Rentrée universitaire : le « fac off » du pouvoir

Les facs françaises connaissent des situations alarmantes, sinon inédites : une administration au bord de la rupture, des reprises des cours reportées et des étudiants qui ne s’en sortent plus financièrement.

Embarek Foufa  • 4 octobre 2023 abonné·es
Rentrée universitaire : le « fac off » du pouvoir
Une distribution alimentaire pour des étudiants, le 23 mars 2023 à Paris. La demande explose.
© AMAURY CORNU/Hans Lucas/AFP

« C’est la première fois qu’on fait une rentrée sans gestionnaire pédagogique. Tout est bloqué. » Le constat d’Olivier Ritz, maître de conférences à l’université de Paris, est implacable. Conséquence : la rentrée des 250 étudiants en licence de lettres et sciences humaines de première et deuxième années a été reportée au 25 septembre, soit une semaine après la date initiale. « Entre les nombreux arrêts maladie et les départs successifs, on ne cesse de bricoler. Nous sommes arrivés à un moment critique », précise Olivier Ritz. Preuve d’un roulement incessant dans les postes administratifs, la dernière gestionnaire pédagogique était la cinquième remplaçante en trois ans. La précarité étant leur principal dénominateur commun.

En vingt ans à la fac, je n’avais jamais vu autant de personnels dans une telle détresse.

Olivier Ertzscheid, université de Nantes

Dans ce genre de cas, l’impuissance règne puisque les enseignants-chercheurs n’ont pas accès aux espaces numériques réservés aux administratifs, secteur où le manque de personnel est le plus criant. Les gestionnaires pédagogiques sont les premiers interlocuteurs des étudiants et des enseignants. « Ils représentent la cheville ouvrière de l’université, indispensable à son fonctionnement », confirme Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication et maître de conférences. Le personnel administratif est à la fois insuffisamment payé et mal considéré. « Les situations de burn-out et de postes non pourvus se multiplient », constate Olivier Ritz. Son confrère de l’université de Nantes, Olivier Ertzscheid, dresse le même bilan : « Certaines filières explosent dans des proportions jamais observées. En vingt ans à la fac, je n’avais jamais vu autant de personnels dans une telle détresse. On leur ajoute sans arrêt des tâches. Je ne sais pas comment ça tient, mais ça ne va pas tenir très longtemps. »

Les acteurs de l’enseignement supérieur rappellent que la plupart des établissements continuent de fonctionner correctement. Les dysfonctionnements les plus graves sont des cas isolés, mais leur nouveauté fait craindre le pire. « Si on ne corrige pas rapidement le tir, cela va se développer et on va se retrouver dans la même situation que l’Éducation nationale », confie Julien Gossa, maître de conférences à l’université de Strasbourg. La question des moyens alloués à l’université publique est sans cesse posée.

Le gouvernement entre mépris et communication

Dans un entretien accordé au youtubeur Hugo Travers, dit HugoDécrypte, le 4 septembre dernier, Emmanuel Macron estime que les universités devraient faire beaucoup mieux avec leur budget, évoquant une « forme de gâchis collectif ». Selon le chef de l’État, certaines formations ne diplômeraient plus, tandis que d’autres continueraient d’exister seulement pour maintenir des postes d’enseignants. « Prenons-le au mot. Quelle filière on ferme ? Les pouvoirs publics n’ont aucune réponse parce qu’ils savent pertinemment que toutes les filières universitaires conduisent à l’emploi. Si des filières devaient être fermées, ce ne serait absolument pas pour des raisons économiques ou de professionnalisation, mais pour des raisons idéologiques », assure Julien Gossa, qui travaille justement sur les transformations de l’action publique dans l’enseignement supérieur et la recherche.

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En effet, cette intervention du président s’inscrit dans la continuité de propos tenus en 2020, quand il avait accusé les enseignants en sciences humaines et sociales de promouvoir « l’ethnicisation de la question sociale ». Une énième manière de flatter l’électorat d’extrême droite, selon Julien Gossa, qui précise : « Il y a une tentation du pouvoir de s’attaquer aux sciences sociales, qui seraient “wokistes” et fractureraient la République. Mais le gouvernement est-il prêt à fermer des formations de sociologie au risque d’en jeter les étudiants dans la rue ? J’en doute. »

La communication gouvernementale vise à couper l’université en deux, avec d’un côté les pôles dits d’excellence et, de l’autre, les formations qui ne seraient pas rentables. « C’est pourtant dans ces filières considérées comme non rentables que l’on forme des futurs travailleurs de métiers en tension, notamment dans le professorat. Le projet de société derrière les intentions du gouvernement est profondément délétère », déplore Olivier Ertzscheid. Les réponses du gouvernement, disséminées en petits bouts d’annonces ciblées, s’inscrivent dans la même veine que celles apportées à l’Éducation nationale. Les effectifs d’enseignants-chercheurs sont restés stables alors que le nombre d’étudiants n’a pas cessé d’augmenter. Aujourd’hui, il faudrait 11 000 enseignants-chercheurs supplémentaires pour retrouver le taux d’encadrement de 2010.

Des étudiants en détresse

La chute du budget de l’enseignement supérieur depuis 2010, accentuée sous la présidence Macron, est illustrée par des données des économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty, qui l’établissent à plus de 25 %. « Les étudiants sont dans une situation d’extrême souffrance. Nous agissons à notre échelle », déclare Olivier Ertzscheid, qui participe à une distribution alimentaire deux fois par mois à l’IUT de La-Roche-sur-Yon. Selon une étude menée auprès de 5 115 étudiants par Linkee, association d’aide alimentaire, 76 % des interrogés ont un « reste à vivre » de moins de 100 euros par mois, une fois leurs factures payées. 91,7 % d’entre eux vivent avec moins de 1 000 euros par mois, dont 47 % en dessous de 400 euros.

Sur le même sujet : « L’Éducation nationale est la plus grande enseigne de bricolage du pays »

Quatorze présidents d’université, qui représentent 500 000 étudiants, tirent le signal d’alarme. Dans une tribune publiée par Le Monde, ils appellent à la création d’une allocation d’étude pour tous les étudiants. « Les aides d’urgence sont un marqueur incroyable de la situation. Les années précédentes, le montant maximum demandé était de 600 euros. Aujourd’hui, cela atteint 1 200 euros. On assiste à une explosion en nombre de demandes et en montants », exposait Christine Neau-Leduc, présidente de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dans la matinale de France Inter le 20 septembre dernier.

Les aides d’urgence sont un marqueur incroyable de la situation.

Christine Neau-Leduc, université Paris 1

Dans la continuité, une action a été menée par le syndicat Union étudiante (UE) devant ­l’Assemblée nationale pour alerter les députés sur cette précarité, le 26 septembre. Pancartes en mains, les manifestants ont installé une quarantaine de tentes. « Le mal-logement est le principal frein à l’autonomie des jeunes. Pour les pousser à agir, nous venons de lancer une grande enquête sur cette question qui représente souvent un angle mort au niveau des chiffres », lance Éléonore Schmitt, porte-parole de l’UE. Alors que la « fin de l’abondance » n’a plus été en vigueur au château de Versailles pour la venue de Charles III, les universités s’écroulent et les étudiants sont en détresse. Une illustration du sens des priorités, toujours plus à droite, de la Macronie.

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