Marseille : « Je n’aurais jamais pensé être arrêtée pour un drapeau palestinien »
Dans la cité phocéenne, la manifestation du 18 octobre en soutien à la cause palestinienne a été sévèrement réprimée, comme le racontent deux témoignages. Les rassemblements suivants ont été autorisés. Le dernier en date, dimanche 5 novembre, a rassemblé plusieurs milliers de personnes dans une ambiance festive.
« En tant qu’exilée logée en France après avoir quitté la Syrie où j’étais rebelle pendant la révolution, je n’aurais jamais pensé qu’on pouvait m’arrêter pour un drapeau palestinien », se désole Sonia*. Cette réfugiée politique d’origine syrio-palestinienne est encore choquée de la répression disproportionnée subie le 18 octobre dernier à proximité du Vieux-Port, à Marseille. En marge d’un rassemblement, interdit par la préfecture des Bouches-du-Rhône, prévu en soutien à la cause palestinienne, elle s’approche du lieu de rendez-vous avec sa fille Bilasan ce jour là, dès 17 h 30. Sonia brandit, en dansant, le drapeau palestinien, alors que le rassemblement n’a pas débuté.
Le prénom a été modifié.
À ce moment-là, le calvaire débute : une dizaine de policiers se ruent vers les trois femmes et les encerclent. « Ils nous demandent de baisser le drapeau et notifient que la manifestation est interdite. Je conteste car je pensais vraiment que le Conseil d’État avait retoqué cette disposition quelques heures avant », confie Bilasan, la fille de Sonia. Si l’institution avait en effet désavoué le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la systématisation des interdictions, elle a dans le même temps laissé à l’appréciation des préfets la possibilité d’interdire une manifestation, à l’instar de celle du 18 octobre.
Une information mal comprise et un drapeau érigé : voilà qui a valu aux trois personnes des amendes de 135 euros pour « Participation à une manifestation interdite sur la voie publique » et 24 heures de garde à vue dans des conditions déplorables, après une arrestation brutale. Une situation inimaginable pour Sonia qui avoue ne jamais avoir poussé un cri si fort de toute sa vie qu’au moment de la confrontation avec les policiers. Preuve d’une colère et d’un profond désarroi. « Un policier m’a prise par le cou. Je n’ai pas bougé car je ne voulais pas qu’on retienne quelque chose contre moi », raconte Bilasan. Menottées, les deux femmes sont emmenées au commissariat de Noailles, dans le 1er arrondissement de la cité phocéenne.
Sonia et Bilasan sont placées ensemble dans une cellule de 3 m2, aux « conditions déplorables », assurent-elles. « Il y avait beaucoup de cafards et une odeur insupportable de pisse. On devait les supplier pour qu’on puisse boire de l’eau ou aller aux toilettes », poursuit Bilasan qui a été un soutien de poids pour sa mère, âgée de 55 ans. Cette dernière, arrivée en France il y a dix ans, enchaîne : «J’ai beaucoup pleuré, je ne comprenais rien à ce qu’il se passait ». Le lendemain, après une nuit où les deux femmes n’ont pas fermé l’œil et 24 heures de cauchemar, elles sont relâchées. Les accusations portées à propos d’insultes envers des policiers étant abandonnées par absence de preuve. Et comme pour ajouter à la violence physique, une violence symbolique : la police n’a pas rendu aux militantes le drapeau palestinien à l’origine de la discorde.
« Gaza, Gaza, Marseille est avec toi ! »
Le samedi 28 octobre, pendant que les manifestants à Paris étaient nassés pendant près de sept heures avec un nombre impressionnant d’amendes, Marseille vivait, elle, au rythme d’une première manifestation autorisée en soutien à la Palestine. Rebelote le dimanche 5 novembre avec une participation en hausse et des slogans identiques : « Gaza Gaza, Marseille est avec toi ! », « Nous sommes tous des Palestiniens », « Israël assassin, Macron complice ». Plusieurs milliers de personnes, dont Sonia et sa motivation sans faille, ont défilé dans les rues du centre-ville – 2 700 selon la préfecture de police et 10 000 selon les organisateurs.
On entend partout celles et ceux qui légitiment l’action d’Israël et on a l’impression d’être seuls et d’avoir tort.
Simon
Des rendez-vous festifs, avec des prises de parole, où l’émotion était palpable et le trouble à l’ordre public… inexistant. « Cela rassemble beaucoup de personnes de milieux très différents. Ces mobilisations sont puissantes et surtout nécessaires pour se retrouver collectivement afin d’exprimer notre colère et notre solidarité avec le peuple palestinien », explique une membre de la section marseillaise de la coordination citoyenne Urgence Palestine.
Face aux bombardements aériens israéliens incessants sur la bande de Gaza, « c’est important de rencontrer des gens aussi choqués que soi. On entend partout celles et ceux qui légitiment l’action d’Israël et on a l’impression d’être seuls et d’avoir tort », lance Simon, un militant de 26 ans habitué des mouvements sociaux. Au-delà de la détermination, la crainte d’entrer dans un agenda routinier d’une manifestation par semaine gagne certains esprits. Quoi qu’il en soit, après avoir obtenu le droit de manifester au terme d’une violente répression, l’énergie pacifique marseillaise espère un cessez-le-feu le plus rapidement possible et rêve d’une fin de la situation coloniale.
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