« Laissez-nous entrer dans la bande de Gaza faire notre métier »
TRIBUNE. Des médias et journalistes français·es et francophones, dont Politis, demandent aux belligérants impliqués de protéger les journalistes et d’ouvrir l’accès à la bande de Gaza à la presse internationale.
Depuis le 7 octobre 2023, la presse paie un très lourd tribut.
Nous, journalistes français, pour la plupart habitués à travailler dans des zones de conflits, demandons aux belligérants impliqués de protéger les journalistes et d’ouvrir l’accès à la bande de Gaza à la presse internationale.
Garantir une protection aux journalistes
À l’heure où nous écrivons ces lignes, 28 journalistes ont été tués selon l’ONG Committee to Protect Journalists (CPJ) dont 23 palestiniens, 4 israéliens et un libanais. Des dizaines d’autres ont été blessés.
L’une des premières victimes avait 22 ans. Ibrahim Lafi a été tué le 7 octobre 2023 alors qu’il couvrait pour Aïn Media l’attaque du Hamas sur le point de passage d’Erez. Il portait son gilet pare-balle bleu sur lequel était inscrit ce qui était censé garantir sa vie : « Press ». Le jeune Gazaoui était connu des médias français. Il avait entre autres travaillé pour Médiapart et Politis.
Le 13 octobre au Sud-Liban, ce sont des journalistes de l’Agence France Presse, Reuters, et Al-Jazeera qui ont été frappés par deux tirs d’artillerie israéliens successifs, alors qu’ils couvraient les affrontements à la frontière entre le Hezbollah et l’armée israélienne. Ils étaient, eux aussi, clairement identifiables en leur qualité de journalistes. Issam Abdallah, 37 ans, journaliste à Reuters, a été tué sur le coup. Six de ses collègues ont été blessés.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, 28 journalistes ont été tués.
Le 19 octobre, une frappe aérienne a détruit une rédaction éphémère sous une tente abritant des équipes de la BBC, de Reuters, d’Al Jazeera, de l’AFP, et des agences de presse locales, à proximité de l’hôpital Nasser de Khan Younès.
Le dimanche 22 octobre, Roshdi Sarraj est tué à son tour dans un bombardement à Gaza City alors qu’il sortait de la maison où il avait trouvé refuge avec sa femme et sa fille. Roshdi aussi avait travaillé pour de nombreux médias français dont Radio France et Ouest-France.
Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive. Alors que la communauté internationale ne parvient pas à imposer un cessez-le-feu, et que l’armée israélienne a décidé d’étendre ses opérations terrestres dans la bande de Gaza, le nombre de journalistes tués risque fortement de croître. Dans ce climat de terreur, des consœurs et confrères disent ne plus être capables psychologiquement de travailler, paralysés à l’idée d’apprendre que leur famille a été décimée dans un bombardement.
Comme ce fut le cas pour notre confrère Wael Al-Dahdouh. Le 25 octobre, alors qu’il couvrait un bombardement en direct sur la chaîne d’information Al Jazeera, il a été averti de la mort de son épouse et de ses deux enfants. Wael Al-Dahdouh est aussitôt retourné à l’antenne pour continuer son travail, sa mission d’informer, malgré le deuil.
« La première victime d’une guerre est la vérité »
Nous, journalistes français, interdits par les gouvernements israélien et égyptien de nous rendre sur place, nous ne pouvons rester impuissants face à cette situation. Protéger les journalistes, c’est protéger la liberté de la presse, pilier sans cesse secoué, mais indispensable des démocraties. En temps de guerre, face aux opérations de propagande de toute part, l’information est au cœur de la bataille. « La première victime d’une guerre est la vérité ». Si cet adage se vérifie à chaque conflit, il est sans précédent à Gaza.
Faut-il le rappeler ? Tuer des journalistes alors qu’ils ne prennent pas part au conflit constitue un crime de guerre au sens des dispositions de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Nos consœurs et nos confrères ont-ils été délibérément ciblés ? Nous demandons une enquête indépendante et transparente sur les circonstances de leur mort.
La bande de Gaza deviendrait un trou noir de l’information, un black-out médiatique imposé par Israël.
Restent les vivants, ceux sans qui nous ne pourrions voir ni entendre les conséquences des bombardements israéliens dans la bande de Gaza. Si celles et ceux qui sont nos yeux et nos oreilles disparaissaient, nous serions sourds et aveugles, et la bande de Gaza deviendrait un trou noir de l’information, un black-out médiatique imposé par Israël pour reprendre l’expression de Reporters sans frontières
Manque de moyens
Depuis que de nombreux médias ont été entièrement ou partiellement détruits à Gaza par l’aviation israélienne, nos consœurs et confrères palestiniens manquent cruellement de moyens pour faire leur travail. Dépourvus de batteries pour leurs appareils photo, sans ordinateurs ni moyens de communication fiables, certains ont tout perdu. D’autres ont dû tout abandonner après avoir reçu l’ordre par l’armée israélienne de quitter au plus vite leurs appartements.
Depuis le 28 octobre 2023, les journalistes de Gaza n’ont parfois plus aucune connexion internet et n’ont que peu d’électricité pour recharger leurs matériels. Ceci constitue une autre entrave au travail de la presse dans un territoire où la liberté d’informer est déjà régulièrement bafouée par le Hamas et ses alliés. Nous demandons aux autorités françaises et aux instances internationales d’appeler avec plus de fermeté à la protection et à la liberté de mouvement de nos consœurs et confrères palestiniens assiégés.
La nécessité de laisser entrer la presse internationale
Après 16 ans de blocus, la bande de Gaza est soumise à un siège total depuis le 10 octobre. Plus personne n’entre ni ne sort de l’enclave palestinienne. Nous avons pu recueillir les témoignages des victimes de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, nous devons pouvoir travailler en sécurité pour raconter ce qui se déroule à Gaza. Durant l’été 2014, l’armée israélienne avait ouvert l’accès à la presse internationale garantissant ainsi notre liberté d’informer. Ce n’est plus le cas.
Laissez-nous entrer dans la bande de Gaza faire notre métier. Nous en connaissons les risques.
Tribune coécrite par des journalistes de la presse française et francophone et signée par la Société des journalistes des médias suivants :
AFP
Arrêt sur images
BFMTV
Challenges
Courrier International
Le Figaro
France 3 Rédaction nationale
France 24
France Télévisions Rédaction nationale
Franceinfo.fr
Disclose
L’Humanité
Libération
M6
NRJ Group
L’Obs
Paris Match
La rédaction de Mediapart
La rédaction de Politis
Le Parisien
Le Point
Premières Lignes
Public Sénat
Radio France
RFI
RMC
RTL
Sept à Huit
Télérama
TF1
La Tribune
L’Usine nouvelle
La Vie
Médias :
Mediapart
Libération
Politis
Orient XXI
L’Orient Le Jour
Organisations signataires :
Fédération internationale des journalistes
Le prix Albert Londres
Le Prix Bayeux Calvados des Correspondants de Guerre
Reporters sans frontières
Collectif Focus
Collectif les Journalopes
Collectif Long Shot
Journalistes signataires :
Feurat Alani, journaliste, ancien correspondant à Bagdad
Sarah-Samya Anfis, correspondante à Tunis
Amar Al Hameedawi, journaliste, France 24
Victorine Alisse, photographe
Feriel Alouti, journaliste
Sharon Aronowicz, journaliste
Emilie Baujard, ancienne correspondante à Ramallah
Akram Belkaïd, journaliste, le Monde Diplomatique
Lucile Berland, journaliste
Walid Berrissoul, journaliste
Véronique Blanc, journaliste
Sami Boukhelifa, correspondant de RFI à Jérusalem
Edith Bouvier, journaliste
Véronique Brocard, journaliste, Siné mensuel
Patricia Chaira, photoreporter, SIPA
Solène Chalvon-Fioriti, journaliste
Benoît Chaumont, journaliste
Jean Pierre Canet, journaliste
Julie Conan, adjointe au service international de La Croix
Sylvain Cypel, journaliste
Gwendoline Debono, ancienne correspondante à Jérusalem
Guilhem Delteil, ancien correspondant de RFI à Jérusalem
Jérémie Demay, journaliste
Jennifer Deschamps, journaliste
Vanessa Descouraux, journaliste, Radio France
Véronique de Viguerie, photographe
Chloé Domat, correspondante à Beyrouth
Claire Duhamel, correspondante de France 24 à Jérusalem
Abdulmonam Eassa, photographe
Nassira El Moaddem, journaliste, Arrêt sur images
Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem.
Wilson Fache, journaliste
Agnès Faivre, journaliste
Alice Froussard, ancienne correspondante au Proche-Orient
Emmanuel Gagnier, journaliste
Cécile Galluccio, ancienne correspondante de France 24 et Radio Canada à Jérusalem
Laura-Maï Gaveriaux, journaliste
Laurence Geai, photoreporter
Inès Gil, journaliste
Sarra Grira, journaliste, Orient XXI
Juliette Gheerbrant, journaliste, RFI
Pauline Godart, journaliste, France 24
Alain Gresh, journaliste fondateur d’Orient XXI
Solène Gripon, journaliste
Sarra Grira, journaliste, Orient XXI
Sophie Guignon, correspondante à Beyrouth
Andrew Hilliar, journaliste, France 24
Mélina Huet, journaliste
Jimmy Hutcheon, ancien correspondant à Jérusalem
Aline Jaccottet, journaliste, Le Temps
Nicolas Keraudren, journaliste
Daniel Kriegel, correspondante du Point à Jérusalem
Hélène Lam Trong, journaliste
Arthur Larie, photoreporter
Ariane Lavrilleux, journaliste
Meriem Lay, Journaliste
Sophie Le Gall, Journaliste
Cécile Lemoine, correspondante à Jérusalem
Thibaut Lefèvre, correspondant Radio France à Jérusalem
Julie Lotz, journaliste
Élise Lucet, Journaliste
Matthieu Mabin, journaliste, France 24
Georges Malbrunot, journaliste, Le Figaro
Antoine Mariotti, ancien correspondant de France 24 à Jérusalem
Céline Martelet, journaliste
Bastien Massa, journaliste
Giona Messina, ancien correspondant de France Télévisions à Jérusalem
Frédéric Métézeau, ancien correspondant de Radio France à Jérusalem
Sina Mir, Journaliste
Étienne Monin, ancien correspondant de Radio France à Jérusalem
Paul Moreira, journaliste, Premières Lignes
Jérémy Muller, journaliste, BFMTV
Sophie Nivelle-Cardinale, journaliste
Marie Normand, journaliste, RFI
Anne-Sophie Novel, journaliste
Salomé Parent-Rashdi, ancienne correspondante à Jérusalem
Céline Pierre-Magnani, journaliste
Grégory Philipps, journaliste BFMTV, ancien correspondant de Radio France à Jérusalem
Noé Pignède, correspondant de Radio France à Beyrouth
Tetiana Pryimachuk, journaliste
Émilie Raffoul, journaliste
Alexandre Rito, photoreporter
Nicolas Rouget, journaliste
Nicolas Rosenbaum, correspondant à Jérusalem
Arthur Sarradin, journaliste
Chloé Sharrock, photographe
Saadia Sisaid, journaliste, Premières Lignes
Sadak Souici, photoreporter
Laetitia Soudy, journaliste, BFMTV
Vincent Souriau, journaliste, RFI
Eva Tapiero, journaliste
Charles Thiefaine, photographe
Hugo Van Offel, journaliste
Oriane Verdier, journaliste, RFI
Catherine Weil Sinet, journaliste, Siné Mensuel
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