Domination économique
Jean-Luc Mélenchon, dans son dernier ouvrage, considère que nous sommes entré·es dans une nouvelle phase du développement de l’humanité et du capitalisme, où s’opposent le « peuple » et l’« oligarchie ». Une analyse qui pose question du point de vue intersectionnel.
dans l’hebdo N° 1782 Acheter ce numéro
Quelle est la conflictualité motrice de nos sociétés contemporaines ? Faut-il parler de « peuple » contre l’« oligarchie », comme le propose Jean-Luc Mélenchon dans son dernier ouvrage, Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne, ou faut-il conserver une terminologie héritée du marxisme, celle des « prolétaires » opposé·es à la « bourgeoisie » ? Qu’est-ce qu’une démarche intersectionnelle peut apporter à ce débat, éminemment politique ?
Cela n’a pas de sens d’isoler une population quand on est face à des rapports de domination qui se déploient à l’échelle mondiale.
Pour Mélenchon, nous sommes entré·es dans une nouvelle phase du développement de l’humanité et du capitalisme, marquée par une augmentation de la population, une extrême urbanisation, un fonctionnement en réseaux, mais aussi un néolibéralisme débridé qui provoque une crise écologique sans précédent, menaçant l’humanité elle-même. À l’image de cette nouvelle situation, émergent deux nouveaux acteurs.
D’un côté, le « peuple », le nombre, majoritairement urbain, de plus en plus dépossédé de l’accès aux réseaux et au pouvoir politique, dont le cœur de lutte est précisément les fractions qui travaillent dans les réseaux (cheminot·es, dockers, raffineur·ses, etc.) ou qui les politisent (les gilets jaunes en bloquant les ronds-points) ; de l’autre, l’« oligarchie », qui détient les moyens de production, les réseaux et l’information.
Si on chausse les lunettes intersectionnelles, plusieurs éléments interrogent. L’analyse développée est surtout centrée sur les sociétés occidentales. Or, à l’échelle internationale, le secteur de la production des marchandises est loin d’avoir disparu, il est en réalité déplacé – par un phénomène que Jean-Luc Mélenchon évoque par ailleurs, la délocalisation, qui approfondit la division internationale du travail. Cette première remarque remet déjà en question la notion même de « peuple », car de quoi est-on un peuple ? D’un pays, d’une nation, d’un État ?
Cela n’a pas de sens d’isoler une population quand on est face à des rapports de domination qui se déploient à l’échelle mondiale. Par ailleurs, avec ce vocable, Jean-Luc Mélenchon centre son analyse des rapports de domination sur leur seule dimension politique et laisse de côté leur dimension économique. Cela se voit également dans sa conclusion, où il évoque sa perspective de la « créolité », soit « la tendance à constituer de la culture commune à partir d’éléments distincts », comme une façon de dépasser le racisme : mais, ce faisant, il ne situe ce rapport de domination que dans sa dimension culturelle.
Or le racisme a bien une base matérielle, une dimension économique, une surexploitation. Les dimensions culturelles et symboliques des dominations, qu’elles soient de race, de genre ou de classe, pour être importantes, ne peuvent effacer en dernière instance leur dimension économique : à chaque fois, il s’agit de rapports d’exploitation. Et c’est une critique qu’on pourrait formuler à l’usage du terme de « peuple », par rapport à celui de travailleurs et travailleuses, par exemple.
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