Info Politis : le prestataire téléphonique des JO 2024 en souffrance olympique
Grâce à de nombreux documents exclusifs, Politis révèle que les conditions de travail des équipes du prestataire retenu par les JO 2024 pour faire de l’assistance téléphonique sont extrêmement dégradées. Bien loin des engagements pris par les organisateurs des Jeux en matière de protections sociales.
C’est un nouveau caillou dans la chaussure de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (JOP 2024) déjà embourbée dans les polémiques liées aux transports publics, du coût des tickets à la livraison des infrastructures. Cette fois, cela concerne le prestataire retenu pour faire de l’assistance, notamment téléphonique, après du public tout au long de la préparation et pendant le déroulement de la compétition. Grâce à de nombreux documents exclusifs, Politis révèle que les conditions de travail en son sein sont particulièrement dégradées. Alors que ces JOP devaient être placés sous la flamme de valeurs sociales et humaines, le choix de ce prestataire interroge.
Tout commence il y a quelques mois. L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques lance un appel d’offres pour opérer le « service client grand public ». Cela correspond notamment à la plateforme d’assistance téléphonique et via messagerie pour toutes les personnes ayant des questions pratiques sur les JOP hors billetterie. Pour rappel, les organisateurs estiment le nombre de visiteurs à près de 16 millions de personnes, soit huit fois plus que la population totale de la ville de Paris et un peu moins que la population totale de l’Île-de-France. Et c’est le groupe Konecta qui emporte le marché et prévoit d’y consacrer seulement quelques dizaines d’emplois à plein temps, au plus haut de l’activité.
Mobipel, le retour
Konecta est une unité économique et sociale, c’est-à-dire qu’elle est composée de plusieurs entreprises juridiquement distinctes. Le groupe décide donc d’accorder ce marché à plusieurs de ses entreprises situées dans la banlieue parisienne, à Gennevilliers. Parmi elles, la CRM06 et la CRM08. Ce second acronyme ne vous dit sûrement rien. Pourtant, il y a encore quelques années CRM08 s’appelait… Mobipel. Un ancien centre d’appels de Free dont Politis a largement chroniqué le démantèlement au détriment des salariés. En 2020, Mobipel a écopé d’une amende de 25 000 €, suite à la décision du tribunal correctionnel de Nanterre, « pour ne pas avoir informé les représentants du personnel de sa volonté de réduire de manière importante les effectifs de l’entreprise. » Une décision confirmée en Cour de Cassation en janvier 2023.
Aujourd’hui, Mobipel est devenu CRM08 et appartient à Konecta. Tout a changé, donc ? Pas vraiment. Les départs sans aucun plan social continuent d’être massifs. « Nous étions 235 en 2021 et nous ne sommes plus que 97 aujourd’hui avec plus de 30 % en affection longue durée (ALD) », écrivent les organisations syndicales représentatives, dans un tract publié en marge de leur mouvement social actuel. Elles accusent leur direction d’opérer « une stratégie du pourrissement de la situation jusqu’à [leur] extinction ». Selon nos informations, Konecta a même prévu de faire disparaître CRM08 en la fusionnant avec d’autres entreprises du groupe. Une volonté de « détruire définitivement le collectif de travail » analysent les syndicalistes.
Nous étions 235 en 2021 et nous ne sommes plus que 97 aujourd’hui avec plus de 30 % en affection longue durée.
Syndicats
Surtout, cette situation ne date pas d’hier. En septembre 2022, l’inspection du travail met en demeure CRM08 pour risques psychosociaux en pointant – dans un courrier de six pages qu’a pu obtenir Politis –, de très nombreux manquements comme une « insécurité de la situation de travail » du fait d’une « réduction des effectifs en CDI drastique depuis 2016 », ou, encore, « une insuffisance de moyens pour lutter contre les risques psychosociaux identifiés au sein de l’entreprise ». Des manquements qui amènent l’administration à considérer que « la situation constatée est dangereuse dans la mesure où l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de mise en œuvre des principes généraux de prévention ». Huit mois plus tard, en mai 2023, c’est la direction générale du travail (DGT) qui se fend d’une nouvelle mise en demeure. « Nous découvrons ces allégations », assure le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP).
Maltraitance institutionnelle
En octobre, plus de 50 % des salariés signent une pétition virulente à l’égard de leur direction. « Par ce texte, nous voulons vous dire que nous n’en pouvons plus. Nous ne pouvons plus supporter ces conditions de travail qui ne cessent de se dégrader et qui nuisent à notre santé », écrivent-ils. Plus de 70 % des salariés se sont ensuite mis en grève pour protester contre cette situation selon les organisations syndicales. Au sein de CRM06, le tableau est moins noir. Cependant, il est loin d’être tout rose non plus. Selon nos informations, les délégués du personnel ont lancé un droit d’alerte pour risques psychosociaux la semaine dernière. « Nous avons des difficultés par rapport aux objectifs qui sont de moins en moins atteignables, cela crée du stress et un inconfort important au travail », confie une source au sein de CRM06.
Tout cela mis bout à bout laisse apparaître le tableau d’une maltraitance institutionnelle et profonde. Pourquoi, alors, Konecta a-t-elle attribué la majorité d’un marché aussi prestigieux à CRM08 ? « Comme on a fait un mouvement social en disant qu’on ne nous donnait plus de clients pour nous faire mourir à petit feu, on nous a donné les Jeux olympiques », analyse Anousone Um, délégué syndical central adjoint SUD Télécom, « mais c’est lunaire, seules deux personnes chez nous parlent anglais ! ». Selon lui, personne au sein de la CRM08 ne s’est porté volontaire pour faire partie de l’équipe JO. Pour pallier ce manque de personnel, plus d’une dizaine de personnes externes auraient donc déjà été recrutées en CDD. « Konecta savait très bien qu’il ne pouvait pas mettre à disposition 20 salariés bilingues. Qu’ont-ils promis aux JO ? », questionne une source interne à Konecta, qui travaille avec le COJOP.
« Comment les JO ont-ils pu nous accorder ce marché alors qu’il n’arrête pas de mettre en avant des valeurs sociales et humaines ? », s’interroge de son côté le délégué syndical SUD. En effet, l’organisation des JOP a mis en place une charte pour « garantir l’exemplarité sociale » de l’évènement. Dedans, on y lit notamment des mesures pour « placer l’emploi de qualité et les conditions de travail des salariés au cœur de l’impact socio-économique des JOP 2024 ». « Étaient-ils au courant que Konecta allait nous donner la majorité de ce marché ? Connaissaient-il la situation en interne ? », poursuit le délégué syndical. « Dans le cadre de ce contrat, le titulaire de l’appel d’offres ainsi que ses sous-traitants ont pour obligation de respecter, entre autres, la Charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 », rappelle le COJOP. Qui poursuit : « Si ces engagements n’étaient pas tenus par l’entreprise ou ses prestataires dans le cadre du contrat qui la lie à Paris 2024, le comité d’organisation se réserve le droit de prendre les décisions en conséquence ».
Comment les JO ont-ils pu nous accorder ce marché ?
A. Um, SUD Télécom
Pour plusieurs observateurs au sein de l’entreprise, l’explication de cette attribution tient au tarif proposé par Konecta. Un prix qui défierait toute concurrence. Celle-ci prévoit en effet un accompagnement total des demandes grand public avant et pendant les Jeux olympiques via de nombreux canaux : téléphoniques, sur de nombreuses messageries (Whatsapp, Messenger…), et par mails. Selon des documents internes au groupe que nous avons consultés, la valeur de ce marché aurait été obtenue pour 500 000 euros. Un montant contesté par le COJOP : « Ce n’est pas la valeur du marché », soufflent plusieurs sources internes, se réfugiant derrière le « secret des affaires » mais assurant que le montant est « supérieur à 500 000 € ». Si les Jeux Olympiques n’ont pas voulu fournir le montant précis, l’appel d’offres est, lui, public. On y découvre notamment que le montant du marché proposé par les postulants possède le plus fort coefficient parmi les critères d’attribution. Un coefficient trois fois supérieur, par exemple, à la « performance sociale et environnementale dans l’exécution de la prestation ».
« Avec un tel prix, les conditions sociales ne peuvent pas être favorables »
Or le montant du marché a une importance majeure car il possède un impact, forcément, sur les rémunérations. Pour cette prestation auprès des JO, le salaire de base proposé par Konecta est le Smic. Dans un procès-verbal de CSE que nous avons pu nous procurer, daté du 27 octobre 2023, Stéphane Lapergue, directeur de CRM08, affirme que trois primes seront versées aux salariés volontaires pour participer à l’opération JO 2024. Une prime de langue, une prime de poste et une « prime variable sur objectifs définis par le client ». Sauf que dans les avenants au contrat consultés par Politis, la prime de poste n’existe pas, et la prime variable n’est pas définie sur les objectifs à venir au cours des JO mais sur la moyenne des primes d’objectifs des douze derniers mois. « C’est clairement un moyen pour Konecta d’être rentable malgré tout », affirme Anousone Um.
Pis, Politis s’est procuré un contrat de travail d’un salarié recruté en CDD spécialement pour la mission JO. Aucune des trois primes citées précédemment n’y est mentionnée et aucun accord d’entreprise ne garantit le versement de telles primes. De leur côté, des sources au sein du COJOP assurent que la prime de poste ne faisait pas partie du contrat avec Konecta et que « de manière générale, [ils] n’interviennent pas dans les négociations salariales avec les prestataires ».
Malgré tout, la question qui reste en suspens est le niveau de connaissance de ces problématiques par l’organisation des Jeux olympiques. Pour Sud PTT, pas de doute. « Ils peuvent toujours feindre de ne pas savoir mais avec un tel prix, les conditions sociales ne peuvent pas être favorables ». Une situation qui pourrait vite devenir explosive si le service client n’arrive pas à suivre les demandes qui ne vont faire que croître jusqu’à la compétition. Anousone Um conclut : « Les touristes vont avoir comme interlocuteur des gens qui ont des conditions sociales déplorables, ça ne pourra pas bien se passer. Et ça sera ça, leur image de la France. » Contactée, l’entreprise Konecta n’a pas répondu à nos sollicitations.
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