Maintien de l’ordre : la France s’offre plus de 78 millions d’euros de grenades
Le ministère de l’Intérieur vient de passer sa plus grande commande de grenades de maintien de l’ordre en plus de dix ans. Elle comprend des grenades lacrymogènes, mais aussi des explosives et assourdissantes, dont certaines jamais encore employées.
C’est le plus gros achat de grenades de maintien de l’ordre depuis plus de dix ans. Le 9 novembre, un résultat d’appel d’offres publié dans le bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) montre que le gouvernement est déterminé à s’équiper toujours plus. Estimé par le ministère de l’Intérieur à 38 millions d’euros, l’appel d’offres lancé le 10 novembre 2022 vient d’être validé pour finalement plus de 78 millions, pour les quatre prochaines années. À titre de comparaison, le dernier achat du genre avait coûté environ 17 millions en 2018 pour 660 000 grenades et 740 000 moyens de propulsions. Ici, la commande est quatre fois et demie plus importante.
Dès la publication de l’offre, en 2022, Politis dévoilait en exclusivité l’information et son contenu précis. Cet appel d’offres est divisé en huit lots de diverses références de grenades assourdissantes, lacrymogènes et de cartouches-grenades. Dans l’annonce des résultats, tous les lots, hormis le quatrième, ont été attribués à plusieurs entreprises. Le premier, portant sur des « grenades de maintien de l’ordre et moyens de propulsions à retard et bouchon allumeurs », dépasse, à lui seul, les achats des dernières années. Pour près de 40 millions, il est remporté par la célèbre entreprise française Nobel Sport qui fabrique de nombreuses grenades et munitions de LBD.
Alsetex et Nobel, les deux gagnants
Parmi les lauréats, on retrouve aussi Alsetex, qui est, avec Nobel, l’un des deux principaux fournisseurs du gouvernement. La firme remporte ici plusieurs lots pour un total de plus de 21 millions d’euros. Rivolier fait aussi une petite apparition pour plus de 12 millions d’euros. Moins connue, l’entreprise exporte des États-Unis plusieurs produits pour les forces de l’ordre, dont des munitions pour LBD et des lance-grenades à six coups.
Le lot numéro 5 porte sur des grenades « à effet sonore et lacrymogène. » Remporté par Alsetex pour 11 millions, il s’agit très probablement de la grenade GM2L. Cette arme de catégorie A2 – pour matériel de guerre – a notamment été massivement utilisée lors des manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline. En avril, nous révélions comment une manifestante avait été mutilée à la main par les forces de l’ordre à l’aide d’une GM2L. Dans l’achat de 2018, la place Beauvau en avait commandé 56 000 pour moins de 2 millions. Ici, la commande est près de six fois plus importante, ce qui laisse penser à une commande d’environ 300 000 grenades explosives. Avec 45 grammes de matières pyrotechniques par grenade, dont de la poudre noire, cela représenterait 13,5 tonnes d’explosifs et autres.
Les grenades lacrymogènes et explosives sont presque devenues banales en France. Un modèle assourdissant a fait son apparition dernièrement, que Politis présentait en exclusivité en mars 2022. Durant les manifestations contre la réforme des retraites, cette nouvelle grenade a, elle aussi, été massivement utilisée. Signe de sa grande dangerosité, un gendarme a été gravement blessé par elle le 1er mai dernier à Paris, comme l’a révélé Libération. Selon plusieurs témoignages de gendarmes, « sans son équipement de protection, il aurait pu mourir ».
Un arsenal toujours plus divers
Séparés en deux groupes, 3 millions d’euros iront à Alsetex pour ladite grenade assourdissante, mais aussi 12 millions pour Rivolier. Le modèle de grenade de ce dernier n’est pas encore connu. Le lot numéro 6, attitré à Alsetex pour près de 5 millions d’euros, présente aussi une grenade encore non utilisée par les forces de l’ordre. Alors que les grenades assourdissantes sont uniquement lancées à la main depuis leur apparition, ce lot porte sur des « grenades 40 mm à effet sonore » dans le but d’être tirées par des lanceurs de même calibre, comme ceux à six coups. Pour rappel, la grenade G2ML d’Alsetex, elle est aussi assourdissante, n’est plus utilisée qu’aux lanceurs depuis le drame de Redon en juin 2021 où un jeune homme avait eu la main arrachée, car jugée trop dangereuse… pour les forces de l’ordre. Aucune information n’est encore disponible pour cette grenade assourdissante de 40 mm.
Avec ses millions de grenades commandées sur quatre ans, le gouvernement sera prêt à faire taire toute nouvelle contestation. Le 15 juin 2023, en pleine contestation contre la réforme des retraites, des experts de l’ONU s’inquiétaient des violences policières et de l’usage excessif des armes, « des munitions que la France est le seul pays européen à utiliser dans des opérations de maintien de l’ordre public ».
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