L’intersyndicale menacée par les élections professionnelles

Organisées en intersyndicale au niveau national lors de la réforme des retraites, les différentes organisations syndicales entretiennent des rapports plus tendus à l’échelle de l’entreprise. Dans le contexte d’une année 2023 particulièrement riche en élections professionnelles, l’appel à l’union y sonne comme un slogan creux.

Victor Fernandez  • 17 novembre 2023 abonné·es
L’intersyndicale menacée par les élections professionnelles
Le cortège de tête syndical, à Paris, le 13 octobre 2023. Au centre, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.
© Maxime Sirvins

« Nous irons, toute l’intersyndicale, unie, pour exiger le retrait de cette réforme de façon ferme, déterminée », déclarait Sophie Binet, juste après avoir été élue à la tête de la CGT, en mars 2023. Le contexte paraissait alors propice à une telle unité : pour venir à bout de la réforme des retraites, huit syndicats avaient fait le choix de s’unir, une démarche inédite depuis quinze ans. Lors de la manifestation du 13 octobre, l’intersyndicale martelait le même message : au niveau national, les syndicats doivent rester unis.

Mais localement, cette unité n’est pas si évidente, tout particulièrement dans un contexte de campagne pour les élections professionnelles. Cette année, de nombreux comités sociaux et économiques (CSE), créés en 2017 par les ordonnances Macron et fusion de plusieurs anciennes instances de représentation du personnel, sont renouvelés. Selon FO, 70 000 élections ont lieu en 2023 dont 57 000 sur les quatre derniers mois de l’année, quand France Stratégie recensait, dans un rapport, au total 90 000 CSE en France au 31 décembre 2020.

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« Au niveau de l’entreprise, c’est plutôt chacun son microcosme », souligne Laurent Zagorac, représentant syndical CGT du CSE à la direction Orange Île-de-France. Au sein de l’entreprise, six syndicats différents se présentent aux élections qui auront lieu entre le 13 et le 16 novembre, dont un nouveau venu, Printemps Écologique. « Ils vont [nous] prendre des voix. C’était des gens qui étaient sympathisants chez nous. Alors que ça fait des années qu’on porte les sujets de RSE [responsabilité sociale et environnementale] », maugrée Éric Lechat, élu CFDT.

Je suis complètement paumé dans ces élections. Je ne comprends plus comment votent les gens.

E. Lechat, CFDT

« C’est ma cinquième élection et c’est la première année où je suis dans l’expectative. Je suis complètement paumé dans ces élections. Je ne comprends plus comment votent les gens ». Jusqu’à maintenant, son syndicat était en seconde position au niveau national et en troisième au niveau francilien, en termes de nombre d’élus. Dans un tel contexte de compétition, la course aux voix n’encourage pas la confraternité syndicale.

Culture de lutte ou de compromis ?

Chacun fait alors valoir son bilan et sa culture syndicale particulière. « Si, en situation de gestion, vous êtes efficace, alors ça compte » avance Stéphane Crozier pour expliquer le succès de son syndicat. Cet emblématique président de la CFE-CGC Orange a su s’imposer comme l’une des personnalités phares de l’entreprise, jusqu’à tenter sa chance à la présidence du groupe, en 2022. Sans succès. Depuis 15 ans, son syndicat progresse à chaque élection, ce qui lui a offert la première place au niveau national et la deuxième au niveau francilien lors des dernières élections de 2019.

De quoi agacer ses concurrents qui revendiquent une approche différente. « C’est une organisation avec un programme vraiment différent des autres. Avec la CGT, Sud, FO, on a des divergences mais on arrive à travailler ensemble », souligne Éric Lechat. Un point de vue que rejoint Laurent Zagorac, qui fixe un objectif : « J’espère que dans l’un des périmètres où la CFE-CGC est majoritaire, on va progresser ».

Pour sa part, il revendique la capacité de la CGT à « faire bouger les salariés » et à « les mettre en grève » et s’agace du fait que selon lui, FO, la CFDT et la CFE-CGC sont « très institutionnalisés ». Son homologue de FO, Stéphane Neiva Brandao, fait quant à lui valoir des avancées concrètes dans certains domaines. « On est écouté, FO est écouté. À partir de l’année prochaine, il y aura une politique plus vertueuse en matière de prévention », assure-t-il, tout en s’agaçant d’une tendance au « mercato » lors des élections, qui viderait son syndicat de ses bons éléments.

Autant de désaccords qui peuvent parfois se transformer en fourberies, assurent certains. « Est-ce que les élections professionnelles, c’est la course à la dégueulasserie ? Ça l’a toujours été », assène Stéphane Neiva Brandao. « Il y a des choses qui ont été faites dans le passé qui ne s’oublient pas, des comportements qui ne s’oublient pas », le rejoint Éric Lechat.

Est-ce que les élections professionnelles, c’est la course à la dégueulasserie ? Ça l’a toujours été.

S. N. Brandao, FO

Si les tensions s’exacerbent pendant les élections, cela n’empêche pas ces élus syndicaux de travailler ensemble le reste du temps, notamment sur les sujets concernant Orange au niveau national ou quand il s’agit de discussions de branche.  « Les institutions restent, les hommes et les femmes changent. Un mandat n’appartient pas à une personne », veut croire Stéphane Neiva Brandao. « Oui les élections, c’est toujours une période compliqué ». Au-delà des conflits de personnes et de valeurs, c’est aussi pour leur survie que se battent les organisations syndicales. Depuis 2008, leurs résultats aux élections professionnelles conditionnent leur représentativité et donc leur capacité à négocier et signer des accords.

Pour être reconnu comme représentatif, un syndicat doit ainsi obtenir au moins 10 % des suffrages au niveau de l’entreprise ou 8 % à l’échelon national ou à celui de la branche. « Le poids de la représentativité est tellement lourd. Cela fait que les confédérations donnent des consignes strictes à leurs syndicats », assure Sébastien Crozier, tout en revendiquant pour son propre compte une certaine autonomie à l’égard des instances confédérales de la CFE-CGC. « Les ordonnances Macron ont aggravé le phénomène en concentrant tout sur les CSE », regrette Catherine Giraud, secrétaire confédérale à la CGT.

Timides alliances

Dans quelques rares secteurs, des listes intersyndicales ont pu malgré tout voir le jour. Chez les stewards et hôtesses de l’air d’Air France, FO et l’Unsa se sont alliés aux dernières élections, en mars 2023. « Nous formons une intersyndicale depuis 10 ans », explique Stéphane Salmon, président du SNPC-FO, avant de préciser : « Ça ne donne pas l’obligation à FO de s’aligner sur les décisions de l’Unsa au niveau national ». Cette alliance leur a en tout cas permis de décrocher la première place et ainsi de se partager 13 des 34 sièges du CSE.

Mais cette alliance bicéphale a peu de chances de s’étendre aux quatre autres syndicats. « Chaque syndicat a ses valeurs, sa façon de voir les choses » balaye Stéphane Salmon quand on l’interroge sur ses liens avec les autres organisations. Le périmètre de cette union est d’ailleurs réduit et ne concerne ni les autres catégories de personnels, ni les hôtesses et stewards d’autres compagnies aériennes.

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À la CGT ou à Solidaires, les alliances intersyndicales sont particulièrement rares. « C’est vrai qu’à la CGT, c’est très à la marge, car on a une façon bien à nous de faire du syndicalisme », explique Catherine Giraud, tout en précisant que la confédération ne donne pas de consignes aux syndicats sur l’opportunité ou non de faire des alliances. « Dès qu’on va entrer en période d’élection, on va se retrouver en compétition, ce qui est malheureux car on est tous là pour les salariés », regrette-t-elle. L’unité intersyndicale paraît donc bien partie pour être cantonnée à l’échelon national. Rien que sur la première quinzaine de novembre, 400 000 salariés sont appelés aux urnes.

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