Glyphosate et Union européenne : ça continue, encore et encore
La Commission européenne a proposé le renouvellement de l’autorisation de cette substance herbicide pour une durée de dix ans. Alors que les scientifiques de la recherche médicale française en pointent les risques sanitaires et pour la biodiversité, la France préconise une nouvelle fois d’attendre des produits substitutifs pour l’interdire.
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« Le premier réflexe des agriculteurs est de considérer que leur maladie est de leur faute » Secrets toxiques, une coalition à l’attaque des méthodes d’évaluation des pesticides Victimes des pesticides : la reconnaissance au cœur de la batailleIl y a six ans, un débat tumultueux, tendu, inextricable avait eu lieu au sein de l’Union européenne, autour de la reconduction de la licence du glyphosate, la substance active de plusieurs herbicides dont le célèbre Roundup, détenu à l’époque par Monsanto. Celle-ci avait finalement été prolongée pour cinq ans, et devait donc expirer en décembre 2022. Dans l’attente d’une énième évaluation scientifique, elle avait été prolongée d’un an supplémentaire. L’automne 2023 voit ressurgir les mêmes discussions et controverses scientifiques puisque la Commission européenne a proposé de renouveler pour dix ans l’autorisation de l’herbicide.
Résumé : en 2015, le glyphosate est classé comme un « cancérogène probable » pour les humains par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l’Organisation mondiale de la santé. Mais l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) le jugent « probablement pas génotoxique » et « probablement pas cancérogène ». Le nœud du problème réside dans les sources des données : le Circ et l’Inserm s’appuient sur l’ensemble des études publiées après examen par les pairs dans des revues savantes, tandis que l’Efsa et l’Echa réfutent la pertinence de cette littérature et fondent leur avis sur les tests réglementaires fournis par les industriels.
« La situation est encore plus cynique qu’il y a six ans car, entre-temps, il y a eu des milliers de procès, notamment aux États-Unis, relatifs à des intoxications au glyphosate, et les données scientifiques se sont accumulées, déplore Benoît Biteau, eurodéputé écologiste. Cette situation met encore plus en exergue les insuffisances de la réglementation puisqu’on demande toujours au propriétaire de la molécule – aujourd’hui Bayer – de transmettre les données qui lui semblent les plus pertinentes ! »
La position de la France dans le dossier du glyphosate n’est absolument pas sérieuse.
François Veillerette, Générations futures.
Le 13 octobre, les représentants des ministres de l’Agriculture des 27 États membres se sont prononcés mais aucune majorité qualifiée n’a été obtenue. Un nouveau vote aura lieu le 16 novembre. La position de la France, qui s’est abstenue lors du premier vote, est particulièrement scrutée. « La stratégie du gouvernement français est de proposer une homologation pour sept ans, et d’inscrire le glyphosate sur la liste des produits à substituer, afin d’avoir le temps de trouver une alternative. Selon lui, cette décision permet de se mettre en conformité avec l’agenda du Pacte vert, qui prévoit de réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030, analyse l’eurodéputé. Premièrement, pourquoi ce choix n’a-t-il pas été fait il y a six ans ? Deuxièmement, cette liste contient aujourd’hui une cinquantaine de molécules et certaines y sont présentes depuis vingt ans ! »
Des failles dans les données
En 2017, Emmanuel Macron annonçait l’interdiction du glyphosate en France « dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». À peine deux ans plus tard, il renonçait, sous la pression de la FNSEA, premier syndicat agricole français, qui dénonçait la concurrence des autres pays européens encore sous perfusion de pesticides. Le véritable problème de fond est la définition du mot « alternatives ». « Eux attendent une nouvelle molécule, nous, écologistes, parlons de pratiques agronomiques, estime François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. Et celles-ci font déjà leurs preuves, y compris sur le terrain de la compétitivité : ceux qui s’en sortent le mieux aujourd’hui sont les agriculteurs qui n’utilisent plus de pesticides et d’engrais de synthèse. Remplacer une molécule dangereuse par une molécule inconnue est un piège car celle-ci pourrait se révéler tout aussi dangereuse dans vingt ans ! »
« La position de la France dans le dossier du glyphosate n’est absolument pas sérieuse, puisqu’elle consiste uniquement à demander des restrictions d’utilisation à certains usages, comme c’est le cas en France actuellement. Mais le gouvernement ignore délibérément les sujets qui le dérangent et en premier lieu le fait que les scientifiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pointent de nombreux risques sanitaires liés au glyphosate, ignorés par les agences européennes, et le fait que les risques pour la biodiversité et les écosystèmes du glyphosate n’ont tout simplement pas été évalués ! » regrette François Veillerette.
L’ONG a récemment démontré que le processus d’évaluation des effets sur la biodiversité ne s’est pas fait dans les règles. Dans son rapport publié le 10 octobre, elle montre les manquements des données concernant les risques pour les macrophytes, des plantes aquatiques du type lentilles d’eau, qui peuvent avoir une partie hors de l’eau et donc potentiellement exposée aux pulvérisations aériennes de pesticides. Or, d’après le règlement européen 1107/2009 sur la mise sur le marché des pesticides en Europe, les produits autorisés ne doivent pas avoir d’effets inacceptables sur l’environnement. Autant de failles qui pourraient conduire Générations futures à porter l’affaire devant les tribunaux. La tragique saga du glyphosate est loin d’être terminée.