Yasuni, le pétrole restera sous terre

Après quinze années de lutte, les communautés autochtones et les écologistes ont remporté une victoire historique en Équateur, qui met fin aux forages dans une réserve de biodiversité.

Tristan Dereuddre  • 29 novembre 2023 abonnés
Yasuni, le pétrole restera sous terre
Des Huaorani lors d’une manifestation contre les forages, en juin 2023.
© Rodrigo BUENDIA / AFP.

Le référendum, tenu le 22 août dernier, est passé sous les radars estivaux : à près de 60 %, les Équatorien·nes ont approuvé l’arrêt de l’exploitation pétrolière dans la réserve amazonienne de Yasuni, d’une richesse biologique exceptionnelle et habitée par plusieurs communautés autochtones. Taux de participation : 83 %. Il faut relire la question qui était posée pour saisir la portée de l’événement : « Le gouvernement équatorien doit-il conserver indéfiniment dans le sous-sol le pétrole brut du gisement dit Bloque 43 ITT ? » Ce code désigne trois champs, Ishpingo, Tambococha et Tiputini, situés à Yasuni, siège d’une résistance qui prend une dimension politique en 2007.

Le socialiste Rafael Correa arrive au pouvoir grâce au ralliement des puissantes fédérations de peuples autochtones et des écologistes. Le mandat démarre fort : en 2008, une nouvelle Constitution établit la nature comme sujet de droit. C’est une première mondiale, qui sera suivie par la Bolivie. L’Inde, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, la Colombie, le Brésil ou les États-Unis reconnaîtront par la suite des droits à différents écosystèmes de leur territoire, par voie parlementaire ou judiciaire. Correa fait aussi reconnaître le droit ancestral des communautés autochtones à la propriété de la terre.

Une première au monde, un véritable changement de paradigme.

M. Vásquez, Front national anti-mine

Mais le pétrole est central dans l’économie du pays. Aussi Correa propose-t-il à la communauté internationale un marchandage original : l’Équateur se dispose à renoncer à l’or noir du Bloque 43 ITT en échange d’une cagnotte dont le montant devra atteindre la moitié de sa valeur marchande. Il s’agit de la première tentative pour rendre concret un mantra montant des écologistes à travers le monde : il faut laisser dans le sous-sol la majeure partie des réserves d’hydrocarbures (1) si l’on veut contenir les émissions de CO2 à un niveau acceptable. Mais trop avant-gardiste ou sciemment irréalisable, le projet est ridiculisé : les promesses de dons atteignent moins de 0,4 % de l’objectif, fixé à 3,6 milliards de dollars. Correa tourne radicalement casaque. En 2013, la compagnie pétrolière nationale Petroecuador commence à forer.

1

60 % du pétrole et du gaz, et 90 % du charbon d’ici à 2050, selon un calcul de Nature (2021), pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C

Convergence

Mais la résistance ne baisse pas les bras et s’organise autour du collectif national Yasunidos. Après une décennie de lutte, il obtient de la Cour constitutionnelle, au printemps dernier, qu’elle consente au référendum : le sort du Bloque 43 ITT, devenu polémique nationale, sera tranché démocratiquement. Pour Monserrat Vásquez, porte-parole du Front national anti-mines, le résultat du 22 août est historique, « une première au monde, un véritable changement de paradigme ». « La reconnaissance des droits de la nature nous avait déjà permis, en 2021, de faire casser deux concessions minières. Obtenues sans le consentement des populations autochtones, elles menaçaient leur santé ainsi que l’écosystème unique de la réserve Los Cedros, dans le nord du pays », ajoute-t-elle.

Sur le même sujet : L’Équateur s’oppose à l’exploitation pétrolière en Amazonie

Les héritiers de Correa (exilé pour échapper à une condamnation pour corruption) contestent la validité du référendum. Mais ils ont été battus à la présidentielle du 15 octobre par Daniel Noboa, fils du milliardaire équatorien de la banane. Le jeune homme d’affaires de droite a classé l’affaire, jugeant le pétrole de Yasuni peu intéressant. Les temps changent.



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