« Nous, Nigériennes et Nigériens, voulons être respecté·es »
TRIBUNE. Des membres du Collectif des Nigériens de la diaspora (CND) signent un texte pour soutenir le nouveau régime de Niamey, avec l’espoir d’un retour à la démocratie, et demander à la France « des réparations significatives pour la conquête et l’occupation coloniales ».
Par Kader Mossi, Sahidi Bilan, Rob Lemkin.
Kader Mossi et Sahidi Bilan sont membres du Collectif des Nigériens de la diaspora (CND), un réseau fondé en 2020 par la diaspora nigérienne s’organisant au Royaume-Uni, en Europe, en Amérique du Nord, en Asie et en Afrique. Rob Lemkin a réalisé le film documentaire African Apocalypse.
Jusqu’à récemment, vous n’aviez peut-être pas entendu parler de notre pays, le Niger. Il est souvent confondu avec le Nigeria, ancienne colonie britannique située au sud de notre pays. Même en France, ancienne puissance coloniale, la plupart des gens ne connaissent pas le Niger. Nous sommes généralement appelés Nigérians et non Nigériens.
Mais, récemment, le Niger a fait la une des journaux du monde entier parce que le coup d’État militaire du 26 juillet a modifié l’équilibre du pouvoir international dans le Sahel de l’Afrique de l’Ouest.
Beaucoup de gens en Occident pensent que le coup d’État a été secrètement organisé de mèche avec la Russie ou d’autres forces extérieures, notre nouveau gouvernement ayant rapidement répudié les accords militaires avec la France. Le dimanche 24 septembre 2023, nous avons remporté une victoire historique lorsque le président Macron a confirmé, à contrecœur, le retrait de toutes les troupes françaises et de son ambassadeur aussi.
Nous, de la diaspora, soutenons les objectifs du coup d’État dans la mesure où nous pensons qu’il est temps que le Niger obtienne une véritable indépendance qui n’a pas eu lieu depuis le départ officiel de la France en 1960. Nous soutenons leur objectif de mettre fin à plus d’une décennie de mauvaise gouvernance et de corruption, du népotisme et l’impunité sous l’administration déchue. Nous condamnons également les sanctions illégales et inhumaines imposées depuis le coup d’État par la France, l’Union européenne et même nos voisins de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Des sanctions qui étranglent actuellement nos populations déjà meurtries par l’insécurité et les douze dernières années de mauvaise gouvernance.
Nous pensons qu’il est temps que le Niger obtienne une véritable indépendance.
En outre, nous nous opposons à la menace persistante d’invasion militaire de notre pays par la Cedeao. Bien sûr, nous espérons un retour à la démocratie dès que possible, mais nous devons d’abord bannir les causes politiques profondément enracinées qui créent des coups d’État militaires et des coups d’État constitutionnels.
La semaine dernière, nous avons présenté la position du Collectif des Nigériens de la diaspora (CND) sur les réparations coloniales au Parlement britannique, à Londres, lors d’un événement panafricain convoqué par le Groupe parlementaire multipartite sur les réparations africaines (APPGAR), présidé par la Britannique d’origine ghanéenne Madame Bell Ribeiro-Addy, députée travailliste à la Chambre des communes du Royaume-Uni.
La France n’a jamais officiellement reconnu et encore moins présenté d’excuses pour la violence et la discrimination effroyables de sa conquête et de son règne sur notre pays, qui ont comporté des crimes majeurs contre l’humanité. Un récent film, Apocalypse africaine, sur la tristement célèbre mission Voulet-Chanoine qui a tué de manière barbare des dizaines de milliers de nos proches dans la prétendue ruée vers l’Afrique, a été projeté à la télévision et dans les cinémas au Niger et dans le monde. De son côté, l’ambassadeur de France a refusé qu’il soit projeté au Centre culturel français de Niamey en 2022.
Cette culture du déni est répandue en France et de la même manière ailleurs, parmi les anciens États colonisateurs. Même en annonçant la semaine dernière le retrait militaire, M. Macron a nié toute responsabilité de la France dans la vie politique du Niger. Même si nous espérons sincèrement que cela sera vrai pour l’avenir, en termes d’histoire, M. Macron se trompe.
Les Nigériens, dont nous faisons partie, en ont assez : depuis plus de cinquante ans, la France dépend de l’uranium du Niger pour sa sécurité énergétique. On sait que les agriculteurs et les propriétaires fonciers français ont été généreusement indemnisés lorsque leurs terres ont été réquisitionnées dans les années 1970 pour y construire des réacteurs nucléaires. Mais pour notre peuple, les mines n’ont apporté que le terrorisme, des conditions de travail dangereuses, une mauvaise santé et des rémunérations historiquement médiocres. Aujourd’hui encore, seulement 15 % environ des Nigériens ont accès à l’électricité. D’ailleurs, une grande partie de cette production est actuellement illégalement bloquée par notre principal fournisseur, le Nigeria, voisin et frère.
La France n’a jamais officiellement reconnu et encore moins présenté d’excuses pour la violence et la discrimination effroyables de sa conquête et de son règne sur notre pays.
En juillet 2021, notre organisation a rencontré l’ancien président, Mohamed Bazoum, lors d’un sommet mondial sur l’éducation à Londres. M. Bazoum affirme que les Français n’achèteraient notre uranium que par faveur. Ainsi, nous aurions plus besoin de la France que la France n’a besoin du Niger. Selon lui, l’économie mondiale d’aujourd’hui concernerait davantage les technologies numériques telles que les entreprises de vente au détail comme Alibaba et Amazon. C’est à cause de ce genre d’analyses désobligeantes que beaucoup, au Niger, ne pleurent pas la chute de M. Mohamed Bazoum.
Sa condescendance envers les Nigériens s’est également étendue à nos Forces de défense et de sécurité (FDS). Il a affirmé à plusieurs reprises qu’elles ne sont pas à la hauteur du défi terroriste et que les terroristes sont plus aguerris qu’elles. Beaucoup au Niger soupçonnent que cela fait partie d’un effort délibéré de déstabilisation visant à maintenir et à justifier la présence de l’armée française dans le pays.
En 2021, il existait des preuves oculaires convaincantes et bien documentées selon lesquelles les troupes françaises avaient abattu trois jeunes manifestants nigériens, non armés, et en avaient blessé gravement plusieurs à Téra, près de la frontière avec le Burkina Faso. Les manifestants pacifiques s’opposaient au transport français d’armes de la Côte d’Ivoire vers le Mali dans le cadre d’opérations anti-insurrectionnelles contre les jihadistes de l’État islamique. Les gens étaient très remontés et très émus car il s’agit d’une zone où plus de 500 civils ont été récemment tués et où plus de 100 villages ont été déplacés pour permettre l’expansion d’une base militaire française à proximité.
La réponse de Bazoum aux tirs a été d’arrêter les défenseurs des droits humains qui organisaient des manifestations et de déclarer que le départ des forces militaires françaises conduirait au chaos dans la région. Sous la pression, il a néanmoins organisé une simulation d’enquête sur ces meurtres. Mais cette enquête n’a trouvé aucune responsabilité imputable. Ainsi, les gouvernements français et nigérien se sont partagé à parts égales les indemnisations versées aux familles des victimes. De nombreux Nigériens pensent que notre ancien président était l’obligé de la France, qui a continué à agir en toute impunité. Cette position de soumission n’était pas si différente de celle de l’époque coloniale. La pénétration coloniale vit toujours.
Dans un communiqué publié le vendredi 22 septembre, le porte-parole du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le colonel major Amadou Abdramane a affirmé dans un discours télévisé que les représentants officiels à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York avaient été empêchés de présenter des preuves démontrant que la France maintenait une emprise néocoloniale au Niger et fournissait même un soutien actif aux groupes terroristes. Encore davantage d’indices de déstabilisation, si cela est vrai. Les députés nous ont dit qu’il y a dix ans, lors de l’installation d’une base militaire française, il n’y avait eu aucun contrôle législatif. Cette forme trouble de démocratie doit cesser.
Notre pays arrive régulièrement en dernière position, ou à peu près, dans l’indice de développement humain des Nations Unies. Cela ne devrait pas être comme ça. Notre pays est riche. Outre l’uranium, il existe d’importants gisements d’or, de bauxite ou encore de lithium, essentiels à une transition verte mondiale. Et l’énergie solaire, dont nous disposons en abondance, est cruciale. Il n’est pas juste que ces ressources qui profitent tant à l’humanité tout entière et à la planète ne profitent pas également au peuple nigérien.
Depuis trop longtemps, la France reçoit de nous mais ne nous donne rien.
Lors d’une conférence de presse qu’il a animée, le lundi 4 septembre 2023 à son cabinet, le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances, SE M. Ali Mahamane Lamine Zeine, a déclaré qu’à l’accession de la Mouvance pour la renaissance du Niger (MRN) au pouvoir en 2011, le pays avait une dette extérieure d’environ 300 milliards de francs CFA (FCFA). Aujourd’hui, après douze ans d’exercice du pouvoir, la dette publique du Niger a augmenté de manière significative, passant de 300 milliards de FCFA en 2011 à 5 200 milliards en 2023, dont 3 200 milliards de dettes extérieures et 2 000 milliards de dettes intérieures, selon le Premier ministre. Pourtant, l’éducation, la santé, la sécurité et l’agriculture n’ont guère progressé. Où est passé l’argent ? Est-ce une coïncidence si cette période a également vu une prolifération de milliardaires parmi les classes politiques, commerciales et même dans la fonction publique ?
Récemment, nous nous sommes joints aux communautés du Niger pour appeler à des réparations significatives pour la conquête et l’occupation coloniales de la France. Cela doit commencer par une reconnaissance, des excuses et un partage transparent des archives relatives à l’invasion coloniale française et à son règne de plus de soixante ans. Ensuite, nous devons répondre au besoin urgent d’un soutien financier et logistique ciblé, non pas sous forme de charité ou d’aide au développement, mais comme réparation du préjudice historique et continu causé par plus d’un siècle d’inégalité de traitement. Il faut également transformer les termes de l’échange et, bien entendu, la politique migratoire. Depuis trop longtemps, la France reçoit de nous mais ne nous donne rien.
Comme l’a déclaré l’actuel Premier ministre nigérien, SE M. Ali Mahamane Lamine Zeine, au New York Times en août, nous ne rejetons en aucun cas les Français ni même la France. Certains d’entre nous ont été formés en France, beaucoup ont grandi avec la langue française. Mais nous voulons être respectés. Pour reprendre les mots du grand poète et syndicaliste nigérien Abdoulaye Mamani : « Cassons la résignation ! »
Le président de transition du Burkina Faso voisin, SE le capitaine Ibrahim Traoré, avait raison lorsqu’il citait en juillet son inspirateur, le capitaine Thomas Sankara : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. » Sankara a également déclaré : « Un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance. » Beaucoup de panafricanistes comparent le colonel Assimi Goita, le capitaine Ibrahim Traoré et le général de brigade Abdourahamane Tchiani au capitaine Thomas Sankara. Dès qu’on parle du capitaine Sankara, il nous vient directement à l’esprit un leader rigoureux, sincère, patriote, intègre et un travailleur acharné avec comme priorités : l’éducation, la santé, l’agriculture et l’élevage, l’artisanat local, la justice et l’assainissement des finances publiques. En quatre ans de gouvernance, il a accompli de grandes réalisations avec une capacité à mobiliser et faire participer son équipe et son peuple à sa vision.
Il est très tôt pour faire cette comparaison mais il y a, malgré tout, des indicateurs encourageants : au niveau de l’Alliance des États du Sahel (AES), nous voyons des présidents militaires axés sur le nationalisme, le patriotisme, la sécurité, la justice et l’égalité pour leurs peuples. Nous partageons cette orientation et croyons que les réparations pour le colonialisme sont également au cœur de cette préoccupation. Les trois présidents de l’AES ont la chance et la plume pour écrire leur propre histoire comme Sankara avait écrit la sienne.
Il nous paraît important de souligner que la rencontre qui s’est tenue au Parlement britannique a eu lieu la veille du 65e anniversaire du référendum du 28 septembre 1958. Profitant de l’occasion, M. Kader Mossi Maiga a rendu un vibrant hommage à Djibo Bakary, le père de la résistance contre la Françafrique, le leader charismatique du parti Sawaba qui s’opposait à la domination coloniale française et poussait à l’indépendance. M. Maiga a aussi dénoncé l’exclusion illégitime du Niger de la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU, tout en exigeant aussi la levée des sanctions sans délai et sans conditions à l’encontre du Niger par la Cedeao.
Nous ne rejetons en aucun cas les Français ni même la France. Mais nous voulons être respectés.
À son tour, Dr Sahidi Bilan a brillamment présenté le Niger et les différentes raisons qui ont conduit au coup d’État du 26 juillet 2023. Des raisons telles que la mauvaise gouvernance, l’injustice, la corruption et le népotisme, ignorés par les médias et la communauté internationale. Il s’est ensuite appesanti sur la maturité et la résilience du peuple nigérien et des autorités nigériennes de sortir la tête haute de cette impasse politique afin d’éviter tout risque de déstabilisation dans la sous-région comme ce fut le cas en Lybie.
Enfin M. Bachir Abdou a aussi protesté contre la politique étrangère de la France à l’égard de l’Afrique qui est pleine de contradictions, d’hypocrisie et applique le deux poids, deux mesures. Nous trouvons incohérent que M. Macron accuse l’empire ottoman (la Turquie) d’avoir perpétré un génocide contre les Arméniens et que dans le même temps il incite et soutienne activement l’intervention militaire illégale et inhumaine de la Cedeao contre le Niger. Il a aussi qualifié les civils combattants ukrainiens de patriotes tout en qualifiant ceux du Burkina Faso de mercenaires. Où est la logique, demandait M. Bachir Abdou ?
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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