« Il n’y a pas si longtemps, le mot ‘aidant’ n’existait même pas »
Déléguée générale du collectif « Je T’aide », Morgane Hiron revient, en cette journée nationale, sur le changement majeur dans la société qu’implique la revalorisation des aidants et la notion du care.
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Que fait le gouvernement pour les 11 millions d’aidantes et d’aidants ? Retraites : des aidants très mal aidésUn adulte sur dix, six mineurs sur vingt. Plus de neuf millions de personnes en France sont aidantes, selon une étude récente de la Drees. Combien d’entre elles se sentent valorisées, accompagnées, formées ? C’est tout l’enjeu porté par Morgane Hiron, déléguée générale du collectif Je T’aide, à l’initiative de la tribune publiée dans Politis. Si ce texte interpelle le gouvernement, qui n’a pas mentionné les aidants dans ses projets de loi de finance et ne cesse de repousser la loi sur le bien vieillir, Morgane Hiron invite à mobiliser toute la société : « Il faut sortir la notion du care de son silence. »
Le nombre d’aidants augmente, la démographie change et, pourtant, le rôle des aidants et leur place dans la société ne semblent pas être considérés par le gouvernement. Pourquoi, selon vous ?
Morgane Hiron : Ce constat, il vaut pour ce gouvernement comme pour ceux d’avant. Dans l’histoire des politiques publiques, les aidants ont toujours été la dernière roue du carrosse parce que c’est un changement sociétal récent : il n’y a pas si longtemps, le mot « aidant » n’existait pas. On disait que c’était « la famille », « les proches » qui aidaient tel parent dépendant, tel enfant ou adulte en situation de handicap. En réalité, ce sont bien plus souvent les femmes qui prennent en charge cet accompagnement. Et pour les professionnelles du médico-social, la part de femmes est encore plus forte : les aides à domicile sont à plus de 90 % des femmes. Or, cette question qui a longtemps été réservée au domaine du privé, de l’intime, gérée par des femmes sans qu’elles aient toujours le choix, peine à entrer dans le débat public et à être considérée comme une priorité politique.
S’appuyer sur les aidants et les aidantes ne permet-il pas de faire des économies pour les gouvernements successifs ?
Bien sûr. En se reposant sur les aidants, l’État économiserait 11 milliards d’euros par an. Mais sur le long terme, c’est aussi un coût puisque bien souvent les personnes doivent arrêter de travailler ou réduire leur activité professionnelle. Et bien sûr, c’est un coût social important, les aidants rencontrant souvent des difficultés majeures et craquent dans leur coin, silencieusement. Il faut que le gouvernement comprenne : la société aura toujours besoin d’aidants. Donc la question, c’est comment fait-on pour que l’aidance soit choisie, accompagnée, et non subie comme elle l’est souvent actuellement ? Il faut valoriser les aidants et les professionnels du médico-social.
En Bretagne, des aidants sont venus donner à manger aux résidents d’un Ehpad, faute de personnel suffisant.
Partout, le système se dégrade. En Bretagne, des aidants sont venus donner à manger aux résidents d’un Ehpad, faute de personnel suffisant. On en est là ! Bien souvent, les aidants accomplissent des tâches qu’ils ne devraient pas faire. En 2021, une enquête Ipsos et Unknows pour La Macif révélait que 91 % des aidants accomplissaient une tâche relevant du rôle de soignant. La crise du covid a renforcé cette situation, notamment lorsque des aidants, non formés, réalisaient des gestes techniques ou intimes qui sont normalement dans le champ d’action d’une aide à domicile ou d’une infirmière. Ajoutez à cela la charge mentale qu’un tel soutien représente est immense.
La logique de la rentabilité empêche-t-elle de revaloriser les métiers du soin et du lien, comme celui des aides à domicile ?
La notion du care a longtemps été réduite au silence, ou naturellement considérée comme gratuite. Aujourd’hui, ce sont des métiers, des activités qui demandent de la formation, de l’accompagnement, et une revalorisation générale. Mais la route est encore longue pour admettre qu’il faut soutenir financièrement les aidants et les professionnels du médico-social. Avec cette question : qui paie ? L’État ? Les mutuelles ? Les contrats de prévoyance ? D’un point de vue législatif, la loi sur le bien vieillir ne fait qu’être repoussée. Elle aurait dû être débattue avant l’été, puis en septembre. Nous sommes le 6 octobre, et toujours rien. Pourtant, certains acteurs du secteur l’attendent depuis dix ans. C’est comme si la montagne était tellement grande qu’on préfère la contourner.
Pour plein de gens, la notion d’aidant reste floue.
Mais c’est aussi un changement de société majeur : pour plein de gens, la notion d’aidant reste floue. Une personne sur deux en France ne connaît pas ce mot. La première journée nationale des aidants ne date que depuis 2010. Se reconnaître aidant, bénéficier d’un statut et donc demander à être accompagné n’est pas une chose aisée. Et au contraire, refuser parce que c’est trop dur est encore très difficile aujourd’hui. Il y a une très forte notion de culpabilité, avec une injonction sociale très forte à aider. Il faut aussi souligner qu’aider creuse les inégalités et est un révélateur des fragilités sociales et économiques.
Parce qu’il est difficile de faire la grève quand on est aidant, la question des modalités d’action pour interpeller le gouvernement n’est-elle pas difficile à résoudre ?
Si, bien sûr. Mais c’est pour cela qu’on trouve des manières très différentes pour mobiliser et sensibiliser. Si ce n’est pas la grève, ce sont les tribunes, les pétitions, les réseaux sociaux, l’interpellation des parlementaires puisque pour l’instant : ni le projet de loi de finance pour 2024, ni le projet de loi finance de la sécurité sociale ne mentionnent le rôle des aidants. Il n’y a rien. Mais au-delà du champ politique, tout le monde doit jouer un rôle : les associations, les entreprises et chaque citoyen.
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