Parlement de la Nupes, la grande désillusion

Lancé en mai 2022 par Mélenchon avec ses alliés de la gauche, ce parlement populaire devait devenir un espace « constructif et insolent envers le pouvoir ». Un an après, il est au point mort. Comme l’union de la gauche ?

Nils Wilcke  • 2 octobre 2023 abonnés
Parlement de la Nupes, la grande désillusion
Aurélie Trouvé, à l'Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, le 23 mai 2023. Elle fut installée comme présidente du parlement de la Nupes, une organisation devenue fantôme.
© Lily Chavance

Le parlement de la Nupes bouge-t-il encore ? « Il est plongé dans un coma artificiel », grince un parlementaire socialiste. « Honnêtement, je n’en ai plus jamais entendu parler après son lancement », lâche carrément à Politis la comédienne Eva Darlan. Comme elle, deux cents personnalités de la société civile ont assisté, le 30 mai 2022, à la mise sur orbite de l’ancien parlement populaire de LFI. L’initiative est alors soutenue par le gratin de la gauche intellectuelle : le prix Nobel de littérature Annie Ernaux, la sociologue Monique Pinçon-Charlot, l’écrivaine Chloé Delaume, le sociologue Ugo Palheta… Ce soir-là, Jean-Luc Mélenchon en personne, entouré d’Aurélie Trouvé, bombardée présidente de l’instance, et de ses alliés de la gauche, appelle l’instance à devenir un espace « constructif et insolent envers le pouvoir ». L’ambiance est bon enfant. Le patron de LFI lance néanmoins une mise en garde : « La pérennité de ce parlement n’est pas acquise. »

Sur le même sujet : Parlement de la Nupes : opération décloisonnement ?

Il ne croyait pas si bien dire. Un an après, c’est la grande désillusion. « Le parlement est débranché », reconnaît Anthony Smith. Le responsable syndical au ministère du Travail, connu pour son combat contre les injustices à Pôle emploi, a intégré le comité d’animation de l’instance. Son constat est partagé par les autres personnalités sollicitées. « C’est dommage, on en a besoin », convient Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité et candidat EELV aux législatives. D’autres ont soutenu l’initiative sans vraiment donner suite, à l’image de l’historienne Mathilde Larrère : « Je ne pouvais pas me rendre aux plénières. » Eva Darlan se dit « déçue », pour sa part : « J’avais travaillé mon discours, mais une fois la campagne passée, les politiciens ne nous calculent plus. Et je ne suis pas la seule à le penser. »

Guerres d’ego et logiques boutiquières

Comme elle, d’autres personnalités du monde de la culture ou de l’université évoquent en off « des guerres d’ego » et des « logiques boutiquières ». « J’en ai fait, des trucs de ce genre, beaucoup de bla-bla qui ne débouche sur rien. Mais ne me citez pas », supplie un intellectuel. Preuve de ce malaise, une poignée d’entre eux attaque les chefs de parti : « La Nupes n’a pas su faire vivre son parlement », regrettent plusieurs d’entre eux dans une tribune publiée le 29 septembre par Libération, appelant à sortir des « calculs politiciens ».

Le sujet est sensible. Aucune formation politique ne veut officialiser le décès du parlement. Et pour cause, en filigrane se pose la question de celui de l’alliance de la gauche. « À qui appartient la Nupes ? Objet commun ou prolongation de LFI ? », s’interroge une huile écolo. La direction d’EELV a elle aussi considéré avec méfiance ce parlement à la sauce insoumise, comme le PCF et le PS. « Ils ont envoyé Marie Toussaint, pas Sandrine Rousseau », observe un autre écolo. « J’ai relancé Marine Tondelier en juin, elle m’a adressé un “niet” catégorique », déplore Aurélie Trouvé.

L’union de la gauche, ça ne peut pas être LFI au guidon et les autres partis derrière.

Ian Brossat, PCF

Contactée, la patronne des écolos n’a pas donné suite. La direction du PCF ne dit pas autre chose : « L’union de la gauche, ça ne peut pas être LFI au guidon et les autres partis derrière », ironise Ian Brossat, sénateur et porte-parole du parti, qui assure n’avoir « jamais été recontacté » après le 30 mai. Depuis, les relations entre le patron des communistes Fabien Roussel et Jean-Mélenchon sont devenues exécrables. « Si deux partis sur quatre refusent de participer, ce n’est plus la Nupes », fait valoir Aurélie Trouvé, qui ne voulait pas exposer ces divergences en public pour « ne pas tendre un peu plus » la situation.

Sur le même sujet : Mélenchon et Roussel brûlent la Nupes par les deux bouts

« Ce parlement n’a jamais vraiment fonctionné », confirme la sénatrice PS Corinne Narassiguin. « C’était un super tremplin, pas un travail de fond », selon cette proche d’Olivier Faure, qui y représente les socialistes. « Le PS ne nous a pas aidés en pinaillant sur le vocabulaire », s’agace un cadre LFI face aux critiques sur le terme de « parlement ». « À la plénière en novembre, nous étions prêts à lâcher sur ce point », précise Aurélie Trouvé. « Jean-Luc Mélenchon est toujours venu, lui », balance l’élue. Comprendre, pas les autres leaders de la gauche. « On a proposé de le rebaptiser “l’Agora” car ce n’est pas une instance délibérative. Mais le comportement de Mélenchon tue la marque Nupes », riposte un éminent socialiste. Ambiance.

En attendant, les membres non politiques de l’instance s’impatientent. Surtout face à la menace d’une victoire de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle. « Mélenchon est devenu un épouvantail pour la gauche qui se dit modérée, mais ce parlement m’a permis de faire des rencontres intéressantes », soutient Denis Quinqueton, codirecteur de l’observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès. « Il y a une forte attente du peuple de gauche pour une alternative en 2027 », renchérit Nicolas Cadène.

On se fout de savoir s’il y aura plus d’élus PCF ou écolos aux européennes. Ce qu’on veut, c’est de l’espoir.

Anthony Smith

« On se fout de savoir s’il y aura plus d’élus PCF ou écolos aux européennes, ce qu’on veut, c’est de l’espoir », martèle le syndicaliste Anthony Smith. Comme lui, les autres « civils » du parlement sollicités sont d’accord sur ce point : un « espace de discussion » entre les mouvements sociaux est « indispensable » pour l’emporter en 2027. « Si les politiques bloquent, la société civile va bouger sans eux », prévient Denis Quinqueton. « Sans l’union, on va tout droit à la catastrophe face à l’extrême droite », renchérit Eva Darlan. Seront-ils entendus ?

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous