L’A69, enclave industrielle
Carole Delga, présidente de la région Occitanie, justifie la création de l’A69 par le supposé « désenclavement » du sud du Tarn. En réalité, il s’agit surtout de connecter ce territoire rural à la mégamachine industrielle mondiale.
dans l’hebdo N° 1779 Acheter ce numéro
Dans sa réponse aux collectifs mobilisés contre l’autoroute A69, Carole Delga, présidente de la région Occitanie, exprime sa divergence sur le fond en invoquant un besoin d’infrastructure pour « désenclaver » les habitants éloignés de la métropole toulousaine, un désenclavement pour « lutter contre la pauvreté, l’isolement et le déclin ». Parler de désenclavement, c’est supposer qu’un territoire rural est par nature une enclave, c’est-à-dire un lieu clos et isolé du reste du territoire. Or, ce n’est pas le cas, puisqu’on peut déjà se rendre aisément à Toulouse, alors de quoi parle Carole Delga implicitement ?
De l’infrastructure techno-industrielle formée de macroréseaux qui garantissent la circulation des flux de marchandises, induisent des profits et sont la condition de la puissance industrielle du capitalisme. Ces mégaréseaux, ces infrastructures se superposent en strates et s’articulent entre eux. Ce sont les infrastructures autoroutières, énergétiques, numériques. Désenclaver le sud du Tarn, dans l’esprit de Carole Delga et de ceux qu’elle représente, c’est connecter ce territoire rural à la métropole urbaine et, derrière, à la mégamachine industrielle mondiale. Ces dynamiques nous conduisent dans le mur écologique et social, car elles augmentent la vitesse de circulation et la quantité des flux. C’est le fameux effet rebond : élargir une voie autoroutière ne diminue pas les embouteillages, mais augmente les distances parcourues en voiture en éloignant par exemple le lieu de travail du lieu du domicile.
Ces dynamiques nous conduisent dans le mur écologique et social.
Cela s’accompagne d’une augmentation de la consommation d’énergie et de matière. Ce sont les lois générales de l’infrastructure industrielle, dont les métropoles sont les centres de pouvoir : plus on augmente sa taille et donc sa puissance, plus elle consomme du temps et de l’énergie et produit l’accroissement des inégalités. Loin de réduire la pauvreté du territoire connecté, elle fracture les liens sociaux de solidarité, car elle a besoin de toujours plus de division du travail pour fonctionner.
Ce sont les cadres, les ingénieurs et les dirigeants d’entreprises à haut revenu qui profiteront de l’autoroute. Pour payer 17 euros pour gagner 30 minutes aller-retour, il faut gagner plus de 34 euros de l’heure (1). Ce n’est pas pour rien si ce projet est virilement soutenu par la chambre de commerce et d’industrie du Tarn. Les salariés payés au Smic horaire y perdent à l’emprunter. Ceux-ci risquent même de voir leur vitesse de circulation ralentir, entravée par le rétrécissement de la route nationale induit par la construction de l’A69.
Il s’agit là d’une estimation théorique, à partir du mode de calcul élaboré par Ivan Illich et de son concept de vitesse généralisée de la voiture.
Il ne faut pas enclaver les territoires ruraux dans la mégamachine industrielle, mais renforcer leur autonomie pour que leurs habitants puissent vivre et travailler au pays.
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