JO 2024 : un chantier bloqué par des travailleurs sans papiers grévistes

Ce 17 octobre, plusieurs dizaines de travailleurs sans papiers et de militants ont pénétré au sein du chantier de l’Arena La Chapelle. Ils réclament leur régularisation et dénoncent la future loi immigration portée par Gérald Darmanin. Reportage.

Pierre Jequier-Zalc  • 17 octobre 2023
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JO 2024 : un chantier bloqué par des travailleurs sans papiers grévistes
© Pierre Jequier-Zalc

Mise à jour le 18 octobre 2023

Après plusieurs heures  de négociations avec la mairie de Paris et les donneurs d’ordre – notamment Bouygues –, les grévistes ont obtenu des accords-cadres qui actent la régularisation de tous les salariés des sous-traitants travaillant ou ayant travaillé ces derniers mois pour les sociétés concernées. Une réunion doit se tenir, ce mercredi 18 octobre à 16 heures, pour la suite des négociations. Preuve, une nouvelle fois, que le sujet des Jeux olympiques est très sensible politiquement, comme expliqué ci-dessous. Leur lutte contre la loi Darmanin, elle, ne fait que commencer.


Première publication le 17 octobre 2023

Le gouvernement se serait bien passé de ça. À moins d’un an de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, plusieurs travailleurs sans papiers se sont mis en grève et ont décidé d’occuper le chantier de l’Arena La Chapelle qui accueillera notamment les épreuves de gymnastique, de lutte ou de basket.

Ils sont plusieurs dizaines à s’être faufilés sur le chantier de bonne heure, ce mardi 17 octobre matin. Des peintres, des couvreurs qui travaillent ou ont travaillé sur un des nombreux chantiers des Jeux olympiques ou du Grand Paris. « Je suis chef d’équipe, peintre sur ce chantier depuis cinq mois pour un sous-traitant de Bouygues et aussi sur le chantier du Village des athlètes », raconte Bakary*, nous montrant sa carte du chantier, « aujourd’hui, je veux obtenir des droits comme n’importe quel travailleur ». Derrière une grande banderole sur laquelle on peut lire « Les immigrés arrêtent le Grand Paris », ils chantent de nombreux slogans dont notamment « Pas de JO sans papiers ! ».

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Les prénoms suivis d’un astérisque ont été changés.

À l’initiative de ce mouvement, la CNT-SO et le collectif des Gilets noirs. En plus d’une simple grève, pour marquer le coup, ils ont décidé de bloquer et d’occuper ce chantier emblématique – le seul intra-muros de la capitale – pour asseoir leurs revendications, dont la régularisation de tous les travailleurs sans papiers. Plusieurs dizaines de militants sont venues soutenir des grévistes. Une opération couronnée de succès : malgré quelques maigres tensions pour pénétrer sur le chantier, les grévistes et leurs soutiens ont réussi à mettre à l’arrêt le chantier depuis 7 heures le matin.

Quand j’ai demandé à mon employeur si je pouvais être régularisé, j’ai aussitôt été licencié.

Abdoulaye

Parmi eux, une quinzaine a travaillé sur ce site dont le donneur d’ordre est Bouygues. Les autres travaillent sur d’autres chantiers franciliens, souvent pour ce même donneur d’ordre. « Le choix de ce chantier est symbolique. C’est une manière de montrer à Bouygues l’ensemble des sous-traitants ou des boîtes d’intérim qui exploitent des sans-papiers et sur lesquels ils ferment délibérément les yeux », poursuit la militante citée précédemment. « Moi, j’ai travaillé sur la Ligne 16, pour un sous-traitant, pendant plus de deux ans », confie Abdoulaye*, un café entre les mains pour se réchauffer, « quand j’ai demandé à mon employeur si je pouvais être régularisé, j’ai aussitôt été licencié ».

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L’occupation du chantier, ce 17 octobre 2023. « Le choix de ce chantier est symbolique. C’est une manière de montrer à Bouygues l’ensemble des sous-traitants ou des boîtes d’intérim qui exploitent des sans-papiers et sur lesquels ils ferment délibérément les yeux » indique une militante. (Photo : Pierre Jequier-Zalc.)

« Les grosses entreprises qui travaillent avec des sous-traitants, qui eux-mêmes sous-traitent, connaissent les marges que chacun se fait. Elles ne peuvent pas ignorer qu’en bout de chaîne, l’entreprise est étranglée financièrement », raconte un inspecteur du travail en Seine-Saint-Denis, département connu pour avoir beaucoup de chantiers sur son territoire, « forcément, celle-ci a recours à des stratégies illégales. Les donneurs d’ordre le savent très bien ». Après avoir mis à l’arrêt le chantier vient le temps des négociations. Des personnes en charge du dossier à la mairie de Paris et au sein de Bouygues se rendent rapidement sur place. La volonté est de mettre au plus vite un terme à cette situation risquant d’entacher l’image de la préparation des Jeux olympiques. Et les travailleurs le savent bien.

« Les JO sont une énorme machine à fric »

Plusieurs affaires de travail illégal sur ces chantiers ont déjà été révélées par des syndicats ou par l’inspection du travail. « Il y a moins d’un mois j’ai encore dû traiter une affaire de travailleur sans papier sur un chantier des JO », confie un inspecteur du travail qui connaît le sujet par cœur. « Donc oui, le travail illégal sur ces chantiers est toujours d’actualité. Et je pense que ça le sera jusqu’à la fin. Les JO sont une énorme machine à fric donc faire du bénéfice sur la main-d’œuvre est un moyen simple pour s’en mettre plein les poches. »

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À chaque fois, les situations des travailleurs ont été régularisées rapidement. « L’exposition médiatique et politique importante sur les JO a servi notre combat », affirmait, à Basta!, Hervé Ossant, secrétaire de l’unité régionale d’Île-de-France de la CGT, en charge pour la confédération du dossier JO 2024, après la régularisation de douze travailleurs maliens au printemps 2022. Ce dossier risque cependant d’être plus complexe. En effet, au jour de l’action, seules deux personnes sans papiers travaillent sur ce chantier de la porte de la Chapelle.

« Vous ne travaillez pas ici, vous n’êtes pas dans mon registre. Vous n’avez rien à faire là », s’indigne le responsable du site en s’adressant à la délégation venue négocier. « Nous dénonçons ce système qui organise notre exploitation par un mille-feuille qui permet aux grosses boîtes donneuses d’ordre sur les chantiers de se laver les mains tout en profitant allègrement de notre force de travail », répondent les grévistes dans leur communiqué.

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« La France nous dit : vous n’êtes pas des humains, vous n’êtes que de la main-d’œuvre. » (Photo : Pierre Jequier-Zalc.)

« On est trimballé de chantier en chantier », raconte Bakary. « Sur ce chantier des JO, il m’est arrivé que l’on m’appelle pour me prévenir d’un contrôle. Dans ce cas-là, on me dit de ne pas venir, et on m’envoie ailleurs. » « Les entreprises font appel à des sous-traitants, qui n’apportent pas des compétences techniques mais de la chair à chantier », abonde, à Basta ! Jean-Albert Guidou, de la CGT.

Cette différenciation entre les travailleurs se fait vite sentir. Dès le début de la négociation, la personne en charge au nom de la mairie de Paris et celle pour Bouygues acceptent de négocier pour les travailleurs ayant travaillé sur ce chantier. Pour les autres, un refus initial est déclaré, refus que conteste la délégation sur place, qui menace d’occuper sur la durée ce site particulièrement stratégique. Elle demande, également, à être reçue par le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

La loi Darmanin dans le viseur

Outre la visibilité apportée par les Jeux olympiques, cette action est aussi une manière d’affirmer son opposition au projet de loi immigration, porté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Celui-ci vise notamment à créer un statut de travailleur régulier temporaire pour les secteurs les plus en tension. « La France nous dit : vous n’êtes pas des humains, vous n’êtes que de la main-d’œuvre », écrivent les travailleurs, dénonçant une loi « toujours plus répressive » pour les immigrés. Les grévistes revendiquent ainsi « le retrait de la loi Darmanin et la renégociation des droits et des conditions de régularisation des travailleurs immigrés dans tous les secteurs ».

Le même jour, partout en Île-de-France, plus de 500 travailleurs sans papiers de plusieurs entreprises différentes se sont mis en grève de manière coordonnée sous l’égide, notamment, de la CGT. Si le spectre est cette fois plus large que les seuls Jeux olympiques, une agence d’intérim – qui embauche des sans-papiers pour des chantiers des JO et du Grand Paris –, est occupée par plusieurs dizaines de personnes. Une manière de plus de faire résonner ce mot d’ordre clair, sans ambiguïté : « Pas de JO sans papiers ! »

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