Mélenchon et Roussel brûlent la Nupes par les deux bouts

L’un refuse le système des primaires. L’autre pense à 2027. Le leader des insoumis et le chef de file des communistes remettent en cause le fonctionnement de l’alliance. Et s’attirent des critiques de leur propre camp.

Lucas Sarafian  • 2 octobre 2023 abonnés
Mélenchon et Roussel brûlent la Nupes par les deux bouts
Fabien Roussel avance ses pions en pensant à 2027. Jean-Luc Mélenchon tient surtout à garder son emprise sur l’alliance signée en 2022.
© JEAN-FRANCOIS FORT/AFP

Au sein de l’alliance des gauches, plusieurs réalités cohabitent. Il y a ceux qui attendent désespérément l’acte 2 de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), ceux qui restent dans la coalition mais se verraient bien partir en solo aux européennes et aux municipales, et ceux qui veulent vraiment passer à autre chose. Voilà le décor. Et pour que ce huis clos devienne un peu plus sanglant, deux protagonistes sortent du lot : Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon. Le premier avance ses pions en pensant à 2027. Le second tient surtout à garder son emprise sur l’alliance signée en 2022 après 13 jours et 13 nuits de négociations au siège de La France insoumise, près de la gare de l’Est.

Retour au 16 septembre, lors de la Fête de l’Humanité sur l’ancienne base aérienne de Brétigny-sur-Orge (Essonne). Sur scène, Fabien Roussel déroule. Un référendum sur les retraites, un autre sur le pacte budgétaire européen, un appel à la mobilisation devant les stations-service, les grandes surfaces et les préfectures… Pour couronner le tout, il se permet de mélanger les slogans de François Hollande et de François Mitterrand : « Contrairement à l’extrême droite, nous ne reportons pas le changement à 2027. Nous, le changement, c’est maintenant. Nous, c’est la force tranquille mais déterminée. » Un discours de 45 minutes dans lequel le mot « Nupes » n’apparaît pas une seule fois. Lui préfère parler de « grand rassemblement, ce Front populaire porteur d’une grande ambition pour la République et pour des jours heureux ».

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Plus tôt le même jour devant des jeunes socialistes, écolos et insoumis venus l’interpeller, le patron du PCF balaye encore une fois l’idée d’une liste unique aux européennes. « Entre les écologistes et les communistes, nous n’avons pas les mêmes propositions pour la France », répond-il froidement. Le lendemain, face à Édouard Philippe, il persiste et signe : « En 2027, il y aura deux projets. J’anticipe… Le vôtre : pas d’augmentation des salaires ni des retraites, et le nôtre, à gauche : les salaires doivent augmenter, de 10 % dans la fonction publique, et dans le privé… » Le message ne peut pas être plus clair : il faudra compter sur lui dans quatre ans. Et ses ambitions agacent à gauche. « Il s’imagine un destin présidentiel. Autant rêver !, lâche un négociateur de l’accord en 2022. Mais ce n’est pas fondamental pour la Nupes. Si les insoumis, les Verts et les socialistes maintiennent la coalition et trouvent une incarnation pour 2027, son espace politique sera restreint. »

Bons et mauvais unionistes

Les communistes ne parlent donc plus tout à fait la langue unitaire. Ils n’ont d’ailleurs pas appelé à la mobilisation du 23 septembre « contre les violences policières » et « le racisme systémique ». Selon eux, l’alliance ne doit pas les contraindre à se dissoudre dans une force politique pilotée dans leur imaginaire par La France insoumise. « Le fait d’exister n’a jamais été une agression vis-à-vis des partenaires. La gauche plurielle a tenu en respectant les identités de chacun, se défend un membre de la direction. Il n’y avait pas de “une” de je ne sais quel journal affirmant que la gauche allait sombrer à chaque prise de parole d’un membre communiste ou socialiste. »

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Au sein de la coalition – mais surtout chez les insoumis –, cette tentation autonomiste est très mal perçue. « Fabien Roussel a été le premier à déclarer que le “programme partagé” n’était rien et que l’accord était purement électoral, au mépris de sa propre signature, affirme le patron de LFI, Manuel Bompard. Puis il a annoncé sa nouvelle candidature pour 2027. Sans discussion, sans compromis et sans préavis, en reprenant la méthode qui peut de nouveau rendre le second tour hors de portée.» Dans une lettre envoyée aux partenaires qui a fuité sur les réseaux sociaux, le même considère que le chef de file communiste s’est exclu de la coalition « en annonçant des listes séparées à toutes les élections jusqu’à 2027 ».

Fabien Roussel a été le premier à déclarer que le “programme partagé” n’était rien et que l’accord était purement électoral.

Manuel Bompard, LFI

Une missive envoyée à EELV, au PS et à Génération·s. LFI a manifestement égaré l’adresse du PCF. Les insoumis continuent leur offensive pour que la gauche s’unisse en 2024. Quitte à critiquer vivement ceux qui, selon eux, ne jouent pas à 100 % le jeu de l’union. «Dans leurs déclarations, les insoumis semblent favorables à repenser le rapport de force au sein de la coalition. Encore faut-il qu’en face cette proposition soit acceptée. La plupart des organisations refusent le débat sur une construction nouvelle », avance Stefano Palombarini, un économiste proche de Jean-Luc Mélenchon.

Mais les coups de pression commencent à en irriter certains. Arthur Delaporte, porte-parole des députés socialistes, en fait partie : «Il faut relativiser, on se retrouve à l’Assemblée. La tension est surtout liée à la question des européennes et des sénatoriales. Les insoumis répètent qu’ils sont les seuls à défendre l’union et considèrent que les autres sont des mauvais “unionistes”. » Le point de vue est partagé par certains «frondeurs » insoumis. « Demander le rassemblement aux européennes, c’est juste. Mais n’allons pas jusqu’à faire tomber l’alliance », estime l’une d’entre eux, la députée Clémentine Autain.

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Fabien Roussel n’est donc pas le seul à mettre le feu à la Nupes. À la Fête de l’Humanité, Mélenchon martèle sa stratégie : l’union. Mais, bien agacé d’avoir vu son mouvement créé en 2017 écarté d’un accord pour les sénatoriales, le triple candidat à la présidentielle pose de plus en plus de conditions au bon fonctionnement de la coalition. Une réactualisation du programme, comme le demandent certains ? Pas si le contenu est moins radical. « Je ne ferai jamais l’union sur un programme au rabais, un programme qui ne serait pas en rupture avec le capitalisme. » Les primaires pour désigner un candidat commun en 2027 ? Non merci. « Nous n’irons jamais. Pour une raison avérée par l’histoire : la primaire fait exploser tous ceux qui y participent. » Une pique adressée aux socialistes, qui poussent pour que la gauche rassemblée en organise une.

Pression du « clan Mélenchon »

Dans la coalition, on regarde de très près les déclarations de l’ancien ministre de Lionel Jospin. « Il a installé une ambivalence. Aujourd’hui, les insoumis se disent plus unitaires que tout le monde parce qu’ils continuent de réclamer une liste unique aux européennes, développe un lieutenant socialiste. Mais ils sont ambigus sur les conclusions qu’ils tireraient de l’absence d’une liste commune. Peut-être qu’au lendemain des européennes ils partiront en campagne autour de l’Union populaire en vue de 2027, en considérant que la Nupes sera finie. »

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Officiellement, Mélenchon copréside son think tank, l’Institut La Boétie. Une sorte de magistère moral, en principe éloigné des campagnes électorales. Mais en pleine promo de son nouveau livre, Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne, son omniprésence devient gênante. Au point que certains le soupçonnent de vouloir jouer un rôle dans la prochaine présidentielle. « Le second problème de la Nupes, après le PCF et sa stratégie autonome, c’est Jean-Luc Mélenchon. Il laisse planer le doute sur son avenir politique. Il reste aujourd’hui le porte-parole médiatique de la coalition. On peut le contester, mais c’est une réalité. Même si on essaie de construire collectivement notre alliance, tout peut être écrasé par n’importe lequel de ses propos », regrette Olivier Bertrand, le « Monsieur élections » ­d’Europe Écologie-Les Verts. « Mélenchon voit que l’appareil qu’il a créé est en train de lui échapper. Il se rend compte que ce n’est plus naturel qu’il y aille. Donc tout l’état-major insoumis, c’est-à-dire le clan Mélenchon, met la pression », observe un collaborateur parlementaire de gauche.

Mélenchon reste aujourd’hui le porte-parole médiatique de la coalition. On peut le contester, mais c’est une réalité.

Olivier Bertrand, EELV

Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon ont fondé ensemble le courant de la Gauche socialiste au PS en 1988. Mais, depuis des années, ils ne s’apprécient guère. Ce qui n’empêche pas le premier de garder un œil sur le second : « Au fond, il n’a pas renoncé. Mais il a fait une connerie : avoir annoncé son retrait de la vie politique. Alors qu’il n’en a pas envie. Donc il faut désormais qu’il crée les conditions de son retour. » Dans une interview accordée au Parisien, le chef spirituel des insoumis répond au sujet de son avenir. Il ne s’imagine ni en Mitterrand, qui a « enflammé les conflits internes en désignant un successeur », ni en Jospin, qui a « cru nous rendre service en disparaissant soudainement ». S’il balaye dans le même temps l’hypothèse de sa future candidature en 2027, il n’est pas près de partir tout de suite.

Déstabilisée par Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon, l’alliance est désormais mise sous pression. Résumé de la situation cacophonique par un « frondeur » insoumis : « La Nupes connaît aujourd’hui un moment de fragilité. Et trop d’acteurs pensent pouvoir s’en sortir dans un cadre de désunion. Donc les discours d’unité passent au second plan derrière leurs agendas personnels. Ils espèrent tirer leur épingle du jeu. »

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