Derrière la faim, une odieuse injustice climatique
Les conséquences du réchauffement global de la planète aggravent des crises alimentaires auxquelles les pays riches consacrent des moyens insuffisants alors même qu’ils sont les principaux responsables de la situation.
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Les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique font face à l’accumulation de crises et de conflits. Elles sont simultanément confrontées à la pauvreté extrême, à des inégalités criantes, au changement climatique, à l’impact économique des différentes guerres et pandémies, ainsi qu’à la montée en flèche des prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais. Dans ces conditions, au Sahel central (Mali, Niger, Burkina Faso), 7,6 millions de personnes ont eu besoin d’assistance alimentaire en 2023. Dans le même temps, on estime que, cet été, une personne est morte de faim toutes les 28 secondes en Éthiopie, au Kenya et en Somalie, pays ravagés par la sécheresse, et au Soudan du Sud, victime d’inondations records.
Une situation malheureusement de plus en plus alarmante, qui s’accompagne de besoins sans précédent. Au Sahel central, l’aggravation de cette crise est la plus rapide au monde. Plus de 20 % de la population de ces pays, soit 18 millions de personnes, ont besoin d’une assistance humanitaire d’urgence en termes d’abris et d’accès à l’eau, à la nourriture, aux moyens d’existence, aux soins de santé, à l’éducation et à une protection effective et non discriminée.
Entre mai et août 2023, c’est un surcroît de 2,2 millions de personnes qui est entré en situation de crise alimentaire dans la région. Dans le même temps, selon les dernières estimations, 26 millions de personnes au total sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë (1) au Kenya, en Éthiopie, au Soudan du Sud et en Somalie. Dans le seul Soudan du Sud, 7,7 millions de personnes (66 % de la population) se sont retrouvées dans ce cas entre juin et septembre 2023. Selon les Nations unies, les besoins totaux pour répondre à cette crise sont de 8,7 milliards de dollars. Malheureusement, cette réponse n’est pour l’instant qu’à moitié financée.
L’insécurité alimentaire aiguë définit une situation dans laquelle la vie ou les moyens d’existence d’une personne sont en péril imminent parce que celle-ci n’est pas en mesure de s’alimenter de manière adéquate.
Chocs climatiques récurrents
Au-delà des chiffres, un constat simple : nous sommes face à un drame humanitaire dont la cause principale réside dans les changements climatiques. Le Mali, par exemple, fait face à la pire crise alimentaire et nutritionnelle des dix dernières années, crise qui s’accélère dans les zones affectées à cause des soudures pastorale et agricole précoces (2), du fait de l’épuisement accéléré des stocks, du renouvellement inégal des pâturages, d’une hausse inhabituelle des prix et de l’impact de l’insécurité.
Cette notion désigne la période avant les récoltes durant laquelle les produits des récoltes précédentes viennent à manquer.
Ces mêmes conséquences ont provoqué au Niger une chute de la production céréalière de près de 40 % : les chocs climatiques récurrents, joints aux conflits en cours, ont de plus en plus significativement affecté les récoltes. La production des denrées de base comme le millet et le sorgho risque de s’effondrer encore de 25 % dans ces pays si le réchauffement mondial dépasse les 2 °C.
Les changements climatiques aggravent donc la situation de millions de personnes dans le monde qui souffrent de la faim. Les phénomènes météorologiques extrêmes, de plus en plus nombreux et violents, réduisent la capacité des populations pauvres à contrer la faim et à faire face aux chocs à venir, en particulier dans les pays à faible revenu. La Somalie, l’Éthiopie et le Kenya ont été confrontés à la pire sécheresse jamais connue dans ces pays. 2022 a été la cinquième année de suite avec des pluies insuffisantes, voire inexistantes dans certaines régions.
Nimo Suleiman, une mère de deux enfants déplacée du Somaliland nous a confié : « J’ai déjà été témoin de sécheresses, mais je n’ai jamais rien vu de tel. Le point d’eau le plus proche est à cinq kilomètres, la route qui y mène n’est pas sûre et il fait très chaud, mais la survie de notre famille dépend de notre capacité à faire ce voyage. » Le Burkina Faso est l’un des dix pays concernés par le plus grand nombre d’appels humanitaires de l’ONU à la suite de phénomènes météorologiques extrêmes depuis 2000.
Les femmes sont les plus touchées par l’insécurité alimentaire, le réchauffement climatique et les discriminations.
Dans ces contextes de crise, en raison d’une inégalité entre les sexes profondément ancrée, les femmes, notamment les agricultrices, sont les plus touchées par l’insécurité alimentaire, le réchauffement climatique et les discriminations. Ainsi, le système patriarcal prive les femmes du droit de posséder des terres et de bénéficier d’un salaire égal à celui des hommes. Au Mali, où plus de 50 % d’entre elles sont impliquées dans l’agriculture, seulement 5 % sont propriétaires en titre.
Oxfam tente de répondre à ces inégalités en travaillant avec les bénéficiaires sur le terrain. Par exemple, au travers du projet mis en place avec notre partenaire Atad (Alliance technique d’assistance au développement) non loin de la ville de Kaya au Burkina Faso. Luda Alizeta Sawadogo, une agricultrice bénéficiant de ce programme, explique qu’il « offre aux femmes vulnérables qui n’ont pas accès à la terre la possibilité de cultiver une parcelle dans cette ferme collective ». Elle poursuit : « L’ONG Atad nous fournit des semences. J’ai appris à produire du bio avec des techniques respectueuses de l’environnement. »
Endettement dramatique
Ces initiatives ne peuvent pas, à elles seules, répondre à l’ampleur des défis. C’est pourquoi, au-delà des actions de terrain, l’un des axes d’intervention d’Oxfam consiste à montrer les corrélations entre inégalités, crise alimentaire et crise climatique. Le constat est simple : des changements politiques majeurs sont nécessaires afin de gérer la double crise du climat et de la faim. Si des mesures de grande ampleur ne sont pas prises immédiatement, la faim continuera à monter en flèche. Selon Oxfam, un impôt de seulement 1 % sur les profits annuels moyens des entreprises des énergies fossiles générerait 10 milliards de dollars, soit de quoi couvrir la plupart des déficits de financement des appels humanitaires de l’ONU liés à l’insécurité alimentaire. Dans le même temps, l’annulation de la dette des États vulnérables permettrait aux gouvernements de libérer des ressources pour investir dans la lutte contre les changements climatiques. Un pays comme la France doit aussi s’assurer que les plans de réponse humanitaire sont suffisamment financés afin de répondre aux besoins urgents des populations.
Rappeler ces demandes politiques et aller au-delà du simple appel à l’aide est primordial. Derrière cette crise de la faim en Afrique de l’Est se trouve une odieuse injustice climatique. Les nations riches et polluantes continuent de truquer le système en ignorant les milliards dus à l’Afrique de l’Est, tandis que des millions de personnes sont livrées à elles-mêmes. Ainsi, bien qu’ils soient largement responsables de l’aggravation de la crise climatique en Afrique de l’Est, les pays riches n’ont versé à l’Éthiopie, au Kenya, à la Somalie et au Soudan du Sud que 2,4 milliards de dollars en financement du développement lié au climat en 2021. Ce montant est largement en dessous des 53,3 milliards de dollars dont l’Afrique de l’Est a besoin chaque année pour atteindre ses objectifs climatiques d’ici à 2030.
Les pays du G7 et la Russie sont à eux seuls responsables de 85 % des émissions mondiales de carbone depuis 1850.
Le rapport « Unfair Share » (« Injuste participation »), publié début septembre 2023 par Oxfam, montre que les nations les plus polluantes ne fournissent pas suffisamment de fonds climatiques et humanitaires aux pays d’Afrique de l’Est qui en ont besoin. Outre la faiblesse de ces financements, près de la moitié des fonds (45 %) est accordée sous forme de prêts, ce qui plonge la région dans un endettement encore plus important. Aujourd’hui, 62 pays en développement dépensent plus pour assurer le service de leur dette extérieure (somme que l’emprunteur doit payer chaque année pour honorer sa dette) que pour leur système de santé. Leur nombre a quasiment doublé en dix ans. Le remboursement annuel des dettes des six pays sahéliens francophones est équivalent à 140 % des sommes allouées à leurs budgets de santé.
Les pays riches ne sont donc pas au rendez-vous. Pire, ils alimentent le cercle vicieux du surendettement et ne font aucunement face à leurs responsabilités, alors que les économies industrialisées ont largement contribué à la crise climatique, qui touche aujourd’hui de manière disproportionnée des régions comme l’Afrique de l’Est. Les pays du G7 et la Russie sont à eux seuls responsables de 85 % des émissions mondiales depuis 1850, soit 850 fois les émissions du Kenya, de l’Éthiopie, de la Somalie et du Soudan du Sud réunis. Pourtant, les conditions météorologiques extrêmes, plus sévères et plus fréquentes, y sont le principal facteur de la faim.
Ces chocs climatiques violents ont épuisé les réserves de populations déjà vulnérables, les laissant sans autres moyens de survie. Depuis la dernière sécheresse de 2017, le nombre de personnes ayant besoin d’une aide d’urgence dans les quatre pays a plus que doublé, passant de 20,7 à 43,5 millions. C’est pourquoi, à l’approche de la COP28, de plus en plus de voix africaines s’élèvent pour exiger des pays riches et pollueurs qu’ils réduisent radicalement leurs émissions et qu’ils dédommagent l’Afrique de l’Est pour les pertes et dommages causés par le climat, afin que la région puisse espérer s’en remettre.