« La Danseuse », éloge d’une discipline
Patrick Modiano, prix Nobel 2014, reconstitue cette ambiance énigmatique présente dans tous ses livres et donne quelques indices pour comprendre son écriture.
dans l’hebdo N° 1786 Acheter ce numéro
La Danseuse / Patrick Modiano / Gallimard, 112 pages, 16 euros.
Le dernier roman de Patrick Modiano pourrait être une sorte de résumé de toute son œuvre. L’atmosphère de Paris est mystérieuse, les personnages semblent suspects, le réel se mélange à l’imagination de l’auteur. Et le narrateur s’attelle à reboucher les trous de sa mémoire : « Le temps qui a brouillé les visages a gommé aussi les points de repère. Il reste quelques morceaux d’un puzzle, séparés les uns des autres pour toujours. »
Dans ce roman d’une centaine de pages où les très brefs chapitres se succèdent, le prix Nobel 2014 campe un narrateur fasciné par une danseuse qu’il a connue dans le passé. Elle ne sera jamais nommée. Dans les années 1960, elle répète ses ballets au studio Wacker, près de la place de Clichy, et prend des cours avec Boris Kniaseff, célèbre maître de ballet d’origine russe et inventeur de la méthode de la barre au sol. Le narrateur, lui, est une sorte de double de l’auteur. C’est un jeune parolier qui travaille pour l’éditeur Maurice Girodias et voit dans la pratique de la danse une discipline qui l’inspirerait pour, plus tard, écrire ses propres livres.
Comme tous les romans modianesques, La Danseuse se présente comme une anamnèse. Les chapitres ne sont pas chronologiques et le fil narratif ne suit pas forcément une logique précise. Le lecteur se trouve face à un narrateur obsédé par l’idée de retrouver un passé dont il ne se souvient plus. Des réminiscences jaillissent de façon inattendue. Et tous les personnages ont des biographies parcellaires, à tel point que le narrateur doute de leur existence.
Comme des fantômes
De ce fait, ils apparaissent comme des « fantômes », des figures qui semblent sorties d’un rêve. Pour se rassurer face à ces oublis, le narrateur distille les noms de danseurs qui ont existé, à l’instar de Jean-Pierre Bonnefous, Maurice Béjart, Rudolf Noureev et Margot Fonteyn, qui surgissent lors d’une soirée organisée dans un cabaret imaginaire tenu par Serge Verzini, un homme au passé très louche. Ce mélange entre fiction et réalité rend le texte troublant.
Si l’auteur peint une nouvelle fois l’ambiance énigmatique de Paris, il raconte une période qu’il a très peu documentée : le moment où, au sortir de l’adolescence, il réfléchit à l’écriture et se projette déjà en tant qu’écrivain. Ainsi, Patrick Modiano semble donner quelques pistes pour comprendre son processus de travail, fondé avant tout sur la suppression de phrases et de paragraphes. Il construit alors une analogie poétique avec la danse, une « discipline » qui chercherait à évacuer le plus de mouvements superflus. Selon lui, un texte littéraire ne doit conserver que son essence. En creux, ce roman pourrait donc être lu comme son manifeste.