SNU : Macron impose sa vision de l’engagement pour mater la jeunesse
L’obstination du chef de l’État à vouloir généraliser le SNU révèle un écart toujours plus grand entre sa vision réactionnaire de l’engagement et les priorités des jeunes, de plus en plus opposés à sa politique.
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SNU : ce que pointe un député écologiste dans son rapport au vitriol Stage ou SNU ? L’étau se resserre sur les élèves de seconde Le « lycée engagé », machine à recruter pour le SNUDes milliers de jeunes dans les rues contre la réforme des retraites, contre les violences policières et les discriminations, contre le sexisme, contre l’inflation, contre l’inaction face au dérèglement climatique ou contre les crimes de guerre en Israël et en Palestine. Cette année, l’engagement des lycéens et des étudiants a été massif, divers et débordant. Avec, en toile de fond de ces mobilisations, la précarité, la faim, le chômage et l’éco-anxiété qui frappent toute une génération.
Cette détermination, Emmanuel Macron ne la partage pas. À peine la salue-t-il, comme il l’a fait dans son allocution à Bormes-les-Mimosas, tenue le 17 juillet dernier, soit trois semaines après les révoltes massives survenues suite à la mort de Nahel à Nanterre : « Il y a dans nos jeunes un appétit de liberté, un idéalisme, qui se cherche parfois et auquel nous devons répondre. Sans quoi parfois, cette aspiration noble se retourne contre elle-même et sape les fondations de cette nation de liberté, d’égalité et de fraternité initiée en 1789 ».
En clair, les émeutiers étaient des barbares. L’exécutif, lui, n’a plus d’autres choix que de mener une mission civilisatrice.
En réponse à cet « appétit de liberté », la seule priorité qui s’est imposée aux yeux du chef de l’État, en direction des très jeunes manifestants ayant participé aux émeutes, figure dans son entretien au magazine Le Point, publié fin août. Pour Emmanuel Macron, c’est clair : « Il faut s’atteler à reciviliser ». Le seul engagement qui convienne, c’est celui qui célèbre la patrie telle que lui seul la voit. Celui qui conforte l’idée que la jeunesse a besoin d’ordre. Que sans autorité, elle se perd. Se faisant, il fait de l’engagement une conquête civilisationnelle. Pour ramener à la raison, par définition, une partie de la population bassement attirée par sa condition primitive. En clair, les émeutiers étaient des barbares. L’exécutif, lui, n’a plus d’autres choix que de mener une mission civilisatrice.
Le président ne voit pas dans les révoltes qui ont émaillé l’année – et qui structurent l’expression politique des jeunes depuis la crise du covid et ses nombreux confinements – un cri de colère contre un monde à bout de souffle. Une furieuse injonction à transformer les politiques à l’œuvre et leur manière d’être décidées. Avec ses égarements, certes, ses excès, ses violences ou ses mauvais choix. Qu’importe.
Pour le locataire de l’Élysée, cet engagement relève d’un danger. D’une gangrène qu’il faut s’empresser de traiter, au risque qu’elle contamine la nation. Les slogans, les pancartes, les dégradations se résument donc à une « frénésie de transgression », engluée par une « fièvre de renverser les interdits », comme il le disait encore à Bormes-les-Mimosas. Une liberté basée sur des droits et des devoirs, « c’est ce dont nous devons nourrir nos jeunes générations », poursuivait-il.*
Pendant ce temps-là, plus de la moitié des jeunes ne mangent pas à leur faim.
Quoi de mieux que le service national universel pour raviver l’ordre de ce monde réactionnaire ? La priorité du gouvernement, dès l’expérimentation de ce dispositif que menait Gabriel Attal, alors secrétaire d’État, en 2019, jusqu’à sa généralisation aujourd’hui avec Prisca Thévenot, c’est d’inscrire le SNU dans la définition d’un engagement légitime. L’instruction relative à la mise en œuvre du SNU envoyée aux académies, le 6 octobre, le notait très bien : « Le séjour de cohésion tend à donner une matérialisation concrète » à l’enseignement moral et civique prodigué en classes.
Le projet de décret, qui permet aux élèves de seconde de ne pas réaliser leur stage obligatoire de fin d’année s’ils s’engagent dans le service national universel, rappelle une autre idée reçue. Tout droit sortie des répertoires paternalistes, elle consiste à juger la jeunesse comme étant oisive, peu encline à l’effort. Fainéante. Fini, les gens qui ne sont rien. Place aux jeunes qui ne font rien : à eux, deux issues possibles. L’entreprise, ou le SNU. C’est le projet de société que vend Emmanuel Macron.
Juger la jeunesse comme étant oisive, peu encline à l’effort. Fainéante.
Autre trace de cette nouvelle définition de l’engagement. Sur le bulletin officiel de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, publié à la rentrée, il est rappelé que « s’engager pour les autres et pour la nation est une étape importante de tout parcours d’émancipation. L’engagement de la jeunesse est le corollaire d’une société unie, dans laquelle les valeurs de la République en sont le ciment. Le service national universel (…) constitue un cadre pour promouvoir et accompagner l’engagement de la jeunesse ».
C’est ce que propose le label « classe et lycée engagé » lancé depuis la rentrée. Ce nouveau dispositif adressé aux lycées scelle des projets très divers – des ateliers sur la biodiversité, une pièce de théâtre historique, des partenariats avec des institutions culturelles – dans un seul et même objectif : grossir les rangs des volontaires au SNU. Y compris lorsque les professeurs qui s’occupent de ces projets… ne sont même pas au courant de cette finalité.
L’engagement associatif ou syndical, l’appel à la solidarité, à la paix ou à l’égalité ne figurent pas parmi les motifs d’actions collectives admis par le président de la République. Ils contesteraient par définition le socle de valeurs qui sont les siennes, et sur lequel repose son modèle, son monde. Celui d’un néolibéralisme autoritaire.
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