« Tourisme de guerre » ou visite de « solidarité » ? Le voyage de Yaël Braun-Pivet en Israël divise
Deux jours avant la visite d’Emmanuel Macron en Israël, le déplacement de la présidente de l’Assemblée nationale est critiqué tant sur la forme que sur le fond par la classe politique, y compris dans son propre camp.
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Macron en Israël : entre inconséquence et irresponsabilité Israël-Palestine, l’abandon de la FranceEn se rendant en Israël ce dimanche, Yaël Braun-Pivet se doutait-elle qu’elle créerait une telle controverse ? « Elle n’est pas sortie de l’œuf, son geste est politique et calculé, la défend un éminent parlementaire Renaissance. Elle voulait frapper un grand coup. » Le « coup » a porté. L’Assemblée nationale s’est embrasée ce lundi 23 octobre, lors de la discussion sur la situation au Proche-Orient. La veille, la présidente de la chambre basse du Parlement visitait le kibboutz de Beeri ainsi que le site de la rave party où ont été tuées et kidnappées des centaines de personnes lors des attaques terroristes menées par le Hamas le 7 octobre. L’élue des Yvelines « était invitée par son homologue à la Knesset (le Parlement israélien, N.D.L.R.), Amir Ohana » et voulait faire acte « de solidarité », en soutenant Israël mais aussi « encourager les convois humanitaires pour les populations civiles », précise son entourage à Politis.
Problème : ce déplacement intervient après le « soutien inconditionnel » à l’État hébreu formulé par de la présidente de l’Assemblée nationale. Celle qui est le 4e personnage de l’État en a remis une couche une fois sur place devant les caméras, vêtue du gilet pare-balles réglementaire : « Il faut préserver (les populations civiles) bien sûr, mais rien ne doit empêcher Israël de se défendre (…) Il y a un attaquant et des attaqués. » Une position tranchée, qui diffère de celle de la France, deux jours avant la venue d’Emmanuel Macron en Israël.
Un « soutien inconditionnel » qui passe mal
« La présidente de l’Assemblée est libre de se déplacer comme elle l’entend, c’est sa prérogative, déclare un conseiller de l’exécutif. Mais elle l’a fait alors que la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, était au même moment au Caire pour rappeler la position équilibrée de la France, cela fait désordre. » « Le calendrier du président de la République, elle n’en a rien à foutre, grince un proche d’Emmanuel Macron. Elle est persuadée qu’elle est arrivée au perchoir par ses propres moyens et ne doit rien à personne. » Pour autant, ses relations avec le chef de l’État se seraient améliorées. « Les canaux de communication sont rétablis », plaisante un conseiller, qui souligne qu’ils « échangent régulièrement par messages ».
Reste que les déclarations de Yaël Braun-Pivet n’embarrassent pas seulement l’exécutif mais aussi certains de ses collègues députés, y compris dans la majorité. « Ce soutien inconditionnel passe mal chez beaucoup d’entre nous, reconnaît une députée Renaissance qui tient à garder l’anonymat. Elle s’est exprimée en son nom propre, pas au nom de la Représentation nationale encore moins au nom de la France. » Autre reproche, ses compagnons de voyage. Faute d’adhésion à gauche et dans son propre camp, l’élue était flanquée de trois élus très à droite : Éric Ciotti, Mathieu Lefèvre et Meyer Habib.
Le premier, président des LR, milite pour « supprimer l’aide de la France aux Palestiniens » et « la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël » à l’image de Donald Trump ; le second a relayé en mars un tweet du groupe d’extrême droite « Brigade juive » s’en prenant à une députée LFI et le troisième est considéré comme « la voix de Netanyahou en France » et qualifie une résolution pacifique du conflit de « chimère ». Des profils très éloignés de la position de la France qui privilégie une solution à deux États, comme l’a fait remarquer Manuel Bompard sur X (ex-Twitter) : « Ce chef de guerre raciste faisait partie de la délégation de la présidente de l’Assemblée nationale. Ça ne dérange personne ? », a accusé, le coordinateur de LFI, ciblant le député Habib et ses propos tenus sur Cnews.
Nous voulions un message équilibré : un soutien à Israël contre le Hamas et la garantie d’une protection pour les populations civiles palestiniennes.
Valérie Rabault, PS
Interrogée sur les raisons du refus du PS et du PCF de l’accompagner, Yaël Braun-Pivet a botté en touche. « Il faudrait le leur demander », a-t-elle affirmé un peu gênée sur France Inter ce lundi. En réalité, la présidente de l’Assemblée savait à quoi s’en tenir dès jeudi dernier, soit trois jours avant son déplacement : « Nous lui avons alors dit sans polémiquer que le timing ne nous semblait pas opportun et surtout nous voulions avoir la garantie d’un message équilibré : un soutien à Israël contre le Hamas et la garantie d’une protection pour les populations civiles palestiniennes », déclare à Politis Valérie Rabault, députée PS et vice-présidente de l’Assemblée chargée des relations internationales. Deux conditions qui n’étaient pas réunies, selon l’élue : « Nous avons refusé de l’accompagner ». Comprendre : Yaël Braun-Pivet n’a rien lâché aux oppositions, tant sur le programme de sa visite que sur le message politique qu’elle entendait porter.
Ligne historique
Des voix s’élèvent pour la défendre : « Yaël a été atteinte dans sa chair par les exactions commises par le Hamas », témoigne un député Renaissance, qui s’est rendu en Israël du 16 au 19 octobre avec huit autres parlementaires. « Quand on n’est pas Juif, on ne mesure pas la douleur indicible de la communauté en France et sur place. On a senti l’odeur de la mort. Les Israéliens sont en état de sidération, il y a aussi la question des otages détenus par le Hamas, c’est probablement ce qui lui arrive », pense cet élu, qui confie « douiller » psychologiquement depuis son retour en France.
Lundi, la présidente de l’Assemblée, qui semblait émue à la radio, a précisé sa position : « Je n’ai jamais dit que je soutenais de façon inconditionnelle le gouvernement d’Israël, mais je soutiens de façon inconditionnelle l’existence d’Israël, parce que c’est l’existence d’Israël qui est en jeu quand le Hamas commet des attentats terroristes », a-t-elle nuancé sur France Inter, déclarant qu’elle respectait la ligne historique de la France sur le conflit israélo-palestinien.
Yaël Braun-Pivet a aussi reçu le soutien d’Élisabeth Borne ce lundi face aux attaques de Jean-Luc Mélenchon. Au moment où elle constatait les exactions perpétrées par le Hamas, le patron de LFI l’accusait de « camper à Tel-Aviv pour encourager le massacre » à Gaza. Des propos qui ont choqué tous les bords politiques. « Elle aurait pu monter un voyage avec les toutes les sensibilités politiques en fédérant les députés, y compris de gauche, pas une sortie à la va-vite comme elle l’a fait donnant l’impression de faire du tourisme de guerre, c’est une occasion ratée, c’est dommage », pointe un député Renaissance, pourtant bienveillant à son égard. « On ne peut pas reprocher à la présidente de l’Assemblée de s’être déplacée en Israël car la voix de la France porte mais elle a aussi un devoir politique », renchérit un ponte de la majorité. La leçon aura-t-elle porté ?
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