« La défense des libertés publiques, une nouvelle priorité pour Attac »

L’association Attac fête ses 25 ans d’existence. Youlie Yamamoto, porte-parole, souligne l’évolution de son engagement dans une société où la crise démocratique, sociale et écologique s’amplifie.

Patrick Piro  • 2 novembre 2023 libéré
« La défense des libertés publiques, une nouvelle priorité pour Attac »
Youlie Yamamoto, lors du meeting féministe contre la réforme des retraites, organisé par Politis le 15 février 2023 à Paris.
© Michel Soudais

Attac, qui compte 10 000 adhérent·es, est née en 1998, à une époque où la mondialisation économique apparaît clairement aux yeux des mouvements sociaux, un peu partout sur la planète, comme la manifestation la plus aboutie d’un capitalisme néolibéral qui tente d’imposer son dogme productiviste et inégalitaire à tous les peuples. Politis, qui est l’une des organisations cofondatrices d’Attac, prend immédiatement pied sur ce nouveau front de luttes.

Sur le même sujet : Attac, 25 ans d’un mouvement citoyen global

Notre journal accompagne le blocage de la réunion de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle en 1999, acte fondateur auquel participe Attac, puis le « démontage » du McDo de Millau, par José Bové et ses camarades, qui contribuera grandement, en France, à la mobilisation « antimondialisation ». Un terme rapidement remplacé par « altermondialisation », plus créatif, et qui étiquettera une quinzaine d’années de mobilisations internationales décisives pour hausser les luttes des mouvements sociaux à l’échelon planétaire requis par l’assaut de la mondialisation économique.

Après vingt-cinq années d’existence, comment se projette Attac aujourd’hui ?

Youlie Yamamoto : Nous ne pouvons pas nous détacher du slogan adopté par le mouvement altermondialiste dans lequel a baigné notre essor : « Un autre monde est possible ! » Il reste particulièrement désirable et terriblement actuel ! Dans le contexte présent, nous avons voulu marquer la nécessité d’une rupture avec le système en décrétant l’entrée dans l’« âge des possibles ». En insistant sur le besoin de radicalité face à l’entreprise d’un gouvernement qui édulcore les combats que nous menons depuis vingt-cinq ans – justice fiscale, sociale, écologique, etc. –, en accommodant par exemple la thématique de la « transition » à toutes les sauces. Et cet âge des possibles, nous le voulons résolument joyeux, pour toucher un plus grand nombre et nous départir de l’image un peu austère d’une organisation productrice d’analyses, sa marque de fabrique initiale. Attac, aujourd’hui, ce sont les actions spectaculaires contre Apple, Bernard Arnault, les jets privés, les yachts mais aussi les performances des Rosies, une arme de résistance féministe, ou les casserolades au sein du mouvement social contre la réforme des retraites.

Attac, aujourd’hui, ce sont les actions spectaculaires contre Apple, Bernard Arnault, les jets privés, les yachts mais aussi les performances des Rosies.

Comment Attac se situe-t-elle dans l’émergence de nouveaux mouvements sociaux et modes de mobilisation comme les gilets jaunes ou le rejet de la réforme des retraites ?

Attac, dont le collège fondateur réunit des syndicats, des associations, des intellectuel·les, des chercheuses et chercheurs, poursuit sa quête de convergences et de consensus dans la production d’alternatives à la financiarisation du monde, au productivisme, au capitalisme. Nous continuerons à montrer qu’il reste possible de s’opposer à ce système profondément injuste. Cependant, si, au début des années 2000, les fauteurs de turpitudes mondiales pouvaient se réduire à un club simplifié – Banque mondiale, Fonds monétaire international, groupe des sept pays les plus riches (G7) –, les responsabilités sont aujourd’hui beaucoup plus diffuses – gouvernements, multinationales, etc. Il est désormais incontournable, pour peser, de se mobiliser dans des luttes unitaires, avec une grande diversité d’organisations.

ZOOM : Attac en 6 dates clés

3 juin 1998
Naissance d’Attac (Association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens), qui contribue à la popularisation du mouvement altermondialiste alors en plein essor.

29 mai 2005
Victoire du « non » au traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE). Attac y contribue largement, par une vaste campagne d’éducation populaire pour refuser la constitutionnalisation des politiques néolibérales à l’échelle européenne.

27 juin 2009
Attac se rebaptise : Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. Un tournant : l’action désobéissante complète son ADN comme outil de transformation sociale.

14 février 2013
Proposition de la Commission de Bruxelles pour une taxe sur les transactions financières. Une première victoire d’Attac sur le terrain de sa revendication fondatrice. Mais elle n’a pas encore abouti : la France, entre autres, bloque ce projet.

6 décembre 2015
« Sommet des 196 chaises » pendant la COP21 à Paris. Ces chaises sont « réquisitionnées », avec le collectif des Faucheurs de chaises dans des agences bancaires de la BNP et de HSBC pour dénoncer l’évasion fiscale et le manque de financement pour la transition écologique et sociale.

23 février 2018
Apple est débouté de ses poursuites contre Attac. L’association avait mené des actions dans des boutiques de la multinationale pour en dénoncer les méfaits (écologiques, sociaux, évasion fiscale). Le tribunal a jugé qu’il s’agissait d’une campagne d’intérêt général relevant de la liberté d’expression.

La création d’une taxe sur les transactions financières est la revendication phare initiale d’Attac. Comment votre méthode a-t-elle évolué ?

Notre association a été pensée comme un outil au service des mouvements sociaux. Et cette taxation est plus que jamais d’actualité pour le financement des biens communs, tout comme la lutte contre l’évasion fiscale des ultrariches et des multinationales constitue un levier pour la justice sociale et écologique. À partir de 2016, devant l’accroissement des brutalités du néolibéralisme et des attaques contre les libertés publiques, Attac a intégré l’action désobéissante comme mode de transformation sociale. Alors que les espaces traditionnels qui accueillaient nos analyses – partis, syndicats, ONG – rencontraient des difficultés de visibilité, cela traduisait la volonté de les rendre plus accessibles en les portant sur le terrain, là où se multipliaient les mobilisations. Nous peignons en noir le siège de TotalEnergies, nous occupons des Apple Stores, nous empêchons le décollage de jets privés d’ultrariches et de multinationales. Ce virage « désobéissant » n’allait pas de soi dans une organisation plutôt portée à la production intellectuelle par sa sociologie originelle.

Sur le même sujet : « La désobéissance civile peut fédérer »

Par ailleurs, depuis notre dernier rapport triennal d’orientation, adopté il y a un an, la crise démocratique s’est considérablement accélérée, avec la répétition sans précédent d’attaques brutales contre les libertés publiques – réforme de retraites, mobilisation de Sainte-Soline, mort de Nahel, etc. Ça nous oblige d’autant plus à des adaptations rapides que les crises vont probablement s’aggraver, les mobilisations s’amplifier… et la répression aussi. C’est pourquoi Attac s’est impliquée dans les « assises populaires pour nos libertés » en avril dernier et dans la marche pour la justice et contre la répression en septembre, pour œuvrer à constituer un rempart protégeant les libertés publiques et casser cette spirale infernale qui menace nos combats.

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