Étudier ou manger ? L’équation impossible

Pour les étudiant·es, se nourrir sainement et en quantité suffisante est de plus en plus compliqué. Entre hausse des prix et rythmes irréguliers, ils et elles sont nombreux·ses à dépendre d’une aide alimentaire.

Maxime Sirvins  • 22 novembre 2023 abonné·es
Étudier ou manger ? L’équation impossible
Étudiante américaine, Allison habite chez une personne âgée. Pour la nourriture, la jeune femme fait des concessions, mais s’autorise parfois des petits plaisirs, à la hauteur de ses moyens.
© Maxime Sirvins

La moitié des étudiant·es ont déjà dû sauter un repas, d’après une étude de l’association de distribution alimentaire COP1 et de l’Ifop. Avec des rythmes souvent décalés et face à l’inflation, les étudiant·es ont bien du mal à avoir une alimentation saine et suffisante. Politis est allé à la rencontre de cette jeunesse pour lui donner la parole. «Il m’arrive de plus en plus de voler quand je fais des courses », explique un étudiant contraint de renoncer à l’achat de bons produits. Pour s’adapter, les étudiant·es ne font pas que voler. Les paniers repas sont aussi de plus en plus demandés. Pour celles et ceux qui ne peuvent s’offrir le restaurant, les récupérations en fin de service permettent des petits plaisirs à moindre coût.

Pour une grande partie des jeunes, «il faut aussi se rabattre sur les paniers alimentaires des associations» comme COP1, qui réalise quatre distributions par semaine à Paris. Même au Crous, la situation n’est pas satisfaisante. Les repas pour les boursiers sont limités en qualité, mais aussi en quantité. Se voulant économiques, ces repas «ne suffisent pas». Les étudiant·es doivent alors compléter en achetant par exemple un cookie ou une boisson sucrée, ou bien aller ailleurs. Dans tous les cas, le repas sera plus cher. Et pour nombre d’étudiant·es, «avoir des repas sains et suffisants devient de moins en moins possible ».

Khadija*, 24 ans, master en relations internationales

Portfolio hors série 78 faim
« Le soir, chez moi, c’est surtout des pâtes. » (Toutes photos : Maxime Sirvins.)
*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

« Le soir, chez moi, c’est surtout des pâtes », explique Khadija, qui ne déjeune presque jamais. Pour l’étudiante, qui a un job alimentaire le soir, « cuisiner prend trop de temps». Le midi, «il y a trop de monde au Crous, donc je saute le repas». Parfois, elle va en grande surface pour acheter un petit sandwich ou des carottes râpées, alors qu’elle est censée, étant boursière, avoir accès à un repas à 1 euro. Actuellement bénévole à Calais, elle mange gratuitement dans une association.

Portfolio hors série 78 faim

Valentin, 23 ans, master en transition écologique

Portfolio hors série 78 faim
 » Il n’y a pas de place, je vais devoir manger dehors. »

« Il n’y a pas de place, je vais devoir manger dehors. » Protégé de la pluie par des arbres, Valentin mange seul sur un banc à la Sorbonne, alors que la cafétéria du Crous est pleine. Son repas aussi sera froid. Il y a trop de monde aux micro-ondes. Boursier, il profite du repas à 1 euro, une toute petite barquette de riz sec avec du poisson. Il faut dire que les repas à 1 euro ne sont ni copieux ni égalitaires. Pour les paninis, par exemple, le traditionnel 3-fromages est devenu un 2-fromages pour les boursiers ! 

Portfolio hors série 78 faim

Allison, 28 ans, doctorante en géographie sociale

Portfolio hors série 78 faim
« On ne sait pas ce qu’il y a dans le panier, mais au moins ça ne coûte pas cher. »

Étudiante américaine, Allison habite chez une personne âgée. Sa thèse n’est pas financée et les cours qu’elle donne à la Sorbonne ne lui permettent pas de payer un loyer. Pour la nourriture, la jeune femme fait des concessions, mais s’autorise parfois des petits plaisirs, à la hauteur de ses moyens. Ce soir, elle est allée chercher un panier de récupération – trouvé grâce à la plate-forme TooGoodToGo, qui signale les commerces proposant des invendus à moindre prix – dans un restaurant libanais, pour passer un bon moment avec sa petite amie. «On ne sait pas ce qu’il y a dans le panier, mais au moins ça ne coûte pas cher. »

Portfolio hors série 78 faim

Valentin, 20 ans, master d’histoire

Portfolio hors série 78 faim
« On n’a que quinze minutes pour déjeuner, donc on fait comme on peut, parfois, on doit manger en cours. »

« Je suis un peu entre les deux. » Valentin fait partie des étudiants qui ne sont pas boursiers, mais de peu. Il n’a donc pas accès aux repas à 1 euro. Aujourd’hui, il mange debout avec deux amies. « On n’a que quinze minutes pour déjeuner, donc on fait comme on peut, parfois, on doit manger en cours. » Chez lui, le manque de temps se fait aussi ressentir, à cause de son travail alimentaire qui se termine parfois à 23 heures. Même si Valentin n’est pas dans la précarité, son rythme l’empêche de se nourrir correctement.

Portfolio hors série 78 faim

Mathilde*, 25 ans, master d’études politiques

Portfolio hors série 78 faim
« Je fais beaucoup de récupération à la fin des marchés, par exemple, pour avoir des légumes pas chers. »

Étudiante non boursière, Mathilde* est aidée par ses parents, qui lui donnent 300 euros par mois et paient son loyer. Avec ces 10 euros par jour pour vivre, elle ne se plaint pas et explique cuisiner le plus possible chez elle pour préparer ses repas en avance. «Je fais beaucoup de récupération à la fin des marchés, par exemple, pour avoir des légumes pas chers. » Le reste du temps, elle alterne entre supermarchés, magasins de producteurs, une application pour faire de la récupération et des repas préparés par ses parents.

Portfolio hors série 78 faim
Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Société
Publié dans le dossier
Manger à sa faim
Temps de lecture : 6 minutes

Pour aller plus loin…

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste
Analyse 12 décembre 2025 abonné·es

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste

Entre exaltation d’une féminité à l’ancienne, nostalgie d’une Amérique fantasmée et stratégies médiatiques, l’esthétique vestimentaire se transforme en arme politique au service du courant Maga. Les conservateurs s’en prennent jusqu’à la couleur rose d’un pull pour hommes.
Par Juliette Heinzlef
Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI
Enquête 11 décembre 2025 abonné·es

Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI

Convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure alors qu’ils demandaient la nationalité française, trois Palestiniens racontent les entretiens durant lesquels on leur a suggéré de fournir aux Renseignements des informations sur le mouvement associatif palestinien.
Par Pauline Migevant
« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »
Entretien 11 décembre 2025

« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »

En Europe, les Palestiniens sont de plus en plus ciblés par les surveillances numériques ou les fermetures de comptes bancaires. Layla Kattermann, responsable de la veille pour l’European Legal Support Center, revient sur ce standard européen de surveillance.
Par William Jean
À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives
Reportage 6 décembre 2025 libéré

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives

Sur la plage de Gravelines, lieu de départ de small boats vers l’Angleterre, des militants d’extrême droite britannique se sont ajoutés vendredi 5 décembre matin aux forces de l’ordre et observateurs associatifs. Une action de propagande dans un contexte d’intimidations de l’extrême droite. Reportage.
Par Pauline Migevant et Maxime Sirvins