Grève à l’Ofpra : « Les conditions d’accueil des exilés sont liées à nos conditions de travail »
Des dizaines d’agents de l’Office français de la protection des réfugiés et des apatrides sont en grève, ce mardi 14 novembre, pour protester contre les conséquences du projet de loi asile et immigration sur leur quotidien, et « la politique du chiffre ».
Avant le Sénat, le piquet de grève. Pour les salariés de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), le programme du jour est planté. Alors que le palais du Luxembourg s’apprête à voter le projet de loi asile et immigration, ce mardi 14 novembre, plusieurs dizaines d’agents grévistes de cette agence qui recueille les récits de vie brisée des personnes exilées, protestent contre un texte particulièrement hostile aux étrangers. Mais qui risque aussi de précariser leurs conditions de travail. Et ce, au détriment des migrants qui demandent l’asile.
Sous la tente siglée CGT à côté de l’impeccable bâtiment moderne de l’Ofpra, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), Anouk Lerais, cosecrétaire générale de la CGT-Ofpra, pointe plusieurs travers du projet de loi. Le premier, c’est la création d’un guichet unique dans les préfectures. Sous couvert de simplification du parcours de protection, cette mesure pourrait induire un « lien de dépendance » entre le ministère de l’Intérieur et les agents de l’Office. « L’autorité du préfet pourrait influencer des décisions. Or l’Ofpra ne doit pas recevoir d’instructions extérieures dans l’exercice de ses fonctions. C’est la loi », explique-t-elle. La syndicaliste craint aussi que le personnel en uniforme qui travaille dans les préfectures ne gêne les exilés, parfois traumatisés par cet habit officiel.
L’idée, c’est de faire du chiffre et d’augmenter le nombre de décisions rendues.
Henry de Bonnaventure, Asyl-Ofpra
La territorialisation de la demande d’asile, prévue par le projet de loi, implique aussi le passage à un juge unique pour les recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Actuellement, lorsque la demande d’asile est refusée par l’Ofpra et que la personne souhaite faire appel à la CNDA, c’est un collège de trois personnes qui étudie son dossier. Ce trio est constitué d’un magistrat professionnel et deux assesseurs, dont l’un est désigné par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Pour accélérer les instructions des dossiers, le projet de loi souhaite transformer ce collège – qui permettait l’existence de débats contradictoires –, à un juge unique. « La pluralité de point de vue pourrait disparaître », craint Anouk Lerais.
L’autre écueil, c’est le raccourcissement des délais d’instruction des demandes d’asile. Et c’est, là aussi, que se retrouvent les conditions de travail dégradées des agents. « C’est une mesure qui va contraindre les agents à presser leur entretien, à aller toujours plus vite. L’idée derrière cette proposition, c’est aussi de faire du chiffre et d’augmenter le nombre de décisions rendues », explique le cosecrétaire d’Action Syndicale Libre (Asyl-Ofpra), Henry de Bonnaventure.
Actions collectives
À côté de pancartes affichant « agents surmenés, accueil en danger », l’officier de protection donne un exemple concret de cette pression : « Après un rejet de la Cour nationale du droit d’asile, une personne a voulu se présenter à nouveau à l’Ofpra avec un nouvel élément. Il s’agissait d’un certificat médical qui revenait sur des faits connus, mais d’une manière très détaillée. Je décide de regarder de plus près, et je reconnais l’agent qui a mené l’entretien. Il était mis sous pression pour accélérer les procédures. Ce qui l’a sans doute mené à refuser la demande d’asile. Pourtant, lorsque j’ai réexaminé sa demande, cette personne mérite sans doute d’être protégée. »
Contre la précarisation des conditions de travail des salariés, la CGT et l’Asyl-Ofpra multiplient les actions collectives. Le 26 octobre, déjà, une grève avait été organisée. Elle avait été largement suivie : plus de 260 agents avaient cessé de travailler, soit un quart du personnel. Une autre mobilisation serait sur les rails pour le 29 novembre, jour du conseil d’administration de l’Ofpra, dirigé depuis 2019 par Julien Boucher. Un calendrier qui dépasse celui du projet de loi immigration.
« Notre mobilisation ne se résume pas au projet de loi, même si on ne peut pas ne pas se positionner par rapport à ce texte. De fait, les moindres mesures qui apportaient un peu d’humanité ont été mises de côté. Et le gouvernement reprend une proposition du RN en supprimant l’AME », souffle Henry de Bonnaventure, alors que les agents à côté de lui répètent les chants prévus pour l’après-midi, devant le Sénat. Les deux organisations syndicales avaient été reçues à la suite de la mobilisation du 26 octobre. « Mais les mesures de réorganisation proposées par la direction sont insuffisantes : nous demandons un changement structurel par rapport à la politique du chiffre et un recrutement important dans les services administratifs et dans la protection », explique le cosecrétaire de l’Asyl. Des revendications qui, pour l’instant, n’ont pas été entendues.
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