Maintien de l’ordre : une enquête d’Amnesty dénonce « le commerce de la répression »
L’ONG publie ce jeudi 12 octobre une enquête dénonçant le commerce incontrôlé d’équipements de maintien de l’ordre dans le monde. Plusieurs entreprises françaises sont pointées. L’ONG demande à la communauté international d’agir.
Gaz lacrymogène, balles en caoutchouc, matraques, grenades incapacitantes, « sont régulièrement employés à travers le monde pour commettre des violations des droits humains », dénonce l’ONG Amnesty International, dans une enquête publiée ce 12 octobre. Sous le titre « Le commerce de la répression : enquête sur le transfert d’armes utilisées pour réprimer la dissidence », elle met en lumière plusieurs entreprises dont les produits ont été utilisés « illégalement » en manifestation. En tout, 23 fabricants d’armes de maintien de l’ordre, mais aussi de munitions de chasses, ont été identifiés dans 25 pays. Plusieurs sont français.
L’ONG a pu établir une liste en se fondant, entre autre, sur des centaines d’images et vidéos sur les cinq dernières années et en « vérifiant plus de 100 incidents » de graves cas de violences policières. Amnesty International s’est ainsi penchée sur des manifestations au Pérou, à Bahreïn, en Iran et même en France avec « l’utilisation illégale de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc contre des manifestants » durant le mouvement contre la réforme de retraites.
On retrouve aussi la Birmanie (ou Myanmar), où depuis le coup d’État de février 2021, 2 000 civils sont morts, d’après le rapporteur spécial des Nations Unis sur la situation des droits de l’homme dans ce pays. « Ces dernières années, les armes à létalité réduite ont été utilisées à maintes reprises pour intimider et punir des manifestant·e·s, en causant des milliers de blessures évitables et des dizaines de décès dans le monde », déclare Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre d’Amnesty International.
Des entreprises aux quatre coins du globe
Parmi les entreprises listées par l’ONG, nombreuses sont connues par les expert·es du sujet. On retrouve des fabricants discrets ou opaques, tels Norinco, un conglomérat public chinois de plus en plus présent sur le marché de la répression. Amnesty a pu identifier du matériel de cette entreprise dans de nombreux pays. Des véhicules blindés et armes dites moins létales de cette entreprise ont pu ainsi être observés au Kenya, Vietnam, Bangladesh, Venezuela ou en Guinée en 2020 alors qu’au moins « 20 personnes ont été tuées et 200 blessées ».
Dans la liste, plusieurs entreprises françaises sont pointées du doigt. Et surtout le fabricant franco-italien de munitions, Cheddite. Les cartouches de cette marque ont eu, ces dernières années, la fâcheuse tendance à se retrouver utilisées dans des répressions au sein de pays parfois sous embargo. Elles ont ainsi atterri en Birmanie, en passant par une entreprise turque, Yavascalar Ammunition. En octobre 2022, alors que le régime iranien étouffait la contestation, Politis révélait en exclusivité l’utilisation de cartouches Cheddite. Selon les informations d’Iran Human Rights, au moins 537 personnes, dont 48 femmes et 68 enfants, ont été tuées par les forces de sécurité depuis le début des manifestations.
Images et témoignages à l’appui, Politis révélait aussi que la France continuait de livrer des armes au Sénégal pour réprimer sa population après la répression violente de l’opposition en 2021. Au moins 23 personnes sont mortes dans les dernières manifestations, en juin 2023. Des produits Cheddite sont, encore une fois, présents. On y retrouve d’autres entreprises françaises, pointées elles aussi par l’enquête. Bien connu des manifestants français, Alsetex, du groupe Etienne-Lacroix, est l’un des principaux producteurs français de grenade lacrymogène. Ses produits – lanceurs et munitions –, ont été largement utilisés dans la répression au Sénégal, mais aussi au Liban. S’y ajoutent Nobel Sport, fabriquant des produits équivalent retrouvés dans les mêmes pays, ou Verney-Carron, célèbre concepteur du Flash-Ball.
Un manque total de contrôle
Comme le montrent nos enquêtes, le marché des équipements de maintien de l’ordre, en plus d’être opaque, s’avère très peu contrôlé. En février 2022, Politis publiait une enquête sur ce business se développant en toute discrétion. Pour Amnesty, « les entreprises produisant ces armes ont le devoir de mettre fin à leur commerce irresponsable des équipements de maintien de l’ordre (…) Il est temps qu’elles respectent pleinement tous les droits humains, quel que soit l’endroit où elles mènent leurs activités ».
L’ONG cite ensuite les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme en indiquant que « les entreprises doivent élaborer et mettre en œuvre des politiques et des mécanismes de diligence requise en matière de droits humains afin d’identifier et d’agir contre les risques d’atteintes aux droits humains liés à leurs activités et leur chaîne de valeur ». Ce jeudi 12 octobre 2023, à New York, la rapporteuse spéciale sur la torture « doit présenter des recommandations en vue d’établir un traité international juridiquement contraignant pour réguler ce commerce ».
Pour Amnesty, de meilleures réglementations sur le commerce des armes et équipements utilisés en maintien de l’ordre dans le monde permettraient d’arrêter radicalement l’approvisionnement des pays qui violent les droits de l’Homme. Pour cela, l’ONG appelle les États à introduire au plus vite des textes au plan national et international. Elle invite aussi les entreprises à cesser leurs exportations quand le matériel est susceptible d’être utilisé pour commettre des violations des droits de l’Homme, comme c’est déjà – censé être – le cas pour le marché des armes de guerre.
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