L’éolien, nouveau souffle de la pêche française ?
Réduction des zones exploitables, inflation, pressions écologiques, hausse du prix du carburant… Les pêcheurs français font face à une crise profonde. Si l’aide de l’état sur le gazole vient (encore) d’être prolongée, la pêche française pourrait avoir trouvé un allié inattendu : l’éolien en mer.
Une nouvelle rallonge, la quatrième en 2023. Ce 28 novembre, le président de la République Emmanuel Macron a confirmé lors des Assises de l’économie de la mer à Nantes la prolongation de l’aide au gazole accordée aux marins-pêcheurs en France jusqu’en juin 2024. Mise en œuvre le 17 mars 2022 pour faire face à l’augmentation du prix du carburant après l’invasion russe de l’Ukraine, elle est de 20 centimes (hors taxe) par litre de gazole et aurait déjà coûté 75 millions d’euros à l’État. « Ce n’est pas faramineux si on compare cette somme à d’autres aides sur des secteur économiques différents », plaide Hervé Berville, le secrétaire d’État à la mer.
Souvent prolongée à la dernière minute, le sujet provoque parfois des tensions comme lors de la violente manifestation de pêcheurs à Rennes le 22 mars 2023, ou leur départ lors des assises de la pêche à Nice, le 22 septembre, en plein discours du secrétaire d’État. À nouveau, cette prolongation va rassurer l’ensemble de la filière. « Ce n’est qu’un pansement sur une hémorragie. On ne veut pas vivre d’aides mais plutôt de notre métier », réagit David Le Quintrec, patron du navire Izel Vor II, basé à Lorient (56). L’image du pansement est répandue dans son milieu, tant la ristourne accordée aux navires afin de compenser leur importante consommation de gazole ne semble être qu’une solution temporaire, particulièrement pour ceux qui traînent les engins de fond ou pêchent loin du littoral.
Ce n’est qu’un pansement sur une hémorragie. On ne veut pas vivre d’aides mais plutôt de notre métier.
D. Le Quintrec
« C’est le problème majeur de notre métier, malgré les prolongations successives de l’aide gouvernementale », confirme Ludovic Thieulent, patron armateur du Maximum qui pêche de la coquille St-Jacques, à Fécamp (76). « Nous travaillons avec mon bateau en baie de Seine, donc localement, mais quand il faut aller au large pour les bateaux qui sont au chalut, c’est beaucoup plus difficile ! ». Avec une consommation d’environ 1200 litres de gazole par jour (pour un petit navire, les plus gros modèles allant jusqu’à 2200 litres !), un chalutier peut perdre de l’argent juste en sortant en mer, si le prix du carburant est trop haut, qu’importent ses prises.
La décarbonation, ce serpent de mer
« La décarbonation ne répond pas aux problématiques des pêcheurs. Nous nous ne sommes pas contre, mais ce n’est pas du court terme ». L’analyse de Dimitri Rogoff, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Normandie (CRPMEM) semble réaliste. Difficile, en effet, de trouver des marins qui pensent sérieusement à investir dans une nouvelle motorisation, d’autant que les solutions alternatives comme l’hydrogène n’en sont encore qu’au stade des recherches. « Avec les dernières intempéries, la plupart des pêcheurs n’ont pas franchement travaillé depuis le mois de septembre », explique Stéphane Savoye, directeur général de la criée de Fécamp. « S’il faut leur demander d’investir dans de nouvelles motorisations, cela représenterait des centaines de milliers d’euros et c’est aujourd’hui irréaliste ».
La plupart des pêcheurs n’ont pas franchement travaillé depuis le mois de septembre.
S. Savoye
À Nantes, Emmanuel Macron a aussi annoncé une enveloppe de plus de 700 millions d’euros, d’ici à 2035, pour moderniser la flotte halieutique française, vieillissante. L’énergie est bien au centre des préoccupations en cette fin d’année, et pas seulement en mer. « À la criée de Fécamp, le coût énergétique a doublé », révèle son directeur. « Certains de mes confrères ont multiplié leur facture par trois, à tel point qu’en Bretagne ils réfléchissent à fermer certaines petites criées pour mutualiser les coûts ». Ainsi, toute la chaîne logistique de la pêche est devenue attentive aux économies, à terre comme en mer. « Maintenant, nous sommes très vigilants et nous coupons les frigos lorsqu’ils sont vides par exemple », continue Stéphane Savoye. « Les camions de transport voyagent dorénavant à plein, quitte à faire patienter certains pêcheurs ».
Un vent de défiance qui pourrait tourner
Parmi la multitude des problématiques du métier, la réduction des zones de pêche s’est récemment accélérée et s’avère très concrète pour les pêcheurs. Outre les aires marines protégées qui ont créé moult remous cette année, le Brexit a aussi eu son impact, ainsi que la protection, toute relative, des dauphins dans le golf de Gascogne. Et une autre menace grandissante souffle sur lesdites zones : l’éolien en mer. Aux Assises de la mer encore, Emmanuel Macron a annoncé l’ambition de produire 18 gigawatts dès 2035 grâce à l’éolien en mer et 45 gigawatts dès 2050. Parmi la quinzaine de parcs éoliens marins en projet le long du littoral de la France métropolitaine, c’est la Normandie qui en compte le plus, avec cinq.
« La carte de la Manche n’est plus que des morceaux de zones encore pêchables, d’autant qu’on ne sait toujours pas s’il sera possible de pêcher dans ces parcs éoliens », regrette Dimitri Rogoff du CRPMEM Nomandie. Depuis la plage de galets, le parc éolien en mer de Fécamp est visible et a déjà un impact sur l’activité halieutique du port. « Il réduit grandement nos zones de pêche », confirme Kevin Truchon, patron du Gauthier-Lucile, navire fileyeur à Fécamp. « Mon bateau n’a eu aucune compensation à ce sujet car je me suis installé il y a un an et demi et seuls les anciens ont eu le droit à une aide. »
Cependant, ce vent de défiance envers l’éolien en mer pourrait bien tourner dans le futur car l’importante enveloppe de 700 millions d’euros annoncée pour moderniser la flotte française proviendrait de ce secteur énergétique en pleine croissance. Ainsi, cette somme représenterait environ 35 % de la taxe qui s’appliquera sur l’ensemble des parcs éoliens et financerait un « contrat de transformation de la pêche française » d’ici à l’été 2024, afin de moderniser l’ensemble de la filière, selon les annonces officielles. Suffisant pour que le courant passe mieux avec les pêcheurs ?