Internet déteste les Maghrébines
Nesrine Slaoui montre de quelle manière le web reproduit les dynamiques sociales de l’exclusion de l’espace public par des biais sexistes et racistes.
dans l’hebdo N° 1779 Acheter ce numéro
Pas une semaine sans qu’une femme d’origine maghrébine ne soit lynchée et hissée en tendances sur les réseaux sociaux : l’influenceuse Poupette Kenza et sa vie de famille ultra-commentée, la chanteuse Marwa Loud accusée de « sorcellerie », sa consoeur Imen Es dont le fessier est critiqué sous chacune des vidéos de ses concerts, la réalisatrice et humoriste Nawell Madani menacée d’agressions dans des lives Tiktok pendant plusieurs jours ou encore l’actrice espagnole Hiba Abouk, insultée – à l’échelle mondiale, cette fois – après l’annonce de son divorce avec le footballeur Achraf Hakimi et une fake news misogyne l’accusant de vouloir « voler sa fortune ».
Internet est un espace violent qui reproduit, en pire, les dynamiques d’exclusion de l’espace public. Certains réseaux plus que d’autres incitent à cette haine en groupe : X, anciennement Twitter, à la première place. Les femmes sont 27 fois plus susceptibles d’être victimes de harcèlement en ligne que les hommes. Il n’existe, par ailleurs, aucune statistique concernant les femmes non-blanches mais on peut au moins imaginer que le risque est doublé, voire triplé, dans un contexte aussi raciste.
En tant que journaliste et écrivaine d’origine marocaine, très suivie sur les réseaux sociaux, j’expérimente moi-même cette violence au quotidien.
En tant que journaliste et écrivaine d’origine marocaine, très suivie sur les réseaux sociaux, j’expérimente moi-même cette violence au quotidien. Des remarques sur mon physique mais aussi sur mon droit à la parole et à l’écriture. Au début, elle a été insupportable, cette violence. Pendant la promotion de mon premier livre Illégitimes, elle s’est illustrée par de la diffamation et des attaques contre ma famille. J’ai dû prendre des anxiolytiques et quitter l’application pour retrouver le sommeil. Écrire cela n’est pas si évident car le harcèlement vous plonge dans une solitude innommable qui étreint le cœur. Et chaque fois que vous en parlez, vous craignez son retour soudain et impitoyable.
Cela prend du temps avant de comprendre les dynamiques en jeu parce que les femmes maghrébines se trouvent dans l’angle mort de l’antiracisme et du féminisme : le premier est mobilisé, à juste titre, par la lutte contre les violences policières et le deuxième est encore trop perçu comme une invention occidentale et blanche. Il existe pourtant, en France, un socle solide composé de chercheuses, de militantes, d’associations et de collectifs.
Mais notre perception – et donc la lutte contre notre stigmatisation – en tant que groupe social à l’intersection du racisme, du sexisme et du classicisme, n’est pas encore tangible. Il faudrait s’appuyer sur le travail d’afro-féministes comme Kimberlé Creenshaw pour le dénoncer et montrer les jonctions. Par exemple, j’ai été comparée à des auteurs « transclasses » blancs comme si ma couleur et mon genre n’existaient pas et que nous disposions du même accès à la littérature et à l’espace médiatique.
Les femmes maghrébines et musulmanes visibles l’expérimentent davantage. En témoignent les lynchages médiatiques chaque fois que l’une d’elles qui porte le voile s’exprime. Ce qui est sidérant, c’est l’absence de soutien massif contre les menaces de morts provenant aussi bien de l’extrême droite que des bassemistes*. Il y a une absence de stratégie politique pour nous protéger et rappeler cette évidence : la détestation d’une femme est souvent lié à des biais sexistes, la détestation d’une femme maghrébine c’est, en plus, pour des raisons racistes teintées de fétichisation.
Bassem est un influenceur de la région lyonnaise qui comptabilise un demi-million d’abonnés sur les réseaux sociaux et qui s’illustre par la haine des femmes maghrébines, de sa propre communauté donc.
Note : Il existe un débat en France sur notre appellation en tant que femmes issues de l’immigration post-coloniale marocaine, algérienne et tunisienne. Beaucoup dénoncent la charge coloniale du terme Maghreb et préfèrent parler donc d’Afrique du Nord et de nord-africaines. Ce qui correspond aussi à la conception anglo-saxonne sur ces questions qui parle de la région MENA : Middle East and North Africa. Dans l’espace public nous sommes perçus comme Arabes mais ce terme nie l’héritage amazigh de nos identités.
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