Rien ne va plus à « Franc-Tireur »

Le journal « de combat » fustige Sophia Chikirou (LFI) pour avoir comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot. Souci : un de ses fondateurs, Raphaël Enthoven, a déjà lancé la même accusation à l’égard de Jean-Luc Mélenchon.

Sébastien Fontenelle  • 4 octobre 2023
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Rien ne va plus à « Franc-Tireur »
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L’autre jour, comme on sait, la députée Sophia Chikirou, élue de La France insoumise (LFI), a considéré qu’il y avait « du Doriot dans Roussel ». Puis, tout de suite après, Jean-Luc Mélenchon a, comme le notait le camarade Sieffert dans son édito du 28 septembre, relayé cette (fort dispensable) formule.

Et l’hebdomadaire Franc-Tireur – qui se présente comme « un journal de combat » dont les « fondateurs », parmi qui se compte notamment l’éditocrate Raphaël Enthoven, « passent l’information au crible » et « liquident les fausses nouvelles et les manipulations » – a trouvé tout cela tout à fait inconvenant. Il a donc publié, dans son édition datée du 27 septembre, un papier dont l’auteur, Michaël Prazan, scandalisé par l’« accusation hallucinante » portée par Chikirou, écrit notamment (1) que « la honteuse comparaison n’est pas inédite », puisque « Mélenchon avait lui-même évoqué Doriot et Déat, dans une note du 15 juillet dernier, pour admonester le PC et le PS ». Puis il conclut que le fait que Roussel soit ainsi « repeint en nazi » par des figures insoumises prouve bien que, décidément : « Rien ne va plus à la Nupes. »

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Et non sans proférer au passage quelques vilenies sur ce qu’il appelle « les complaisances de LFI avec l’antisémitisme et le totalitarisme islamiste ».

Reprenons, pour que tout soit bien clair : Michaël Prazan, contributeur d’un hebdomadaire – fondé (notamment) par Raphaël Enthoven – qui se targue de passer « l’information au crible » et de « liquide(r) les manipulations », écrit dans ce magazine qu’il trouve « hallucinante » l’« accusation » portée par Chikirou lorsqu’elle profère qu’il y a « du Doriot dans Roussel ». Puis il ajoute que cette « honteuse comparaison » est d’autant plus incommodante qu’elle a un précédent – puisque Mélenchon avait déjà « évoqué Doriot et Déat » pour « admonester » le Parti communiste et le Parti socialiste.

Fort bien : cet émoi se conçoit.

Mais une information a semble-t-il échappé au « crible » de ce vigilant scripteur : en 2021, un éditocrate éminent avait très tranquillement fait, sur Radio J (où l’on avait aussitôt tweeté ce fougueux propos), « un parallèle entre les parcours de Mélenchon, Ruffin, Onfray, Doriot et Déat ». Son intervieweur, un peu mal à l’aise, lui avait du reste rétorqué : « Vous dites ça à Mélenchon, il va vous insulter. » Mais l’imprécateur assumait crânement : « Mélenchon ne connaît que l’insulte », avait-il à son tour répondu.

Et qui était ce jaseur qui comparait si tranquillement Mélenchon et Ruffin à Déat et Doriot ?

Raphaël Enthoven – who else ?

Alors, franchement, on espère que Michaël Prazan, qui braille dans Franc-Tireur que la « comparaison » faite par Mélenchon entre Doriot et Roussel est totalement « honteuse », n’apprendra jamais qu’un fondateur de Franc-Tireur avait lancé deux ans plus tôt la même « accusation hallucinante » contre le même Mélenchon : on ne voudrait pas que cet héroïque liquidateur de « manipulations » détecte dans cette rugueuse profération la preuve que « rien ne va plus » dans son propre journal.

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Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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