« The Old Oak », les chants de la fraternité
Avec ce film, Ken Loach clôt (peut-être) sa filmographie avec une très belle œuvre.
dans l’hebdo N° 1781 Acheter ce numéro
The Old Oak / Ken Loach / 1 h 50.
Dans une bourgade du nord de l’Angleterre où règnent le chômage et la pauvreté, des familles syriennes fuyant la guerre s’installent, avec l’aide de bénévoles. Comment réagit la population locale ? On a au Old Oak, le dernier pub du bourg avec son enseigne branlante, un concentré des comportements possibles. La majorité des habitués, dont l’existence quotidienne ressemble à de la survie, peinent à admettre la générosité manifestée envers des étrangers. Au contraire, certains gardent leur faculté d’entraide. Tel TJ Ballantyne, le tenancier, personnage cabossé et d’une grande humanité, incarné par un comédien exceptionnel, Dave Turner, pompier à la retraite et syndicaliste « dans le civil ».
Une amitié naît entre lui et Yara (Ebla Mari), jeune femme syrienne passionnée de photographie, qui est justement leur premier terrain d’échanges. Dans l’arrière-salle désaffectée du pub, TJ lui montre les photos exposées là depuis des décennies où figurent les mineurs du bourg au temps des grandes grèves, quand la solidarité permettait de tenir.
À chaque film, les critiques anti-loachiens répètent les mêmes antiennes : tout serait chez lui attendu. Deux exemples pris dansThe Old Oak pour les contredire. Le premier, c’est l’existence d’une séquence inédite chez Ken Loach. De passage à Durham pour récupérer l’aide alimentaire fournie par le diocèse anglican, Yara et TJ se retrouvent à l’intérieur de la cathédrale qui surplombe la ville, dont TJ souligne qu’elle est l’œuvre de milliers de travailleurs.
Notre commune nudité
Là, dans ce bâtiment fondé au XIe siècle, la jeune femme évoque le devenir séculaire de la Syrie, alors que résonnent en arrière-fond des cantiques religieux. Il n’est pas interdit de penser, sans pour autant nier le matérialisme loachien, que cette rencontre de l’histoire et du sacré confère à la notion de fraternité une dimension supérieure qui dépasse la seule morale humaine.
Deuxième exemple : The Old Oak déclenche une émotion débordante, irrépressible, sans qu’aucune facilité tire-larmes ne soit sollicitée. C’est que le cinéaste parvient à toucher notre commune nudité face aux épreuves qui nous dépassent et à la nécessité de nous extraire de nos froides solitudes.The Old Oak nous le rappelle et, qui sait, nous rend meilleurs.