« Bruno demande » : le sketch de Le Maire

En deux ans, le prix des produits alimentaires a augmenté de 18,4 %. Face à cela, le gouvernement s’agite, réclame, mais n’obtient rien. Chronique d’un grand bredouillement.

Pierre Jequier-Zalc  • 17 novembre 2023 abonnés
« Bruno demande » : le sketch de Le Maire
Capture d’écran du compte X (ex-Twitter) @BrunoDemande
© DR

Pour les amateurs de comique de répétition, il y a clairement un fort potentiel au sein du gouvernement. Celui de se convaincre, mois après mois, que le pic de l’inflation est passé pourrait constituer l’un de ses meilleurs ressorts. Mais c’était sans compter notre ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, adepte des demandes, moins des succès.

Voilà donc des mois que le locataire de Bercy s’échine à « demander » des faveurs, des gestes, aux grandes entreprises du secteur alimentaire, distributeurs comme fournisseurs, pour essayer d’endiguer une inflation galopante sur les produits qui remplissent nos assiettes. De fait, comment ne pas s’inquiéter quand les prix de ces denrées ont augmenté de 18,4 % en deux ans, selon l’Insee, une hausse qui a freiné la consommation ? La réalité est là. De plus en plus de ménages se privent lorsqu’ils font leurs courses, faute d’un pouvoir d’achat suffisant, rognant ainsi sur la qualité nutritionnelle de leurs repas.

Face à la grande distribution, le locataire de Bercy ressemble plus à un jeune gringalet montant pour la première fois sur un ring qu’à Mohamed Ali.

De quoi inquiéter notre cher ministre de l’Économie ? Oui, à l’entendre. « L’inflation, c’est mon premier combat ! » affirme-t-il face aux lecteurs du Parisien, fin septembre. Se pose donc une question sérieuse. Comment Bruno Le Maire combat-il ? Face aux entreprises de la grande distribution, le locataire de Bercy ressemble plus à un jeune gringalet montant pour la première fois sur un ring qu’à Mohamed Ali. Depuis le début de la spirale inflationniste, il fait des pieds et des mains dans son discours pour montrer qu’il agit. Mais, avec des gants trop grands pour lui, ses gestes ressemblent davantage à une gesticulation inefficace, faite d’injonctions répétées rarement suivies d’effet. Au point qu’un compte sur X (ex-Twitter) a été baptisé « Bruno demande », et est suivi par plus de 5 000 personnes. Les exemples sont nombreux : les appels incessants à la grande distribution pour qu’elle baisse ses prix, aux grandes marques pour qu’elles diminuent leurs marges… Pour autant, on ne remarque rien en rayon.

Naïveté confondante

Si l’appel est louable, la méthode est d’une naïveté confondante. Cependant, celle-ci s’explique : depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs mènent des politiques de l’offre, fondées sur des baisses d’impôt, une dérégulation du marché et un refus d’augmentation des salaires. Le capital avant le travail. Dans cet état d’esprit, aucun instrument ne permet une limitation en bonne et due forme des prix ou un gain – a minima une non-perte – du pouvoir d’achat des ménages.

Ainsi, pour rendre ses « demandes » plus crédibles, le ministre de l’Économie les accompagne régulièrement de menaces, notamment fiscales. « Si jamais les industriels refusent d’entrer dans cette négociation, ce qu’évidemment je ne peux pas imaginer, nous emploierons tous les instruments à notre disposition, y compris l’instrument fiscal, pour récupérer des marges qui seraient des marges indues faites sur le dos des consommateurs », prévenait-il en mai dernier. Depuis, l’inflation a continué d’augmenter, sans qu’aucune menace ne soit mise à exécution. Mais comment être crédible avec cette menace fiscale – par ailleurs juridiquement incertaine – quand toute sa politique économique est fondée sur la réduction des impôts ?

Pis, cela fait plusieurs mois que des publications ont documenté l’augmentation des profits et des marges des grands groupes du CAC 40 du fait de l’inflation. Face à ce constat, des mesures contraignantes auraient pourtant pu être imaginées : bloquer les prix des biens de première nécessité, taxer les superprofits, augmenter les salaires en les indexant, a minima, sur l’inflation. Tour à tour, ces mesures ont été écartées. Trop coercitives pour les entreprises, trop nuisibles pour l’investissement. Pour éviter un craquage total des ménages, le gouvernement s’est donc contenté de faire chauffer le compte en banque, à coups de chèques de quelques euros pour les ménages les plus précaires ou de ristournes de quelques centimes sur le prix des carburants. 

« L’inflation ne durera pas ! » ne cessait-on de répéter dans la majorité. Désormais bien installée, celle-ci apparaît plus structurelle que jamais. Comme les demandes inutiles de Bruno Le Maire, incapable de trouver une solution pérenne pour les citoyens les plus modestes du pays. Car, en 2023, un Français sur trois ne mange pas à sa faim, selon le Secours populaire. Pas besoin de demander : le bilan est là, terrible.

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Société
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