apprenantes. Mais tout cela avait déjà été annoncé bien avant. Certes, le gouvernement se targue de l’augmentation du recrutement dans les services publics mais on ne nous dit jamais combien il y a de départs. On ne connaît pas le différentiel et, sur le terrain, on continue de manquer de juges, de policiers, d’éducateurs ou d’enseignants.
Concernant l’école, vous avez obtenu gain de cause sur une revendication forte que l’association des maires Ville et banlieue de France porte depuis longtemps : la généralisation des cités éducatives – mesure issue du plan Borloo qui vise à renforcer l’accompagnement des enfants et des jeunes à chaque étape de leur parcours. C’est une victoire ?
Oui, nous avons obtenu un engagement financier pour permettre aux villes qui le veulent de mettre en place ces cités éducatives : déjà, dans le budget 2024, le montant dédié est supérieur à celui de 2023. C’est une avancée. La cité éducative est très efficace mais à condition d’avoir le personnel suffisant. Nous avons besoin d’enseignants et d’éducateurs pour que cela fonctionne. Sinon, cela ne marche pas.
Le premier axe de l’engagement gouvernemental est la transition écologique, qui était aussi une des demandes de Ville et Banlieue.
Ils ont accédé à notre demande de cibler 15 % du « fond vert » (une aide aux collectivités territoriales pour la transition écologique, N.D.L.R.) sur les QPV. Mais il faut un cadrage national dans les préfectures. On a aussi une ligne affectée pour réhabiliter nos écoles. Avant d’aborder les thématiques précises, nous avons demandé au gouvernement de réaffirmer haut et fort qu’il n’y a pas de politique de la ville possible sans l’engagement de l’ensemble des ministères dans nos territoires. Ça a été dit mais nous voulons que cela soit écrit. Je crois à la parole publique mais je ne suis pas naïf pour autant.
L’entreprenariat est la marotte du président et il la brandit comme si cela allait sauver les quartiers.
Le deuxième axe des annonces gouvernementales c’est l’emploi avec un programme « entreprenariat quartiers 2030 » censé booster l’entreprenariat dans les quartiers. Quelle est votre réaction ?
C’est une grosse partie du plan « Quartiers 2030 » que le président avait déjà exposé en avril 2022. Pour être honnête, nous n’avons pas bien compris ce projet : certes, il y a des mesures, mais ça ne fait pas une politique. L’entreprenariat est la marotte du président et il la brandit comme si cela allait sauver les quartiers. C’est la France start-up. Nous, nous constatons qu’il y a des manques de personnels dans plein de domaines économiques et l’enjeu pour nous, c’est de savoir comment on forme des gens pour accéder à ces emplois et comment on donne envie aux jeunes de s’engager dans ces domaines. Là-dessus, on n’a pas de réponse.
Dans cet axe « emploi », la Première ministre a inclus un fond de 300 millions sur 3 ans aux associations de lutte contre la pauvreté dont 50 % seront fléchés sur les QPV…
On n’a pas compris ce que ça fait dans la thématique « emploi » et on va demander une explication de texte. Nous voulons nous assurer que ça n’est pas de l’argent recyclé d’un autre ministère. On va regarder sereinement entre nous et revenir vers les équipes de Mme Borne.
Élisabeth Borne a annoncé qu’elle demanderait aux préfets de ne pas concentrer les plus précaires dans les quartiers, qu’en pensez-vous ?
Il s’agit des plus précaires parmi les « prioritaires DALO » [le droit au logement opposable, N.D.L.R.]. Qui doivent être répartis sur toutes les villes. Tout le monde doit prendre part à la solidarité. Mais les « prioritaires DALO » sont déjà les plus précaires, nous ne savons pas quels seront les critères pour définir qui sont les plus précaires parmi les précaires. Cela étant dit, il faudra que les préfets tapent du poing sur la table face aux collectivités qui refusent de jouer le jeu. Nous, à Ville et banlieue, nous réaffirmons le droit au logement pour toutes et tous.
L’accès aux services publics en général, ce qu’on appelle le droit commun, n’arrive qu’en troisième axe du gouvernement, avec des propositions comme l’expérimentation de 60 centres de santé…
Pour nous, le droit commun aurait dû être l’axe essentiel. Nous avions demandé à ce qu’il soit prioritaire. Pour l’accès à la santé, notre problème ce n’est pas le bâti, c’est de trouver des médecins. Ces projets de centres restent de l’incantation s’il n’y a pas de mesures coercitives de l’État pour que des médecins viennent s’installer sur nos territoires. Les annonces sont aussi extrêmement faibles en termes d’accès à la culture et au sport. Alors qu’on sait tous que la citoyenneté passe par là. L’initiative autour des JO 2024 d’insertion par le sport, avec le financement de 1 000 éducateurs sportifs dans 1 000 clubs avec une enveloppe de 20 000 euros chacun sur trois ans, c’est annoncer plus de déçus que de satisfaits. Sur l’ensemble des clubs des quartiers du pays, 1 000 ce n’est rien. Et 20 000 euros, ça n’a jamais fait un emploi ! Nous redoutons qu’au terme des trois ans, les clubs se tournent vers les collectivités pour continuer de financer les emplois en question.
Alors que le budget des collectivités est déjà de plus en plus restreint…
Oui ! Dans la prochaine loi de finances, notre budget augmente de 1,5 % alors que l’inflation grimpe de 2,6 % : donc, globalement, on aura moins d’argent. La vie des habitants se dégrade à tous les niveaux et cela nécessite un renforcement des services concernés et des associations : nous avons besoin d’être accompagnés. La situation va empirer et ça va être intenable !
Que manque-t-il dans ce plan à ce niveau ?
Très concrètement, nous avions demandé à aligner la dotation « solidarité urbaine » sur la dotation rurale. Là encore, pour l’année 2024, on nous dit qu’elle augmente mais ce n’est toujours pas égalitaire. Or, affirmer qu’on fait République partout signifie que l’égalité est nécessaire. La seconde demande, restée lettre morte, c’est la question de l’exonération des taxes sur le foncier bâti pour les bailleurs sociaux. Cette exonération n’est compensée par l’État qu’à 40 % ; nous demandons une exonération à 100 %. C’est une perte de revenus très importante pour les collectivités. Ce que le gouvernement prétend nous donner d’une main, il nous le reprend d’une autre.
Ce que le gouvernement prétend nous donner d’une main, il nous le reprend d’une autre.
Il n’y a rien non plus sur la relation police population…
Non. C’est principalement parce qu’on a un ministre de l’Intérieur qui ne veut rien faire là-dessus. Nous espérions quelque chose mais nous n’avions aucune illusion sur ce point.
Êtes-vous globalement satisfait de ce CIV ?
Déjà, après quatre reports, nous avons fini par obtenir que ce CIV se tienne ! Il faut le souligner. Des mesures ont été proposées, on en prend acte et nous allons les faire vivre. Mais globalement, ça n’est pas un projet ambitieux. Ce n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’était le plan Borloo par exemple. Il y a un vrai problème d’ambition lié à l’orientation politique de ce gouvernement. Par exemple, il n’y a pas d’augmentation des salaires : les gens restent donc dans la grande précarité. C’est en cela que nous disons que le droit commun est absolument essentiel.
Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?
On va demander rapidement une réunion avec les services d’Élisabeth Borne afin d’avoir une explication de texte sur les mesures qu’on n’a pas comprises ou de préciser les engagements. Car parfois, il y a des verbes utilisés comme « faire évoluer » : concrètement ça veut dire quoi ? On va évidemment demander des détails sur comment tout cela va se mettre en place, dans quels délais et bien s’assurer que la loi de finances 2024 l’intègre. Il a aussi été question d’une évaluation de ces politiques publiques. On sera très attentif sur ce point car souvent, entre les déclarations et les faits, il y a un fossé. On ne va donc pas lâcher l’affaire. Notre ligne reste l’appel de Lyon que les élus de Ville et banlieue ont lancé le 18 octobre dernier à l’occasion des quarante ans de l’association. En parallèle, dans nos territoires, nous allons travailler à faire des retours à nos habitants.
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