« Killers of the Flower Moon », de Martin Scorsese ; « Linda veut du poulet ! », de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach
La puissance historique et politique de Scorsese et la grâce fantaisiste d’un film d’animation
À l’occasion de la sortie en salles mercredi de ces deux films, présentés – coïncidence – le même jour à Cannes, nous republions leur critique de l’époque.
Première publication le 21 mai 2023
Les Amérindiens Osages peuvent être fiers : hier, ils ont été grandement mis à l’honneur à Cannes. Ils sont les héros historiques de Killers of the Flower Moon, quand Robert De Niro et Leonardo DiCaprio en sont les stars cinématographiques.
Non seulement le nouveau film de Martin Scorsese raconte comment des Blancs peu recommandables ont spolié et tué les Osages devenus soudain richissimes, au début des années 1920, grâce à leurs terres de l’Oklahoma au sous-sol regorgeant de pétrole. Mais ceux-ci n’y figurent pas seulement comme des victimes : leur culture y est très présente, et Scorsese les montre tentant de réagir à ce qui leur arrive : ce sont eux, notamment, qui alertent le directeur du Bureau d’investigation (l’ancêtre du FBI), J. Edgar Hoover, dans l’espoir qu’il dépêche ses agents afin qu’ils mènent l’enquête sur ces meurtres.
Killers of the Flower Moon, Martin Scosese, 3 h 26. En salles le 18 octobre.
Ce qui s’est mis en place auparavant est une terrible entreprise meurtrière, dont le grand ordonnateur est le patriarche, propriétaire de bétail, William Hale (Robert De Niro), dit « King », qui parvient à se faire passer pour un mécène. Il a sous son emprise son neveu, Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio), qu’il implique dans l’exécution de ses crimes. Mais Ernest tombe amoureux de la fortunée Osage Mollie (la très émouvante Lily Gladstone, actrice amérindienne, vue, jusqu’ici, chez Kelly Reichardt), dont King a pour projet d’assassiner tous les membres de la famille afin de récupérer leur argent.
Killers of the Flower Moon, présenté hors compétition, est à la hauteur de l’attente qu’il suscitait. Plastiquement splendide, plutôt dans les tons sombres, avec quelques fulgurances visuelles (la vision d’hommes contrôlant un incendie à travers une vitre dépolie), sa charge historique et politique passe par l’absence totale de flamboyance des personnages blancs qu’il met en scène.
Pas de code de l’« honneur ». Même pas de solidarité entre eux. Tueurs et escrocs n’ont qu’une religion : celle de l’argent, qui s’exprime chez William Hale par l’horizon borné de posséder toujours davantage. Manipulations et mensonges sont ses modes d’action, le racisme son moteur. Gare aux êtres faibles, comme Ernest Burkhart, pris entre son oncle et sa femme dans un conflit de loyauté (un sentiment qu’il est bien le seul à connaître).
Ce western, qui n’en a pas les codes, a une forme d’austérité qui tient au tableau qu’il dresse de cette société des États-Unis. Une allusion y est aussi faite au massacre de Tulsa survenu en 1921, ville qui se situe à quelques dizaines de kilomètres de là en Oklahoma, l’un des plus grands massacres de masse commis par les Blancs contre la communauté afro-américaine. Pour autant, en sourdine, le film est traversé par un petit air parodique.
L’interprétation de De Niro et DiCaprio des deux protagonistes, affreux bien qu’à la limite du ridicule (se faire appeler « King », déjà…), est un délice. On en découvrira la raison au gré d’une fin surprenante. Où le cinéaste apparaît aussi lui-même comme pour affirmer son engagement dans l’histoire qu’il vient de raconter (on pense fugacement à Chaplin dans Le Dictateur). Killers of the Flower Moon est une grande œuvre et un lieu de mémoire.
Que d’aventures pour réussir un plat !
Les occasions de sourire ne sont pas si fréquentes à Cannes. En voici une, présenté par l’Acid : Linda veut du poulet !, un joli film d’animation, de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach. Ce dernier avait déjà signé, seul, La Jeune fille sans mains, qui figurait également dans la programmation de l’Acid à Cannes, en 2016. On retrouve ici la même inventivité du graphisme, avec une fantaisie piquante qui participe amplement au charme du film.
Linda veut du poulet !, Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, 1 h 13.
Le poulet que désire tant Linda, c’est du poulet aux poivrons, le plat que préparait avec amour son défunt père italien – car toute cette histoire repose sur une disparition, évoquée avec délicatesse dans le générique d’ouverture. Le sourire qui illumine ce film n’est donc pas dénué d’un sentiment de perte que la petite fille désire inconsciemment combler.
Réussir ce plat quand on est nulle en cuisine – c’est le cas de la mère de Linda, Paulette – est déjà difficile. Mais c’est une gageure lorsqu’une quantité d’obstacles se dresse devant elle et sa fille ! À commencer par mettre la main sur un poulet – tous les magasins sont fermés pour cause de grève générale (on a dit qu’on souriait ! On peut même aussi rêver !) Une fois l’animal capturé, encore faut-il être capable de l’occire.
Linda et sa mère, qui a appelé à la rescousse sa sœur, Astrid, professeure de yoga et esprit revêche, se retrouvent prises dans des mésaventures dont le ressort burlesque est parfaitement rendu par la fluidité du dessin. En outre, qui parle de poulet appelle bien entendu un policier, celui-ci encore mal dégrossi, plus proche de Gaston Lagaffe que de l’inspecteur Harry, véritable caillou dans la chaussure pour qui veut courir vite.
Coloré, intrépide, Linda veut du poulet ! a le tempérament d’un gosse mal élevé comme il faut, la drôlerie et l’impertinence en bandoulière, l’énergie du chenapan et la tendresse de Zéro de conduite. Les voix sont particulièrement dans le ton : la petite Mélinée Leclerc est Linda, Clotilde Hesme Paulette, Laetitia Dosch Astrid, Esteban le flic emprunté qui, sans le chercher, trouvera l’amour. Un régal !
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