Orpaillage illégal : la lutte des autochtones s’accélère en Guyane

Face aux ravages de la pollution au mercure engendrée par les activités d’orpaillage illégal, les peuples autochtones du Maroni sont sur le point de concrétiser leur combat. Plusieurs associations ont engagé une action en justice contre l’État pour « carence fautive ».

Tristan Dereuddre  • 20 octobre 2023
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Orpaillage illégal : la lutte des autochtones s’accélère en Guyane
Les délégations autochtones de la Guyane française ont défilé avec leurs soutiens le 14 octobre 2023, à Paris, pour dénoncer les défaillances de l'État en matière de lutte contre l’orpaillage illégal et de protection des droits humains et de la nature.
© Tristan Dereuddre

Samedi 14 octobre, ils étaient quelques centaines de personnes à défiler dans les rues de Paris, dans une grande marche « pour l’Amazonie ». Parmi les délégations autochtones présentes sur place, celle de Guyane française, représentée par Linia Opoya, présidente de l’association des victimes du mercure dans le Haut-Maroni. Depuis plusieurs années, la native du village Amérindien Wayana de Taluen a fait de la lutte contre l’orpaillage illégal son cheval de bataille. « La situation ne change pas, c’est toujours la même chose ! », s’exclame-t-elle, micro en main, devant les manifestants. Pourtant, avec l’appui de plusieurs associations, elle est sur le point de matérialiser le combat de sa vie par une procédure judiciaire concrète.

Aux côtés d’une coalition d’associations – composée de Wild Legal, la Coordination des organisations des peuples autochtones de Guyane (COPAG), la Jeunesse autochtone de Guyane (JAG), Maiouri Nature Guyane et Solidarité Guyane) –, elle a engagé lundi 16 octobre une action en justice contre l’État français pour « dénoncer ses défaillances en matière de lutte contre l’orpaillage illégal » en Guyane et en matière de « protection des droits humains et de la nature ».

Faire reconnaître les droits de la nature

Pour Marine Calmet, présidente de Wild Legal, « face à la carence fautive de l’État, nous voulons que le juge saisisse l’opportunité de notre recours pour constater explicitement l’existence des droits de la nature [ici du fleuve Maroni, N.D.L.R.] qui sont ici bafoués », explique-t-elle. Si elle souhaite faire reconnaître les droits en question, c’est parce qu’un exemple de jurisprudence a abouti à des mesures concrètes : « On cherche à s’appuyer sur ce qu’il s’est passé en Colombie, dans l’affaire du fleuve Atrato. Suite à un recours porté par une association, la Cour constitutionnelle a reconnu en 2016 ce fleuve comme sujet de droit fondamental, imposant au gouvernement national d’exercer la tutelle et la représentation légale des droits du fleuve ». C’est notamment par ce biais juridique que les associations espèrent mettre l’État face à ses responsabilités.

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Car cette carence fautive n’est pas sans conséquences. Elle conduit à une surexposition des peuples amérindiens du Haut-Maroni au mercure depuis plus de 30 ans : au regard des analyses menées, les taux d’imprégnation sur le Haut-Maroni vont largement au-delà des seuils limites fixés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et la Haute Autorité de Santé (4,4 µg/g dans les cheveux chez l’adulte, 1,5 µg/g chez les enfants de moins de 6 ans et 2,5 µg/g chez les personnes enceintes). « On a relevé des moyennes autour de 12 µg/g d’imprégnation capillaire chez les enfants et les adultes, avec de nombreux taux dépassant les 20 µg/g chez les adultes », souligne Jean-Pierre Havard de Solidarité Guyane.

13 tonnes de mercure et 7 000 tonnes de boue sont déversées chaque année dans le fleuve Maroni.

Pourtant, depuis 2009, le Conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane (PAG) a alerté les pouvoirs publics à de nombreuses sur la situation catastrophique de l’orpaillage illégal, qui touche particulièrement le Maroni. Ce fleuve transfrontalier entre la Guyane et le Suriname est victime d’une aggravation alarmante de la pollution de ses eaux. En cause : la multiplication incontrôlée des sites d’extraction d’or clandestins depuis le début des années 1990, avec pas moins de 500 sites recensés sur l’ensemble du territoire guyanais, dont 114 au sein même du PAG. Au total, ce sont 13 tonnes de mercure et 7 000 tonnes de boue qui sont déversées chaque année dans le Maroni.

Les ravages du mercure

« Chaque jour, l’eau est toujours aussi trouble. Les orpailleurs eux, sont toujours aussi nombreux » témoigne Linia Opoya, confrontée aux ravages engendrés par les activités d’orpaillage illégal depuis de nombreuses années. Située entre le Brésil et le Suriname, la Guyane est l’un des territoires qui présente la plus grande concentration d’or dans le monde. Couverte à 96 % par la forêt amazonienne (huit millions d’hectares), la région dispose de l’une des plus grandes réserves aurifères dans le monde, attirant de nombreux chercheurs d’or, principalement en provenance du Brésil. Appelés Garimpeiros, ils exploitent de manière illégale les ressources en utilisant des méthodes d’extraction particulièrement destructrices pour l’environnement.

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L’une d’entre elles : la séparation de la terre et de l’or par le mercure, métal relativement rare mais aussi agent biologiquement nocif. Le procédé consiste en l’extraction de minerais, au sein desquels sont coincés de petits fragments d’or. Pour les obtenir, ces derniers sont broyés et mélangés avec du mercure et de l’eau, afin d’obtenir une substance visqueuse ensuite portée à ébullition. De cette substance, des particules de mercure s’évaporent et laissent derrière elles le précieux métal convoité : l’or. Mais ce procédé d’extraction entraîne une pollution dévastatrice.

Une pollution chimique, tout d’abord, induite par le mercure « ouvrier », qui contamine l’écosystème soit par un déversement direct du produit dans l’environnement, soit par un rejet dans l’atmosphère issu de la combustion (avant d’être fixé au sol avec les pluies). Par ailleurs, les sols guyanais contiennent du mercure « naturel », qui, lorsqu’il est remué par les activités d’orpaillage, est libéré dans les écosystèmes. « L’orpaillage et la déforestation érodent et lessivent les sols naturellement riches en mercure minéral, entraînant sa sédimentation puis sa méthylation qui en fait un composant toxique absorbable par les poissons. », explique l’ARS. Le chiffre de 13 tonnes de mercure déversées par an ne concerne que le mercure ouvrier…

À côté de cette pollution chimique, une autre forme de pollution « physique » touche les cours d’eau. Ce sont les boues, à l’origine de taux élevés de matières minérales en suspension en contrebas des sites d’orpaillage. Elles entraînent une turbidité importante de l’eau, qui entrave le bon fonctionnement des milieux aquatiques (photosynthèse, reproduction, etc.).

Au-delà de sa haute toxicité pour l’environnement, le mercure provoque de graves conséquences pour la santé humaine, comme des troubles visuels et auditifs, des convulsions, des troubles mentaux et retard d’apprentissages chez les enfants nés de mères contaminées. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère le mercure « comme l’un des dix produits chimiques ou groupes de produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique. » Selon l’ARS, « l’activité minière est responsable d’une contamination forte et répétée de l’environnement, augmentant les risques pour la santé des populations locales. »

« On vit la nature. La forêt, c’est notre marché »

Cette pollution liée aux activités d’orpaillage engendre des conséquences dramatiques pour les populations locales, dépendantes de leur environnement pour leur survie : « Notre marché, c’est la forêt. On vit de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Mais si tout est contaminé par le mercure, on ne peut plus se nourrir ni boire sans s’empoisonner », témoigne Linia Opoya. Dans son village Wayana d’origine, à Taluen, elle a vu sa vie changer. « Étant petite, je buvais l’eau du Maroni », se souvient-elle. « Mais les orpailleurs sont venus chez nous pour détruire nos forêts, pour polluer notre rivière. J’ai donc créé une association pour aider mon peuple, parce que la contamination du mercure nous fait très mal ».

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Selon elle, cette situation s’étend aux villages voisins, tout aussi concernés par les problèmes de contamination : « Les clandestins ont tout détruit côté surinamais. Maintenant, ils n’ont qu’à traverser le Maroni pour leurs activités qui polluent beaucoup, pas seulement par le mercure, mais aussi par d’autres déchets. » Linia Opoya insiste aussi sur les nombreux vols de moteurs commis par les orpailleurs, ainsi que sur leurs activités de braconnage, mettant en danger la faune sauvage, et par extension, les Wayanas, un des peuples amérindiens des rives du fleuve.

Les clandestins ont tout détruit côté surinamais. Maintenant, ils n’ont qu’à traverser le Maroni pour leurs activités qui polluent.

Linia Opoya

Face à ce fléau, si elle réclame des mesures concrètes, elle apparaît désabusée à l’évocation d’une solution politique : « On souhaite obtenir une machine qui nous permettrait de détecter la contamination dans les poissons. On aimerait revenir auparavant, on veut qu’ils partent et qu’ils arrêtent de nous embêter. Mais on n’arrête pas de faire des demandes, sans succès. Au niveau politique, on a parlé avec le député de Saint-Laurent du Maroni, Jean-Victor Castor (Nupes), mais ça ne bouge pas suffisamment vite. »

Un fléau qui perdure et se développe

Au téléphone, le député dénonce fermement la position de l’État sur la question de l’orpaillage illégal. « C’est un sujet très vieux, qui a malheureusement fait basculer le gouvernement vers une doctrine qui est très dommageable pour l’ensemble de la Guyane : celle de contenir le problème plutôt que de l’éradiquer. C’est une forme de capitulation de l’État », déplore Jean-Victor Castor.

Pour lutter de manière plus efficace, il préconise une coopération militaire avec le Brésil. « Personne n’arrive à comprendre qu’un État comme la France soit incapable d’éradiquer un problème qui dure depuis 40 ans. Tout le monde sait aujourd’hui que les cartels à la tête de ces réseaux sont liés à d’autres activités criminelles (déforestation, trafic de drogue…). Il faut mettre en place un volet de coopération militaire de toute urgence. De son côté, le Brésil a déjà mis en place une traçabilité de l’or. La France n’a pas encore cet outil-là, ce n’est pas normal ! Je me demande quelle est la volonté réelle de l’État. Les officiers de l’armée française n’attendent que ça ! », poursuit-il.

Guyane orpaillage Maroni
« Notre marché, c’est la forêt. On vit de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Mais si tout est contaminé par le mercure, on ne peut plus se nourrir ni boire sans s’empoisonner » s’émeut Linia Opoya, présidente de l’association des victimes du mercure dans le Haut-Maroni. (Photo : Tristan Dereuddre.)

Car de l’autre côté du Maroni, au Suriname, les activités criminelles continuent de se développer. Depuis plusieurs années, des magasins chinois s’implantent sur les bords du fleuve pour vendre du matériel d’orpaillage. Parmi ce matériel, on retrouve des sacs de cyanure, autre composé chimique utilisé pour extraire l’or. Corrélation ou simple coïncidence, un accident de pollution au cyanure s’est produit sur lac Brokopondo au mois de mai, lorsqu’un bateau transportant plusieurs sacs de cyanure de marque chinoise avait chaviré dans la plus grande réserve d’eau du Suriname. Dans les jours qui ont suivi l’accident, plusieurs cas d’empoisonnements avaient été recensés, entraînant la mort d’un enfant de six ans.

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En France, peu de régions disposent d’autant de richesses environnementales et patrimoniales que la Guyane. Regroupant 98 % de la faune française, 96 % des espèces de plantes et de nombreuses populations indigènes, ce territoire n’est pas suffisamment considéré à sa juste valeur en matière de politiques publiques de préservation de l’environnement et des écosystèmes. La lutte contre l’orpaillage illégal constitue l’une des priorités incontournables de la préservation de cette région française, véritable poumon vert ô combien précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’extinction de la biodiversité.

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