Quarante ans de voies sans issue

En 1983 avait lieu la grande marche « contre le racisme et pour l’égalité », partie des Minguettes. Quarante ans après ce tournant historique, les biais racistes et discriminatoires sont devenus routiniers, maintenus sous les radars de l’indignation.

Nacira Guénif  • 25 octobre 2023
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Quarante ans de voies sans issue
Manifestation contre la loi Darmanin, en mars 2023, à Paris.
© Lily Chavance

Il est des faits qu’il faut rappeler à l’envi pour qu’ils s’impriment dans nos mémoires. Il en va ainsi de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Prompt·es à oublier cette part de notre présent et de notre avenir, il semble que nous en sommes encore, quarante ans plus tard, à découvrir ce qui fut alors un tournant de l’histoire de la France, pays d’immigration, et ses conséquences. Car cette marche révèle comment la France a effacé son passé de colonisateur, alors qu’après avoir importé de la main-d’œuvre de ses colonies elle a feint l’étonnement lorsque ses descendant·es s’y sont installé·es définitivement.

Pourtant, ayant pris au mot la devise républicaine et son universalité enseignées durant toute leur scolarité, les jeunes d’alors ont marché pour réclamer leurs droits afin d’en finir avec le racisme endémique qui tuait depuis des décennies et continuera après. Leurs trois revendications portaient sur le travail, le logement et le comportement de la police. Échec sur tous les tableaux, au point que le caractère systémique du racisme est désormais établi.

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Objets de ces politiques calamiteuses, iels étaient désigné·es comme enfants d’immigré·es et non pas pour ce que leurs parents et elleux-mêmes savaient sans y insister : iels étaient les héritier·ères de peuples qui, après avoir été colonisés, ont lutté pour leur libération. Toutes les appellations contrôlées viseront désormais à les séparer de leurs parents, protagonistes de cette puissante histoire et de ses suites irrésolues. De jeunes immigré·es, iels sont devenu·es jeunes issu·es de l’immigration, stigmate qui a la vie dure.

Les politiques dites de la ville n’ont jamais été conçues pour régler les problèmes mais pour maintenir une ségrégation étroitement contrôlée.

Or cette étiquette pointe vers le séparatisme que l’État français n’a cessé de fomenter entre les minorités d’ascendance migrante et coloniale. Il entend extraire d’un groupe condamné à l’infamie celles et ceux qui pourraient, sous condition d’éligibilité, recueillir les faveurs de la nation. Autant dire que cette invitation implique une tâche dantesque qu’il vaut mieux refuser tant elle transpire la volonté de nuire. Extractivisme humain, le tri entre les bons Arabes, les bons Noirs et les autres relaie l’extractivisme qui a déjà ravagé la terre et son sous-sol. Son ressort déshumanisant a conduit à la catastrophe des systèmes esclavagistes et coloniaux au fondement du capitalisme racial.

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De sorte que les dénis de droits, les biais racistes et discriminatoires sont devenus routiniers, maintenus sous les radars de l’indignation. Voici peu, j’avançais que les politiques dites de la ville n’ont jamais été conçues pour régler les problèmes subis par des générations d’habitant·es, mais pour maintenir une ségrégation étroitement contrôlée, héritée de pratiques coloniales inscrites dans l’ADN de la Ve République. Rien ne vient contredire cette option. Ni les lois qui ont durci l’accès à la nationalité au lendemain de la marche, ni l’avalanche de textes sur l’immigration et la sécurité depuis quarante ans. Sans ciller, la France continue sa politique de civilisation en piétinant ses principes les plus vitaux. Au risque de fermer l’horizon des populations qui continueront de traverser la Méditerranée au péril de leur vie. Et, pendant ce temps, l’enfer s’abat sur Gaza.

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