Attac, 25 ans d’un mouvement citoyen global

TRIBUNE. Gustave Massiah, ancien vice-président d’Attac France (de 2003 à 2006), revient sur la genèse et le déploiement de l’association altermondialiste qui fête cette année un quart de siècle de combats et d’engagements.

• 2 novembre 2023
Partager :
Attac, 25 ans d’un mouvement citoyen global
Rassemblement devant le Conseil d'État, vendredi 29 octobre 2023, contre la dissolution des Soulèvements de la Terre.
© Maxime Sirvins

En décembre 1997, Ignacio Ramonet, dans un éditorial du Monde diplomatique, reprend une proposition de James Tobin, prix Nobel d’économie en 1981, et propose d’instaurer une taxe sur les transactions financières internationales. Pour Tobin, il s’agissait de réduire la spéculation qui menaçait les régimes de change à taux fixe. Ignacio Ramonet élargit l’objectif et propose de taxer toutes les transactions financières pour lutter contre les effets désastreux de la mondialisation financière. L’Association pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac) est créée le 3 juin 1998 à Paris par une quarantaine de syndicats et d’associations – les membres fondateurs –, et présidée par Bernard Cassen, directeur du Monde diplomatique.

Sur le même sujet : 4 novembre : Attac fête ses 25 ans à Paris

Elle est rejointe par 30 000 personnes, des comités locaux se créent et un conseil scientifique d’une cinquantaine de personnes l’appuie. Et le 11 décembre 1998 est fondé à Paris le Mouvement international Attac. Il s’agit d’une plateforme, sans structure hiérarchique ni centre géographique. Le mouvement est aujourd’hui présent dans 38 pays, dont onze pays européens, particulièrement en France, Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, Hongrie. Il prône la convergence, contre les politiques néolibérales, des réseaux syndicaux, des écologistes, des citoyens, des organisations de défense des droits humains, et soutient le développement de la démocratie participative.

ZOOM : Attac en six dates clés

3 juin 1998
Naissance d’Attac (Association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens), qui contribue à la popularisation du mouvement altermondialiste alors en plein essor.

29 mai 2005
Victoire du « non » au traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE). Attac y contribue largement, par une vaste campagne d’éducation populaire pour refuser la constitutionnalisation des politiques néolibérales à l’échelle européenne.

27 juin 2009
Attac se rebaptise : Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. Un tournant : l’action désobéissante complète son ADN comme outil de transformation sociale.

14 février 2013
Proposition de la Commission de Bruxelles pour une taxe sur les transactions financières. Une première victoire d’Attac sur le terrain de sa revendication fondatrice. Mais elle n’a pas encore abouti : la France, entre autres, bloque ce projet.

6 décembre 2015
« Sommet des 196 chaises » pendant la COP21 à Paris. Ces chaises sont « réquisitionnées », avec le collectif des Faucheurs de chaises dans des agences bancaires de la BNP et de HSBC pour dénoncer l’évasion fiscale et le manque de financement pour la transition écologique et sociale.

23 février 2018
Apple est débouté de ses poursuites contre Attac. L’association avait mené des actions dans des boutiques de la multinationale pour en dénoncer les méfaits (écologiques, sociaux, évasion fiscale). Le tribunal a jugé qu’il s’agissait d’une campagne d’intérêt général relevant de la liberté d’expression.

Attac devient rapidement une pièce centrale du mouvement altermondialiste. Le mouvement contribuera activement à la création des forums sociaux mondiaux (FSM), dont la première édition se décide entre Bernard Cassen et Chico Whitaker, dans les locaux d’Attac, et se tiendra à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Au cours des années qui suivent, les FSM se déploient dans le monde. Dans un premier temps, ce rassemblement joue un rôle novateur, activant une période de luttes et de mobilisations dans le prolongement des manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Seattle en 1999, et jusqu’à la crise financière de 2007-2008. À partir de 2008, le néolibéralisme fait rimer austérité et autoritarisme. L’urgence climatique monte, les formes de mobilisation se diversifient.

La financiarisation se renforce, mais elle est désormais fondamentalement remise en cause par la prise de conscience de plus en plus aiguë des limites écologiques.

Le FSM de Belém en 2009, en particulier, se distingue par sa pertinence. Marqué par la montée en puissance de nouveaux mouvements (droits des femmes, paysans de la Via Campesina, peuples autochtones), il met sur le devant de la scène les rapports entre l’espèce humaine et la nature. Ce FSM ébauche une démarche stratégique soulignant la nécessaire résistance à la financiarisation et à la mondialisation néolibérale, propositions qui intéresseront la commission initiée par le gouvernement français présidée par Joseph Stiglitz et Amartya Sen.

Sur le même sujet : Les multiples vies d’Attac

Belém met aussi en avant la recherche d’alternatives et de ruptures fondées sur de nouvelles approches (les communs, le buen vivir des peuples andins, la propriété sociale, la démocratisation de la démocratie…). Il a caractérisé la crise de civilisation en cours, la pertinence des mouvements émergents ainsi qu’une démarche stratégique qui marquera les années suivantes, celle de la convergence des questions sociales, écologiques et de démocratie.

Mobilisations et répressions

Cependant, bien qu’en crise permanente depuis 2008, le néolibéralisme reste dominant et impose sa logique : marchandisation, privatisation, financiarisation. Dans ce contexte, les mouvements sociaux se renforcent, à partir de 2011, et génèrent une nouvelle séquence de mobilisations, à laquelle participe le mouvement Attac, avec les « printemps arabes », les « indignés », les « Occupy », le mouvement « des places ». La répression leur répond dans plus de cinquante pays. À la sortie de l’épisode pandémique du covid, une évidence s’impose : la financiarisation se renforce, mais elle est désormais fondamentalement remise en cause par la prise de conscience de plus en plus aiguë des limites écologiques.

Sur le même sujet : Nuit debout : Un an après

En France, la société est secouée par une suite de mouvements menés par les syndicats, les paysans, les ouvriers et les associations, et que soutient Attac. Occupant le terrain baptisé « zone à défendre » (ZAD) depuis 2009, les opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes en obtiennent l’abandon. De mars à fin mai 2016, Nuit debout occupe jour et nuit la place de la République à Paris, une forme de convergence des luttes sans porte-parole ni leader. Le mouvement des gilets jaunes fait irruption en novembre 2018, il occupe les ronds-points, demande la baisse du prix des carburants et en bloque les dépôts. Revendiquant le mieux-vivre, la démocratie réelle, l’abolition des privilèges, il est réprimé dans une grande violence par une stratégie policière très offensive.

Sur le même sujet : « La défense des libertés publiques, une nouvelle priorité pour Attac »

Attac est aussi très présente au sein du mouvement social qui s’élève en 2023 contre la réforme des retraites, faisant défiler dans les rues des millions de personnes lors de quatorze journées d’action. Là encore, la répression policière est très violente et des centaines de personnes sont placées en garde à vue. Même intensité à Sainte-Soline, le 25 mars, contre la manifestation écologiste opposée aux mégabassines qui détournent les ressources en eau au profit des gros agriculteurs.

Ces mobilisations concrétisent la convergence entre le social, l’écologie et la démocratie.

Dans tous les pays, le mouvement Attac s’inscrit dans la radicalité qu’affichent les nouveaux mouvements. En France, on le constate en particulier auprès des mouvements écologistes, féministes, contre les discriminations et les racismes. C’était manifeste sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou lors de la contestation des mégabassines à Sainte-Soline : ces mobilisations concrétisent la convergence entre le social, l’écologie et la démocratie, avec une radicalisation attisée par la prise de conscience de l’urgence ainsi que l’incapacité des dirigeants à agir. Le ministre de la police a compris l’enjeu : pour lui, phobique des occupations auto-organisées, il s’agit d’écoterrorisme !

Opération « #PasAvecNotreArgent » contre les banques d’affaires, le 15 septembre 2018. (Photo : Attac.)

Dans le domaine des discriminations, des racismes et des migrations, la prise de conscience s’est également accentuée dans tous les pays, comme le montre la vivacité de Black Lives Matter. Au sein du mouvement des Attac, qui sont tous mobilisés sur ces questions, s’exprime une claire conviction que la décolonisation n’est pas achevée : la conquête de l’indépendance des États n’était qu’une première étape, elle doit se poursuivre par la libération des nations et des peuples. C’est d’autant plus sensible que le néolibéralisme réduit les marges de manœuvre des États et que le capitalisme continue d’accumuler des victoires dans le monde.

Sur le même sujet : « Le champ politique n’a pas répondu aux gilets jaunes »

Quant à la mouvance féministe : dans pratiquement tous les pays, elle a investi les Attac, dont les directions sont en général paritaires. En France, un collectif féministe issu d’Attac, les Rosies, joue désormais le rôle de point de ralliement dans les manifestations. Les Attac mènent toujours la bataille dans le champ de la théorie, contre le contrôle dictatorial imposé par les économistes néolibéraux sur l’enseignement de l’économie et des sciences sociales. Elles combattent l’idéologie managériale imposée comme une évidence, s’appuyant dans plusieurs pays sur des économistes « atterrés » qui luttent contre l’acceptation du néolibéralisme et rappellent l’importance des débats sur la valeur et la monnaie.

Générations

La sociologie du mouvement des Attac mérite qu’on s’y arrête un instant. On retrouve trois générations de militants. La première tire sa culture des luttes de décolonisation et des épisodes « Mai 68 ». La deuxième, c’est celle des mouvements féministes et des forums sociaux altermondialistes. Alors que la troisième construit sa culture avec les mouvements de 2011, et s’exprime en référence aux zapatistes (démocratie, justice et liberté), aux jeunes Iraniennes (femme, vie, liberté) et au Rojava (femme, écologie, démocratie).

Enfin, la situation politique, dans chaque pays ainsi qu’à l’échelle mondiale, est marquée par une forte contradiction : une tendance à la montée des alliances entre les droites et les extrêmes droites, qui occupent les scènes politiques ; et, à l’opposé, la radicalité des mouvements sociaux, notamment féministes, écologistes, antiracistes, pro-accueil des personnes migrantes, en soutien des peuples premiers. C’est dans ce dernier creuset que s’inscrit Attac, bien sûr, partie prenante des initiatives qui revendiquent de participer à l’élaboration d’un projet commun aux mouvements, ainsi qu’au renouvellement de l’altermondialisme et de l’internationalisme des deux premières générations de militants, afin d’inventer le monde futur.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
Tribunes

Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 8 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Le Parlement européen ne doit pas céder aux pressions racistes de l’extrême droite contre Maboula Soumahoro
Tribune 22 novembre 2024

Le Parlement européen ne doit pas céder aux pressions racistes de l’extrême droite contre Maboula Soumahoro

Des élu·es d’extrême droite ont obtenu l’annulation d’un conférence à laquelle l’universitaire antiraciste Maboula Soumahoro devait participer au Parlement européen. La rédaction de Politis apporte son soutien à sa chroniqueuse et redit l’importance de faire front face à la censure d’extrême droite.
Par Politis
La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale
Tribune 21 novembre 2024

La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale

Pour Christiane Marty, membre de la Fondation Copernic et d’Attac, en matière de prostitution, une politique cohérente consisterait à la fois à agir contre les réseaux proxénètes et à protéger les personnes en situation de prostitution.
Par Christiane Marty
Neuhauser-InVivo : stop à la vengeance et à l’autoritarisme patronal !
Tribune 21 novembre 2024

Neuhauser-InVivo : stop à la vengeance et à l’autoritarisme patronal !

Dans la boulangerie industrielle Neuhauser, en Moselle, le délégué CGT, Christian Porta, a obtenu gain de cause face à la répression syndicale. Depuis, c’est l’ensemble des salariés contestataires qui sont visés, dénoncent plusieurs dizaines de syndicalistes, d’associations et de politiques dans une tribune.
Par Collectif
La Société de géographie, nouveau bastion du climatoscepticisme en France
Tribune 18 novembre 2024

La Société de géographie, nouveau bastion du climatoscepticisme en France

Le président de la Société de géographie – la plus ancienne au monde –, a remis deux fois d’affilée son Grand prix à des figures du scepticisme sur l’origine humaine des dérèglements climatiques. Une posture militante jugée irresponsable par certains de ses membres, dont Damien Deville et Maxime Blondeau, qui ont annoncé leur démission cette semaine et signent cette tribune.