Sortir du croisiérisme : un impératif écologique !
TRIBUNE. À l’heure de l’urgence climatique et de la nécessaire bifurcation écologique, il est temps d’inventer avec les citoyen.nes et les maires de Méditerranée un autre modèle touristique plus diffus et soutenable, estiment cinq élus et militants écologistes de Marseille.
L’impasse et la toxicité de l’industrie de la croisière et de sa course effrénée au gigantisme et au « toujours plus » n’est plus à prouver à Marseille, comme dans la plupart des grands ports méditerranéens.
Le croisiérisme n’a pour retombées que des impacts négatifs (sanitaires notamment) et très peu de retombées économiques : pluies de particules fines, pollution de l’air et de la mer, émissions de gaz à effet de serre, exploitation du personnel, évasion fiscale… Le nombre de croisiéristes en France est passé en une décennie (entre 2009 et 2019) de 2,1 millions à 4,5 millions. Plus des trois-quarts de ce croisiérisme se passe sur des ports méditerranéens du littoral français.
Un navire de croisière consomme chaque heure 2 000 litres de fioul lourd en mer et 700 à quai.
Les riverains de ce littoral méditerranéen ne veulent plus mourir des pluies de particules fines qu’ils subissent des navires de croisière, notamment avec une pollution non régulée.
Des bateaux de 20 étages
L’ONG Transport & Environnement a épinglé en 2019 les dégâts causés à l’atmosphère par ces monstres des mers. Les 57 navires de croisière qui ont fait escale à Marseille en 2017 ont émis autant d’oxydes d’azote que le quart de toute la flotte automobile de la ville. À quai, ils rejettent de deux à cinq fois plus d’oxyde de soufre que l’intégralité des voitures de la ville.
En moyenne, un navire de croisière consomme chaque heure 2 000 litres de fioul lourd en mer et 700 à quai. Une semaine de croisière en Méditerranée représente le budget carbone (2 tonnes de CO2), recommandé par les Accords de Paris, d’une personne sur une année entière.
À l’heure de l’urgence climatique et de la nécessaire bifurcation écologique, il est temps d’inventer avec les citoyen.nes et les maires de Méditerranée un autre modèle touristique plus diffus et soutenable. Le modèle touristique de l’industrie de la croisière, fondé sur la démesure, l’hybris, la gabegie d’électricité est obsolète face à l’impératif de sobriété et à la finitude de nos ressources. On ne peut plus tolérer d’alimenter des piscines à vagues, des simulateurs de surf, des pistes de ski, des patinoires sur des bateaux de 20 étages, de 350 mètres de long pouvant accueillir 10 000 personnes à bord. C’est indécent !
Or, la course au gigantisme n’est pas terminée. Les ports méditerranéens accueillent des navires de croisière toujours plus grands et plus polluants en termes d’émissions (450 kg de particules fines par jour en moyenne). De plus, les compagnies de croisières utilisent pour 75 % des pavillons de complaisance (Bahamas, Bermudes, Malte et Panama), pour contourner l’impôt, le droit du travail, les normes environnementales…
Étendre la ZFE au domaine maritime
Rompre avec ce modèle de tourisme de masse qui abîme notre Mare Nostrum est urgent. Un scénario de sortie progressive du croisiérisme et de ses ravages sanitaires, environnementaux et sociaux est à élaborer en commençant par limiter le nombre et la taille des navires dans les ports méditerranéens. Ce travail doit être mené sous l’égide des maires des villes méditerranéennes avec les citoyen.nes, les parlementaires, les experts du climat et de l’économie de la mer et les acteurs mobilisés en Méditerranée.
Le croisiérisme n’a aucune utilité sociale, contrairement aux ferries qui permettent eux la continuité territoriale entre la Corse et le continent et la libre circulation des personnes en Méditerranée.
Les villes méditerranéennes ont su convaincre leurs chefs d’État pour plaider auprès de l’OMI (Organisation maritime internationale) la création d’une zone de contrôle des émissions d’oxyde de soufre et de particules de la mer Méditerranée (SECAMED), qui sera effective en 2025. Il faudra aller plus loin en réglementant également la pollution aux émissions d’oxydes d’azote (NECA) tout en interdisant les scrubbers (1) en Méditerranée qui ne font que déporter le problème de la pollution de l’air vers la mer. Il convient également que le gouvernement élargisse pour des raisons sanitaires et de justice sociale la Zone à faible émission (ZFE) au domaine maritime car il n’y a pas de raison que les monstres des mers soient exclus de la lutte contre la pollution alors que les véhicules les plus polluants le sont.
Filtres spéciaux placés dans les cheminées des navires.
Il faut surtout dès demain entamer ce travail d’ébauche d’un scénario sur 10 ans de sortie progressive du croisiérisme, de ce tourisme de masse ravageur.
Penser un tourisme plus soutenable et diffus sur l’année et moins impactant ; anticiper la reconversion de l’activité du croisiérisme sur les ports vers des activités socialement plus génératrices d’emplois et d’utilité sociale et environnementale (énergies renouvelables marines, économie de la mer, transition énergétique de la propulsion des navires…) : voilà les deux enjeux majeurs devant mobiliser le monde économique et scientifique et les défenseurs de l’environnement.
En finir avec l’aberration du croisiérisme, qui n’a aucune utilité sociale, contrairement aux ferries qui permettent eux la continuité territoriale entre la Corse et le continent et la libre circulation des personnes en Méditerranée, est un acte de salubrité publique.
Pour le climat, pour notre santé, pour le vivant et pour les générations futures, puisse ce vœu se réaliser au plus vite.
Sébastien Barles, adjoint au Maire de Marseille, EELV
Hendrik Davi, député, LFI
Florence Joly, responsable Alternatiba Marseille
Gwenaëlle Menez, membre du collectif Stop Croisières
Michèle Rivasi, députée européenne, EELV
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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