LFI : les militants divisés sur la crise de leur mouvement

Partout en France, les insoumis sont partagés entre la loyauté au parti et la critique de son fonctionnement interne. Certains osent même pointer la responsabilité du clan Mélenchon. Mais tous restent attachés au programme de la Nupes et à « l’Avenir en commun ».

Lucas Sarafian  • 2 novembre 2023 abonné·es
LFI : les militants divisés sur la crise de leur mouvement
La tente LFI à la Fête de l'humanité, le 15 septembre 2023.
© Michel Soudais

Un militant qui critique frontalement Jean-Luc Mélenchon et son appareil est une espèce rare. Alexandre* en fait partie. Au téléphone, il se lâche. « Les militants ne sont pas considérés. On nous voit comme des distributeurs de tracts dès qu’il y a une campagne. Et vous savez pourquoi ? J’ai l’impression qu’on veut gouverner un pays avec 17 députés qui pensent à 100 % de la même manière. Il n’y a aucune instance démocratique pour permettre les débats et les réflexions nécessaires à la vie d’un mouvement », lance-t-il. Le militant estime que La France insoumise a « le meilleur programme ». Mais selon lui, « les décisions se prennent par un petit noyau qui se partage toutes les casquettes. Et ces têtes qui ont le droit de penser, elles ne dépendent que de Mélenchon et croient ne pouvoir gagner des élections qu’à travers lui. Tout ça ne donne pas la possibilité au mouvement d’exister sur du long terme. »

*

Le militant a souhaité garder l’anonymat.

À demi-mot, le militant pointe la stratégie de singularisation du triple candidat à la présidentielle. Et pour lui, la polémique provoquée par la position de la direction insoumise sur le conflit israélo-palestinien illustrerait sa critique. « Il faut bien évidemment faire attention aux mots qu’on emploie, surtout dans un premier communiqué. Et sur cette question encore plus, il faut créer de la cohésion, et pas systématiquement une confrontation. Sinon, on risque de ne plus nous prendre au sérieux. Et on peut s’asseoir sur l’espoir de gouverner un jour, prévient-il. Quand on veut faire de la politique, il faut se parler, être responsable. On ne devrait pas chercher le buzz en permanence comme si c’était la seule façon de créer du débat. Sur le terrain, on travaille au quotidien avec les communistes, les écologistes, les syndicats. On gère des villes ensemble. Est-ce qu’on est en train de s’entretuer sur Twitter ? »

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« On est un mouvement qui fonctionne dans la conflictualité. Et cette conflictualité sur Twitter, elle se vit aussi en interne, pointe aussi Ulysse, militant à Angers (Maine-et-Loire). Mais il n’y a pas d’espace dans l’organisation pour débattre et canaliser cette conflictualité. La direction du mouvement choisit la stratégie et dicte la ligne sans en discuter avec les militants. Oui, la FI est pensée pour être un rouleau compresseur pour les campagnes présidentielles de Jean-Luc. Mais ce serait bien de voter et d’avoir des congrès par exemple. Certes, il y a des débats, mais tout est réellement décidé par le noyau. »

Nouveau souffle

Le militant qui a commencé ses classes dans les rangs du Parti de gauche se souvient de l’éviction de Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido et François Ruffin de la direction insoumise en décembre 2022, et le « verrouillage » de la formation suite à l’affaire Quatennens. Comme beaucoup, il estime que la construction de l’appareil centré sur l’omniprésence du tribun insoumis nuit à l’ancrage local de la FI comme à la démocratie interne.

Les décisions sont prises en haut. Les militants sont mis à l’écart.

En partie en accord avec cette analyse, Jean-Pierre Quilgars, militant à Bagneux (Hauts-de-Seine), espère que ce mouvement « gazeux » connaîtra rapidement « un nouveau souffle » : « Les décisions sont prises en haut. Il n’y a pas de lieux de débats au niveau national, régional ou départemental, et jamais de vote. Les militants sont mis à l’écart. On peut écrire un compte rendu d’une réunion locale et la partager dans un groupe militant, mais ça n’aura aucune conséquence. La France insoumise a pris de l’importance mais elle fonctionne toujours comme un appareil uniquement électoral. »

Le point de vue est partagé par Denis Maciazek, militant à Metz (Moselle) et candidat aux législatives en 2017. Celui qui a intégré la France insoumise dès sa création regrette aujourd’hui la « verticalité » du mouvement. Il repense à l’épisode du communiqué insoumis sur le conflit israélo-palestinien : « Quelle est l’utilité d’écrire si vite ce communiqué, si ce n’est avoir un peu d’avance sur les autres ? Dans la rue, on est interpellé. Si on nous avait demandé notre avis, peut-être que ça n’aurait pas été le cas. On aurait mieux fait de nous consulter ou de discuter avec les partenaires de la Nupes. »

Un collectif d’environ 400 militants défend depuis quelques mois plus de démocratie interne au sein de la FI. Pour le moment, la direction du mouvement n’a pas pris en compte cette revendication. Mais des groupes d’action comptent faire remonter cette question lors de la prochaine assemblée représentative du mouvement, le 16 décembre. Si les critiques sur le fonctionnement interne existent, tout le monde fait la distinction entre les personnes et les idées. Aucun des militants interrogés ne remet en cause le programme porté par Jean-Luc Mélenchon, « L’Avenir en commun », comme celui signé par la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) pour les législatives en 2022. « Sur le fond, on est tous d’accord. La FI a su incarner une option politique crédible avec des idées un peu radicales. Et ça, personne n’en discute », tempère Denis Maciazek.

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Moins sévère sur son organisation, Sabine Cristofani-Viglione, militante à Vidauban (Var), estime aussi que le programme n’est pas sujet à débat. L’ex-candidate dans la 4e circonscription du Var en 2022, celle où a tenté de se faire élire Éric Zemmour, regrette surtout un « bashing » qui nuirait au mouvement : « Mélenchon est clivant, c’est un fait. Mais notre feuille de route, c’est le programme. Personne ne nous parle des débats internes sur le terrain. Tout le monde s’en moque des tweets. On se pose plutôt cette question : comment battre l’extrême droite et la droite ? »

Mélenchon est clivant, c’est un fait. Mais notre feuille de route, c’est le programme.

Aymeric Compain, conseiller régional du Centre-Val de Loire, conteste même l’idée qu’il existerait une crise. « Ce n’est pas la première polémique médiatique qui cible le mouvement. Certaines prises de position au sein de la FI contre le mouvement sont un peu opportunistes. En interne, le débat sur la Nupes n’existe pas vraiment. Et les militants savent que le système médiatique se concentre sur les petites phrases », souligne l’ex-candidat aux législatives dans l’Indre.

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Le développement est décliné par Nicolas Pellegrini, militant à Nîmes (Gard). « Il y a une incompréhension sur la nature du mouvement. Ce n’est pas un parti politique comme tous les autres. C’est évolutif et modulable, explique celui qui est aussi conseiller national du Parti de gauche. Oui, les militants ne sont pas au cœur de la machine. Mais les militants sont consultés, les critiques sont entendues et l’état-major reste accessible. Il y a des espaces de dialogue. C’est dommage que certains utilisent notre temps de parole pour critiquer le mouvement. Il faut travailler ensemble au lieu de partager nos désaccords dans les médias. »

« Il faut travailler collectif »

Existerait-il un problème avec la « méthode Mélenchon » comme le disent désormais les socialistes, écologistes et communistes ?  « Il représente un apport théorique très important et a sauvé la gauche du désastre électoral en l’amenant à la porte du second tour. Aujourd’hui, il est sur le départ. Ce qui est difficile maintenant, c’est la transition. Et dans un mouvement aussi jeune, il y a beaucoup de richesse mais aussi d’appétits. Il faut travailler collectif, il n’y a pas d’autre solution. Et surtout pas celle de l’homme providentiel », espère Jean-Pierre Quilgars. « Le discours anti-Mélenchon nuit plus à tous les échelons du mouvement qu’à Mélenchon lui-même. Il a réussi à imposer à la gauche une stratégie pour reconquérir les classes populaires et les abstentionnistes. Il ne faut pas perdre de vue cette ligne », répond Aymeric Compain.

Les guerres de chapelle internes, on n’a pas vraiment le temps pour ça.

Certains considèrent que la crise du mouvement brouille les priorités de la gauche. À Nice (Alpes-Maritimes), Marine est très remontée. « Ici, on est le laboratoire de l’extrême droite. Éric Ciotti et Christian Estrosi font le jeu de la rhétorique de la guerre de civilisation. Quand ça se prend le bec à Paris, on est très loin de tout ça. À Nice, on se pose la question des logements sociaux, on voit que le Nice climate summit est sponsorisé par Total, on veut aider les personnes en migration, développe celle qui est insoumise depuis 2017. Alors les “frondeurs”, la présence de Mélenchon, les guerres de chapelle internes, on n’a pas vraiment le temps pour ça. C’est un rouleau compresseur en face. Il faut ‘faire mieux’. » Le message sera-t-il entendu ?

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