L’A69 contre la démocratie
La mobilisation contre l’A69 entre Castres et Toulouse s’inscrit dans les traces de la lutte contre les « grands projets inutiles et imposés », dont l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes reste l’emblème.
dans l’hebdo N° 1781 Acheter ce numéro
Ça ne vous rappelle rien ? Il y a un air de déjà-vu dans la contestation du projet d’autoroute A69. Après les premières oppositions résolues mais policées d’élu·es ainsi que d’agricultrices et d’agriculteurs impacté·es par le tracé, on a vu se mobiliser, entre Toulouse et Castres, des troupes plus jeunes et très décidées. Les manifestations récurrentes se gonflent et s’animent, on s’ancre dans les branches de platanes promis à l’abattage, l’installation d’une ZAD est projetée, une poignée de personnes se lance dans une grève de la faim, des collectifs citoyens potassent les études des services de l’État et du concessionnaire Atosca pour les mettre à mal point par point, la lutte, un temps cantonnée à l’échelon local, devient un point de ralliement national.
La mobilisation anti-autoroute, une première en France, marche dans les traces de la lutte anti-« grands projets inutiles et imposés » la plus emblématique de l’époque, celle qui a obtenu l’abandon, le 17 janvier 2018, de l’aéroport prévu à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
Ce déjà-vu, c’est aussi l’obstination remarquable des décideurs à camper sur leurs positions et à décliner la même gamme d’arguments qu’à Notre-Dame-des-Landes et dans d’autres situations similaires : les décisions ont été prises dans les règles, enquête d’utilité publique, études d’impact diverses et variées, recours en justice épuisés, etc. Et comme la démocratie, ce n’est pas la voix de la rue, signifient en chœur les politiques et leurs soutiens, de Carole Delga, présidente PS de la région Occitanie, à Clément Beaune, ministre des Transports, « l’autoroute ira à son terme ».
La mobilisation anti-autoroute marche dans les traces de la lutte contre les ‘grands projets inutiles et imposés’.
Belle formule pour une rocade de 53 kilomètres critiquée de toutes parts, et notamment par des spécialistes de l’aménagement du territoire et des autorités nationales en charge d’évaluer les impacts environnementaux. À les lire, il n’est pas besoin d’être radicalement amoureux des arbres pour imaginer le « terme » : c’est dans le mur – fourvoiement économique, destruction de biodiversité, émissions de CO2, mépris social, gaspillage de fonds publics.
Pauvre démocratie : elle n’est pas piétinée là où l’imaginent les Delga, Beaune et consorts. Elle a bon dos, alléguée en défense d’un projet imaginé il y a un quart de siècle sous la pression de l’industriel castrais Pierre Fabre, et alors que les gouvernements restaient sourds aux alarmes climatiques que les scientifiques s’époumonaient à leur seriner. Dont l’étaiement technique repose sur des données obsolètes, voire manipulées et délibérément mensongères – gain de temps, fréquentation, coût pour la collectivité, impact écologique, etc. –, que les instances décideuses « démocratiques » n’ont aucune velléité de revisiter, et on devine sans peine pourquoi.
Les vraies leçons de Notre-Dame-des-Landes n’ont jamais été tirées.
Les vraies leçons de Notre-Dame-des-Landes n’ont jamais été tirées. Pour les autorités, le projet d’aéroport n’a pas été abandonné en raison de son aberration économico-écologique, mais par faiblesse de la République à l’endroit d’une minorité contestataire. Alors que le dérèglement climatique balaye la planète d’une évidence encore moins contestable qu’en 2018, le dernier argument du camp pro-autoroute est peut-être le plus pitoyable, mauvaise foi politicienne ou, pire, aveu d’impuissance : « Alors nous serions condamnés à ne plus pouvoir imaginer de projet d’aménagement ! »
Bref, alors que le secteur du transport est le premier émetteur de gaz à effet de serre, les autoroutes resteraient indispensables aux sociétés humaines, qu’il canicule ou qu’il inonde à longueur d’année. Une dissonance cognitive portée jusqu’à l’incapacité de prendre sérieusement en considération une raisonnable alternative à l’A69, l’aménagement de la route nationale N126 reliant Toulouse et Castres, proposé par le collectif d’opposant·es La Voie est libre. Parvenu à ce stade d’entrave à l’intérêt commun, brandir la « légalité » pour justifier l’entêtement relève du coup de force antidémocratique. On peut donc raisonnablement imaginer que l’A69 ne se fera pas. Un air de déjà-vu.
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