Ce que nous dit le débat sur l’immigration
Les premiers débats parlementaires sur la loi asile et immigration, dite Darmanin, permettent d’en voir les périls. En surface, il est question d’économie. En dernier ressort, c’est affaire de conscience, et de vision du monde.
dans l’hebdo N° 1785 Acheter ce numéro
Contre toute attente, les « Rencontres de Saint-Denis » ont accouché d’une bonne nouvelle. Emmanuel Macron a renoncé à cette idée de référendum sur l’immigration qu’il était prêt à soutenir par un sordide calcul politique. Les mauvaises langues disent que le président a voulu punir Éric Ciotti, coupable d’avoir boycotté cette réunion qui devait mettre autour de la table tous les chefs de parti. Une attitude incohérente en effet de la part de Ciotti, qui n’est pas venu défendre la proposition phare de son projet politique. L’un a boudé, l’autre a puni. Qui dira que nous n’avons pas un personnel politique de haut vol ? Un enfantillage sur une problématique particulièrement explosive.
Le discours qui distinguait l’extrême droite de la droite parlementaire sort aujourd’hui de la bouche des Ciotti, Wauquiez et Retailleau.
Nos grands enfants jouent avec le feu. Car si l’on veut déchirer ce pays encore un peu plus qu’il ne l’est, il n’y a pas mieux qu’un référendum sur l’immigration. L’affrontement est pour l’heure contenu dans les enceintes parlementaires. Ce qui permet déjà d’en apercevoir les périls. C’est un débat à double fond. En surface, il est question d’économie. Combien l’accueil des immigrés coûte à notre pays ? Et combien il rapporte ? Éternelle bataille d’experts, mais qui trahit rapidement son contenu idéologique. Avec les mêmes chiffres, on arrive à des interprétations opposées. Preuve que le débat a surtout une dimension philosophique et humaine. Et qu’en dernier ressort, c’est affaire de conscience, et de vision du monde.
Car, trêve d’hypocrisie, le partage entre ceux qui défendent l’idée d’un accueil généreux
et ceux qui veulent hérisser notre pays de chevaux de frise ne se fait pas par l’économie, mais par la divergence des sensibilités et des lucidités. Il y a ceux qui pensent que les grands mouvements migratoires sont notre avenir, et ceux qui croient que l’on pourra vivre éternellement dans une seule France, blanche et chrétienne. On se gardera de superposer ce clivage à une cartographie politique gauche-droite. Ce n’est pas toujours aussi simple. Disons plutôt qu’il y a les humanistes et les adeptes d’une politique identitaire. L’inquiétante nouveauté de ces dernières années, c’est qu’un discours qui distinguait l’extrême droite de la droite parlementaire, issue du gaullisme ou du centrisme, sort aujourd’hui de la bouche des Ciotti, Wauquiez et Retailleau. Le projet Darmanin est fait pour leur plaire.
La question de l’immigration a sa part d’inavouable. L’immigré dont on ne veut pas dans cette droite extrême est musulman, et il vient d’une zone de conflit. Pour lui interdire de venir chez nous, le rempart est dressé : une justice expéditive pour décider de son sort ; plus de soins aux migrants malades ou blessés, sauf en cas d’extrême urgence, et l’abandon de l’un des socles de la République, le droit du sol. Les xénophobes, très majoritaires au Sénat, un peu moins à l’Assemblée, développent un culte de la pureté identitaire qui n’est plus l’apanage du seul Zemmour. On pense au livre d’Amin
Maalouf, Les Identités meurtrières. L’auteur s’interrogeait : « Nos sociétés seront-elles indéfiniment soumises aux tensions, aux déchaînements de violence, pour la seule raison que les êtres qui s’y côtoient n’ont pas tous la même religion, la même couleur de peau, la même culture d’origine ? »
Les xénophobes, très majoritaires au Sénat, développent un culte de la pureté identitaire qui n’est plus l’apanage du seul Zemmour.
La droite xénophobe tient son modèle : le Danemark. Le gouvernement de Copenhague vient de diligenter une enquête d’où il ressort que les immigrés « non occidentaux » sont à l’origine de 40 % des actes de délinquance. Jadis, Marcel Aymé aurait dit : « Salauds de pauvres ! » ; on dit aujourd’hui : « Salauds d’immigrés ! » Car on en conclut que c’est leur « identité » qui veut ça. Ils ont le diable dans la peau. Mais on peut aussi y voir la nécessité de créer un service public de l’immigration qui aide, forme et oriente. On peut penser que la statistique danoise est corrélée à la violence des épreuves traversées dans le pays d’origine, sur le chemin de l’exil, et à la misère et à l’hostilité rencontrées dans le pays d’accueil.
Autrement dit, la question de l’immigration est surtout un révélateur des manques de nos sociétés. Quant aux têtes de pont de cette politique, ils sont nos « colons », héritiers éternels d’une culture de la domination occidentale. Il fallait entendre Éric Ciotti, le 25 octobre sur France Inter, refuser de condamner les colons de Cisjordanie qui sèment la terreur dans les villages arabes. « Israël est la seule démocratie de la région », a-t-il sobrement commenté. Il faut au moins reconnaître au leader de la droite une cohérence idéologique sur tous les fronts de l’actualité.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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