« Je suis en grève de la faim pour avoir un logement accessible et adapté »
Nabéla s’est retrouvée du jour au lendemain en fauteuil roulant. Elle se bat depuis plusieurs années pour obtenir un logement adapté à son handicap.
dans l’hebdo N° 1781 Acheter ce numéro
Victime d’un accident de la route en 2015, Nabéla s’est retrouvée du jour au lendemain en fauteuil roulant. Contrainte de déménager, elle se bat depuis plusieurs années auprès de son bailleur social pour obtenir un logement adapté à son handicap. Elle a entamé une seconde grève de la faim pour se faire entendre. Au 23e jour, elle se confie à Politis.
J’ai été victime d’un accident de la route en 2015. Au bout de six mois, on m’a annoncé que mon état était définitif. Je me suis retrouvée en fauteuil roulant électrique. J’ai informé 3F, mon bailleur social. C’est là qu’a commencé une épreuve interminable pour obtenir un logement adapté. Ce que je ne savais pas alors, c’est que leurs logements dits « PMR » (personne à mobilité réduite) ne répondent pas… aux normes PMR. Concrètement, en largeur, c’est trop étroit. Je ne peux pas rouler, je ne peux pas me déplacer. Ils m’ont proposé un premier logement dont je ne pouvais pas sortir car il y avait des marches. Je ne pouvais pas me doucher ni aller aux toilettes.
Les matériaux sont plus nobles que dans une prison, mais c’est une prison quand même.
J’ai fait de nombreuses chutes car j’étais obligée de ramper. Ils m’ont ensuite proposé deux logements potentiels, un premier où il fallait passer par les sous-sols pour rentrer chez moi. « Un logement à la new-yorkaise », m’a dit le directeur. En fait, je suis traitée comme un rat. Ils m’ont proposé le deuxième logement sur plans et ils ont menti sur les plans. Je l’occupe depuis mars 2022 et c’est la même chose : impossibilité d’ouvrir les placards, de circuler, de se doucher, d’ouvrir les fenêtres.
Les matériaux sont plus nobles que dans une prison, mais c’est une prison quand même. Aujourd’hui, je suis en grève de la faim pour avoir un logement accessible et adapté. J’ai alors trouvé un autre logement PMR dans un arrondissement proche, chez un autre bailleur, mais 3F a tout fait pour que je ne l’obtienne pas : ils ont refusé de contacter l’autre bailleur pour un échange. J’ai compris que c’était de la maltraitance pure. C’est là que j’ai décidé d’entamer une grève de la faim, le 2 octobre.
Je suis une femme en situation de handicap, je cumule. J’ose me confronter à ces messieurs qui gèrent des millions de chiffre d’affaires et des milliers de locataires. Si je suis en grève de la faim, c’est parce que je ne suis pas la seule à subir cette situation. Je suis ancienne juriste et j’ai conscience de ce qu’est un litige individuel. Mais il ne s’agit pas de ça : de nombreux locataires vivent la même situation, surtout des personnes vulnérables. Pourquoi nous laisse-t-on face à des bailleurs privés qui nous maltraitent ? Pourquoi l’État ne veut-il pas nous protéger alors qu’il verse des subventions à ces bailleurs ? Ils nous maltraitent parce que nous sommes handicapés.
En 2005, une loi prévoyait que 100 % des logements soient accessibles et adaptables. Elle a été remplacée en 2019 par la loi Élan, qui prévoit que 20 % des logements soient adaptés aux personnes à mobilité réduite. Mais aucune des lois n’est respectée et les tribunaux ne condamnent pas. Pour les bailleurs sociaux privés, c’est une question d’argent. Chaque mètre carré leur coûte et la majorité des personnes handicapées n’ont pas d’autres revenus que l’allocation adulte handicapé (AAH). Si l’État ne contrôle pas que les lois adoptées pour nous protéger sont appliquées, alors nous nous retrouvons seuls.
Une grève de la faim, c’est violent sur un corps fragilisé.
Pour avoir un logement adapté, j’avais déjà fait une grève de la faim en juin, que j’ai arrêtée au bout de 18 jours quand on m’a dit qu’on allait s’occuper de mon dossier. Rien n’a changé. Aujourd’hui, cela fait 23 jours que je suis en grève de la faim. Les 15 premiers jours, j’allais dans le hall de ma résidence. Maintenant je suis alitée et j’utilise les réseaux sociaux pour informer. Une grève de la faim, c’est violent sur un corps fragilisé. Mais ce n’est pas parce que le bailleur nie mon existence que cela me rendra invisible. Le bailleur est indifférent et ne répond plus. J’ai conscience qu’il joue la montre et attend qu’on m’emmène et qu’on me perfuse de force, mais je continuerai à me battre. C’est une cause juste, on ne peut pas continuer à maltraiter les personnes handicapées.
J’ai 44 ans et je ne conçois pas que, demain, un gamin de 20 ans qui aurait un logement social puisse se retrouver à nouveau isolé parce qu’il ne peut pas circuler chez lui ni sortir de son logement. Aujourd’hui, je veux porter un message pour les personnes en situation de handicap. Si on essaie de nous invisibiliser et de nous mépriser, nous devons continuer de nous battre. Car c’est en étant unis que nous arriverons à nous faire entendre. Toutes nos difficultés individuelles se répètent et font partie d’un même système. Aujourd’hui, j’aimerais que nous nous retrouvions autour d’une seule cause, qui est de faire avancer et reconnaître nos droits.
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