Internet déteste les Maghrébines

Nesrine Slaoui montre de quelle manière le web reproduit les dynamiques sociales de l’exclusion de l’espace public par des biais sexistes et racistes.

Nesrine Slaoui  • 11 octobre 2023
Partager :
Internet déteste les Maghrébines
Marwa Loud, en juin 2019. La chanteuse a fait l'objet d'une campagne de dénigrement, étant accusée de "sorcellerie".
© Martin BUREAU / AFP

Pas une semaine sans qu’une femme d’origine maghrébine ne soit lynchée et hissée en tendances sur les réseaux sociaux : l’influenceuse Poupette Kenza et sa vie de famille ultra-commentée, la chanteuse Marwa Loud accusée de « sorcellerie », sa consoeur Imen Es dont le fessier est critiqué sous chacune des vidéos de ses concerts, la réalisatrice et humoriste Nawell Madani menacée d’agressions dans des lives Tiktok pendant plusieurs jours ou encore l’actrice espagnole Hiba Abouk, insultée – à l’échelle mondiale, cette fois – après l’annonce de son divorce avec le footballeur Achraf Hakimi et une fake news misogyne l’accusant de vouloir « voler sa fortune ».

Internet est un espace violent qui reproduit, en pire, les dynamiques d’exclusion de l’espace public. Certains réseaux plus que d’autres incitent à cette haine en groupe : X, anciennement Twitter, à la première place. Les femmes sont 27 fois plus susceptibles d’être victimes de harcèlement en ligne que les hommes. Il n’existe, par ailleurs, aucune statistique concernant les femmes non-blanches mais on peut au moins imaginer que le risque est doublé, voire triplé, dans un contexte aussi raciste. 

En tant que journaliste et écrivaine d’origine marocaine, très suivie sur les réseaux sociaux, j’expérimente moi-même cette violence au quotidien.

En tant que journaliste et écrivaine d’origine marocaine, très suivie sur les réseaux sociaux, j’expérimente moi-même cette violence au quotidien. Des remarques sur mon physique mais aussi sur mon droit à la parole et à l’écriture. Au début, elle a été insupportable, cette violence. Pendant la promotion de mon premier livre Illégitimes, elle s’est illustrée par de la diffamation et des attaques contre ma famille. J’ai dû prendre des anxiolytiques et quitter l’application pour retrouver le sommeil. Écrire cela n’est pas si évident car le harcèlement vous plonge dans une solitude innommable qui étreint le cœur. Et chaque fois que vous en parlez, vous craignez son retour soudain et impitoyable. 

Nesrine Slaoui illégitimes

Cela prend du temps avant de comprendre les dynamiques en jeu parce que les femmes maghrébines se trouvent dans l’angle mort de l’antiracisme et du féminisme : le premier est mobilisé, à juste titre, par la lutte contre les violences policières et le deuxième est encore trop perçu comme une invention occidentale et blanche. Il existe pourtant, en France, un socle solide composé de chercheuses, de militantes, d’associations et de collectifs. 

Mais notre perception – et donc la lutte contre notre stigmatisation  – en tant que groupe social à l’intersection du racisme, du sexisme et du classicisme, n’est pas encore tangible. Il faudrait s’appuyer sur le travail d’afro-féministes comme Kimberlé Creenshaw pour le dénoncer et montrer les jonctions. Par exemple, j’ai été comparée à des auteurs « transclasses » blancs comme si ma couleur et mon genre n’existaient pas et que nous disposions du même accès à la littérature et à l’espace médiatique.

Les femmes maghrébines et musulmanes visibles l’expérimentent davantage. En témoignent les lynchages médiatiques chaque fois que l’une d’elles qui porte le voile s’exprime. Ce qui est sidérant, c’est l’absence de soutien massif contre les menaces de morts provenant aussi bien de l’extrême droite que des bassemistes*. Il y a une absence de stratégie politique pour nous protéger et rappeler cette évidence : la détestation d’une femme est souvent lié à des biais sexistes, la détestation d’une femme maghrébine c’est, en plus, pour des raisons racistes teintées de fétichisation.  

*

Bassem est un influenceur de la région lyonnaise qui comptabilise un demi-million d’abonnés sur les réseaux sociaux et qui s’illustre par la haine des femmes maghrébines, de sa propre communauté donc.


Note : Il existe un débat en France sur notre appellation en tant que femmes issues de l’immigration post-coloniale marocaine, algérienne et tunisienne. Beaucoup dénoncent la charge coloniale du terme Maghreb et préfèrent parler donc d’Afrique du Nord et de nord-africaines. Ce qui correspond aussi à la conception anglo-saxonne sur ces questions qui parle de la région MENA : Middle East and North Africa. Dans l’espace public nous sommes perçus comme Arabes mais ce terme nie l’héritage amazigh de nos identités.


Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !
Idées Intersections
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef
Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »
Entretien 16 avril 2025 abonné·es

Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »

Le fondateur d’Act Up-Paris puis du mensuel Têtu publie aujourd’hui ses « mémoires ». Un retour passionnant sur une vie faite d’amours au masculin, de combats militants contre le VIH et les discriminations, de journalisme et de critique musicale.
Par Olivier Doubre
Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »
Justice 9 avril 2025 abonné·es

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »

Depuis la condamnation de Marine Le Pen, le Rassemblement national et sa cheffe de file crient à une décision « politique », opposant l’institution judiciaire à une supposée « souveraineté populaire ». Repris jusqu’au sein du gouvernement, ces discours inquiètent la présidente du Conseil national des barreaux.
Par Pierre Jequier-Zalc
Contre le fascisme, un printemps des peuples ?
Manifeste 9 avril 2025 abonné·es

Contre le fascisme, un printemps des peuples ?

Loin de marquer la fin de l’histoire, notre millénaire tremble des révoltes qui éclatent partout dans le monde. Un manifeste collectif, fruit de discussions transcontinentales, tente d’en tirer des leçons pour un avenir révolutionnaire.
Par François Rulier