À Polytechnique, Bernard Arnault et LVMH toujours pas les bienvenus
Alors qu’une nouvelle direction est arrivée à la tête de la prestigieuse école, anciens élèves, riverains et élus se sont rassemblés devant l’antenne parisienne pour protester contre les projets « pharaoniques » du groupe de luxe qui menacent ce site historique.
À Paris, dans le Ve arrondissement, une montagne peuplée d’irréductibles élèves continue de s’opposer à l’homme le plus riche du monde. Vers 8 heures 30, ce jeudi 9 novembre, une cinquantaine d’étudiants et anciens étudiants de Polytechnique se sont rassemblés devant la Boîte à claque, ce bâtiment classé détenu par la prestigieuse école militaire, nichée au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, pour s’opposer « au délire pharaonique » de Bernard Arnault.
Depuis quelques années, le P.-D.G. de LVMH a jeté son dévolu sur cette enceinte historique où trône, entre autres, un immense tilleul érigé devant un jardin public. La multinationale du luxe se propose d’être le mécène d’un projet de refondation qui vise à transformer la Boîte à claque, où était hébergée l’association des anciens élèves de Polytechnique, en un majestueux centre de conférences international. Pose de verrières massives, excavation de centaines de mètre cube de terre pour construire un amphithéâtre alors qu’il en existe déjà un à quelques pas de là, transformation du Jardin Carré de 9 000 m2 : le chantier qu’exige cette infrastructure est titanesque.
Et le risque de voir un groupe privé s’immiscer dans un lieu public de savoir pour ses seuls intérêts commerciaux est, lui aussi, important. D’autant plus quand le directeur stratégique de LVMH, Jean-Baptiste Voisin, a été longtemps… le secrétaire général de l’association des anciens élèves de Polytechnique. Un mélange des genres qui vire au conflit d’intérêts. Grâce à la mobilisation des étudiants rassemblés en collectif, mais aussi au soutien d’élus locaux, comme Émile Meunier (groupe écologiste) et Anne Biraben (Les Républicains), le chantier est à l’arrêt depuis automne 2022.
À l’époque, les deux élus avaient déposé des vœux au Conseil de Paris demandant la suspension des travaux. La fronde des élèves contre l’implantation de LVMH au plateau de Saclay, le principal campus de Polytechnique, au même moment, avait permis de mettre la pression sur la direction de l’école. Jusqu’à pousser Bernard Arnault himself à revoir ses ambitions à la baisse. Mais l’arrivée d’une nouvelle directrice, Laura Chaubard, à la tête de l’institution vieille de plus de 200 ans en octobre dernier, fait craindre aux étudiants une nouvelle offensive de LVMH. Le groupe pourrait revenir à la charge et reprendre le ballet bruyant des camions, pelleteuses et autres marteaux-piqueurs au sommet de la très calme montagne Sainte-Geneviève.
Protection du vivant et du savoir
« Il faut montrer à la direction de l’école et aux lobbyistes de LVMH que nous, étudiants de Polytechnique ou anciens de l’école, sommes toujours là pour s’opposer à ce projet inutile », explique Mathieu Lequesne, ancien élève et membre du collectif Polytechnique n’est pas à vendre. « Pour l’instant, le tilleul est encore là. On se bat pour lui, et pour préserver le jardin afin qu’il ne devienne pas le lieu de réception de LVMH où seront servis champagnes Moët-Hennessy et petits-fours », souffle-t-il. À côté de lui, deux élèves tiennent des pancartes explicites : « tilleul en danger », ou encore, « patrimoine, destruction ! ».
Ce combat mêle protection du vivant et refus de voir se mélanger intérêts publics et privés. « Ce bâtiment risque de devenir une serre pour humains qui devra être puissamment climatisée l’été et chauffée l’hiver. C’est un projet d’urbanisme totalement anachronique alors que le conseil de Paris s’apprête à voter son plan local d’urbanisme bioclimatique », dénonce Lou Méchin, également ancienne élève et membre du collectif en lutte. D’autant plus qu’avant l’arrivée de l’ogre du luxe, le projet initial consistait en une simple restauration d’à peine deux millions d’euros. « Mais quand Bernard Arnault propose de mettre 200 millions d’euros sur la table pour transformer complètement le bâtiment… », souffle Alexandre Moatti, haut fonctionnaire et ancien polytechnicien, engagé depuis le début de la mobilisation.
Cet écart entre l’ampleur du projet et les objectifs environnementaux de la capitale parisienne, Fatoumata Koné, présidente du groupe écologiste parisien le dénonce aussi. Tout en étant membre de la majorité, l’ancienne avocate pointe un « décalage inadapté au vu de l’urgence climatique ». Émile Meunier poursuit : « On a la chance d’avoir un patrimoine magnifique. Il doit absolument profiter au plus grand nombre, et pas être accaparé pour en faire un centre commercial ». Le groupe déposera un nouveau vœu au prochain Conseil de Paris prévu à partir du 14 novembre.
C’est un projet d’urbanisme totalement anachronique.
Lou Méchin
Consulté par Politis, le document demande au préfet de « déclarer la nullité du permis de construire initial » et un « moratoire sur le projet » à l’École polytechnique. En attendant, les riverains, eux aussi, s’activent. L’une d’entre elles, au visage âgé éclairé par deux imposantes perles aux oreilles, demande à Mathieu Lequesne : « Vous avez des tracts ? Je vais les déposer dans les boîtes aux lettres du quartier ». Les irréductibles étudiants peuvent aussi compter sur les retraités de la calme et prospère montagne Sainte-Geneviève.
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