Une économie coloniale
Le régime du travail palestinien en Israël est l’un des principaux dispositifs du contrôle colonial exercé par le pays dirigé par Benyamin Netanyahou.
dans l’hebdo N° 1780 Acheter ce numéro
Le conflit israélo-palestinien est le dernier au monde à opposer une puissance coloniale et un peuple dépossédé de tout. En Palestine, le vol des terres par les colons, la fragmentation du territoire, le contrôle militaire et l’enfermement des populations bloquent toute perspective. Le chômage dépasse 25 %, et 50 % à Gaza. Les patrons et colons israéliens en profitent pour employer une main-d’œuvre à bon marché, en particulier dans l’agriculture et le bâtiment, des secteurs où le travail est pénible, dangereux et peu apprécié des travailleurs israéliens. 140 000 Palestiniens travaillent en Israël, dont 13 000 venant de Gaza, un contingent augmenté ces dernières années par Benyamin Netanyahou pour « pacifier » la zone. La plupart font chaque jour l’aller-retour dans des conditions très difficiles.
Les ouvriers palestiniens n’ont aucun droit, sinon celui de se taire.
Cette migration de travail est présentée par les autorités israéliennes comme une contribution à la prospérité des territoires palestiniens. La classe dominante israélienne, ayant sabordé toute perspective politique de paix, pensait pouvoir contrôler la situation en faisant miroiter aux Palestiniens des avantages économiques en échange de leur soumission.
Les migrations de travail jouent indissociablement comme un outil d’exploitation économique et de domestication politique (1). Certes le revenu mensuel moyen des Palestiniens employés en Israël est environ trois fois supérieur au salaire minimum palestinien (412 dollars US). Mais ces ouvriers palestiniens n’ont aucun droit, sinon celui de se taire. Les autorités israéliennes retirent leur permis de travail à ceux qui expriment des opinions politiques, ou même à ceux dont des proches s’engagent dans l’activisme. Pire encore : elles font souvent pression sur les travailleurs palestiniens pour qu’ils deviennent des informateurs des services de renseignement israéliens. Chômeurs ou traîtres, voilà le choix que doivent faire ces travailleurs.
Cf. Andrea Hackl, « Occupied labour : dispossession through incorporation among Palestinian workers in Israel », Settler Colonial Studies, vol. 13, n° 1, 2023 ; et « The situation of workers of the occupied Arab territories », OIT, 2022.
Autre avantage pour la puissance coloniale, cette migration de travail fournit des débouchés à l’économie israélienne : comme les importations palestiniennes de biens en provenance d’Israël sont 2,5 à 3 fois supérieures aux exportations palestiniennes vers Israël, les travailleurs migrants qui gagnent un salaire en Israël le dépensent dans l’achat de biens israéliens… Le régime du travail palestinien en Israël met en opposition directe les deux aspirations fondamentales des Palestiniens : l’accès à un niveau de vie décent et l’affirmation d’une communauté politique nationale. Il est l’un des principaux dispositifs du contrôle colonial de la Palestine, dont les événements actuels montrent une fois de plus l’instabilité et l’illégitimité.
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